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Mert­can Güler est un jeune de Turquie et appar­tient comme cer­tains soci­o­logues le définis­sent, à la “généra­tion Z”. Il est né dans une famille de classe moyenne, musul­mane et turque, de Mersin, en 1992, lors de la péri­ode “obscure” de la Turquie, où j’é­tais encore étu­di­ant. A cette époque, j’é­tais un mil­i­tant act­if du mou­ve­ment de la libéra­tion kurde, qui lut­tait avec l’idéolo­gie marx­iste-lénin­iste, et une per­spec­tive de révo­lu­tion, d’abord au Kur­dis­tan, puis l’ensem­ble de la Turquie, et ensuite le Moyen-Orient.

C’é­tait le temps où les “Toros blanch­es1 enl­e­vaient en pleine rue les poli­tiques, jour­nal­istes, étu­di­antEs, ou femmes et hommes d’af­faire, kur­des et opposants, et que des jours plus tard nous retrou­vions leur corps sans vie dans des fos­sés en bord de routes. De ces jours jusqu’au­jour­d’hui beau­coup de belles per­son­nes se sont battues pour que les choses changent. Qu’y a‑t-il de changé, à part le fait que les “Ranger noires“2 sont rem­placées par les “Toros blanch­es” ? C’est tout un autre sujet de discussion…

 A cette époque, étant Kurde, Alévi, venant d’une famille ouvrière, tu te sen­tais con­cerné par ce qui se pas­sait et tu te trou­vais dans une sit­u­a­tion d’ap­pren­tis­sage rapi­de, et tu ren­con­trais inévitable­ment la vio­lence de l’E­tat. Aujour­d’hui, des jeunes, qui n’ont pas vécu ces péri­odes, des jeunes, qui ont une con­science, cla­ment aus­si “moi, je dis non à cet ordre établi”. Cela veut dire alors, que toute cette vio­lence d’E­tat déver­sée, les poli­tiques d’op­pres­sions menées, n’ont servi à rien. Toutes les souf­frances, les inter­dits qu’ils essayent de faire oubli­er les étouf­fent tel un lierre, chaque jour un peu plus.

Nous lirons ici, encore une fois, cette réal­ité que cer­taines per­son­nes con­tin­u­ent de nier, à tra­vers le témoignage intime d’un de ces jeunes. On peut se dire que c’est “Juste un épi soli­taire dans le champs. Que peut-il faire tout seul ?”. Mais cet épi, en se mul­ti­pli­ant avec d’autres, le champs pour­ra nous mur­mur­er peut être encore plus fort : “toutes ces souf­frances ne furent pas endurées pour rien…”

Je laisse alors la parole à un de ces épis…


 

Je ne deviendrai pas un soldat de ce système”

La ver­sion en français de la déc­la­ra­tion sur l’ob­jec­tion de con­science de Mert­can Güler pub­liée ini­tiale­ment sur Con­nec­tion e.V. (Ed.) : Newslet­ter “KDV im Krieg”, édi­tion de novem­bre 2020

05.10.2020

Ceci est mon objec­tion de conscience.

Je m’ap­pelle Mert­can Güler. Je suis né à Mersin en 1992. Mes par­ents ont divor­cé quand j’avais trois ans. Mon père et ma grand-mère, avec qui j’ai gran­di, étaient des Turcs typ­iques qui soute­naient Atatürk. Je veux racon­ter mon his­toire de façon chronologique.

Même si je n’en savais rien quand j’é­tais enfant, j’avais déjà l’idée, enfant, de ne pas vouloir entr­er dans l’ar­mée. Je me sou­viens qu’à l’âge de six ans, j’ai dit à ma grand-mère que je ne ferais pas le ser­vice mil­i­taire. J’avais déjà peur à l’époque. Ma grand-mère m’a répon­du : “D’i­ci que ton heure arrive, il n’y aura plus de con­scrip­tion de toute façon”. Cela fait plus de 20 ans, et la con­scrip­tion est tou­jours en vigueur en Turquie.

Jusqu’à mes études, nous devions chanter l’hymne nation­al et réciter le soi-dis­ant “Notre Ser­ment” (Andımız en turc) chaque lun­di matin avant le début des cours et chaque ven­dre­di soir après la fin des cours. L’hymne nation­al turc et le ser­ment com­por­tent des élé­ments fas­cistes. Les trois pre­mières phras­es du ser­ment sont : “Je suis turc, je suis droit, je suis tra­vailleur”. Par le biais de la répéti­tion con­stante, l’É­tat turc manip­ule les enfants avec le mil­i­tarisme et le fas­cisme pen­dant toute la durée de l’é­d­u­ca­tion. Il les endoc­trine, c’est une sorte de lavage de cerveau.

Il peut sem­bler sur­prenant, ici en Alle­magne, de par­ler du fas­cisme par rap­port à la Turquie. Le terme est cer­taine­ment util­isé dans un autre con­texte. En Alle­magne, il est étroite­ment lié à l’époque nazie. En Turquie, on entend par fas­cisme le fait que le gou­verne­ment ou des groupes soutenus par le gou­verne­ment per­sé­cu­tent des per­son­nes et des minorités, et oppri­ment ceux qui ont des opin­ions poli­tiques ou religieuses dif­férentes. Cela sig­ni­fie qu’ils oblig­ent les gens à avoir la même opin­ion que ceux qui sont au pou­voir. Toute cri­tique con­tre les normes sociales et éta­tiques est rejetée.

À mon époque, les cours d’his­toire se con­cen­traient sur l’Em­pire ottoman et Atatürk. Bien que je sois allé dans une école privée, l’Em­pire ottoman était vénéré.

Mon intérêt pour l’his­toire et la poli­tique a com­mencé lorsque j’ai appris plus sur la péri­ode nazie dans les cours d’his­toire au lycée. J’ai com­mencé à faire des recherch­es sur les per­son­nes et les événe­ments impor­tants. Au cours de ces recherch­es, mon père venait par­fois me voir, me don­nait son avis et me dis­ait ce qu’il savait.

Mes recherch­es ont duré jusqu’au début de mes études. Mal­gré mon inex­péri­ence, je pen­sais que le gou­verne­ment fai­sait quelque chose de mal et qu’il avait une ori­en­ta­tion religieuse. Et cela m’a poussé à con­tin­uer. La poli­tique islamiste du gou­verne­ment AKP est la rai­son pour laque­lle j’ai cri­tiqué l’Is­lam. Nous avons non seule­ment vu, mais aus­si expéri­men­té à quel point l’Is­lam peut être bru­tal et fas­ciste quand il s’ag­it de pren­dre le pouvoir.

Pen­dant mes études, les man­i­fes­ta­tions de Gezi ont eu lieu en 2013. Mon pre­mier engage­ment poli­tique et les change­ments sig­ni­fi­cat­ifs de mes idées ont com­mencé à par­tir de cette époque.

Je me sou­viens encore très bien de la façon dont cela a com­mencé. Le 28 mai, j’ai voulu boire quelques bières avec un ami et surfer sur Inter­net ou sur Twit­ter. Soudain, nous avons vu des vidéos de sup­port­ers de foot­ball à Istan­bul défi­lant dans la ville sur la place Tak­sim et protes­tant con­tre quelque chose. Nous, la jeune généra­tion, qui en avions assez de la pres­sion, avons eu pen­dant ce court moment l’e­spoir que le temps du gou­verne­ment était enfin ter­miné. Ce que j’ap­pelle ici “pres­sion”, c’est la poli­tique islamo-con­ser­va­trice stricte du gou­verne­ment, l’ingérence du gou­verne­ment dans le mode de vie de la pop­u­la­tion et le culte des sectes et des com­mu­nautés islamistes.

Dans les jours qui ont suivi, d’autres vidéos, pho­tos et rap­ports sur la ter­reur poli­cière à Istan­bul ont été mis­es en ligne. Ce que nous avons vu était effrayant. La vio­lence et la ter­reur con­tre les civils étaient dis­sua­sives. Ce qui nous a émus, nous et les autres, c’est l’ac­tion agres­sive du gou­verne­ment con­tre des per­son­nes nor­males et même non poli­tique­ment motivées pour faire respecter leur pro­pre volonté.

Man­i­fester est un droit humain. Mais quiconque veut revendi­quer et et utilis­er son droit de man­i­fester en Turquie, si cela va à l’en­con­tre des idées du gou­verne­ment Erdoğan, peut être tabassé par des officiers de police, du gaz lacry­mogène peut être util­isé con­tre lui, des bombes à gaz peu­vent être lancées sur sa tête, des balles en plas­tique peu­vent être tirées dans sa fig­ure, ou il peut même être tué avec des balles “légales”. Il peut aus­si arriv­er qu’ils soient arbi­traire­ment placés en garde-à-vue, tor­turés et même tués dans les cas les plus extrêmes. Il peut aus­si arriv­er qu’à qua­tre heures du matin, sa mai­son soit prise d’as­saut par des officiers armés de mitrail­lettes et qu’un raid soit effec­tué parce qu’il-elle a par­ticipé à une man­i­fes­ta­tion. De plus, le gou­verne­ment peut, théorique­ment et de nos jours, en pra­tique, les priv­er de tous droits de l’homme. Le gou­verne­ment Erdoğan déclare là, ouverte­ment : Nous faisons tout ce que nous voulons. Si vous vous opposez à nous, vous serez con­fron­tés par la police et par les ser­vices anti-ter­ror­istes de l’État.

Erdoğan voulait détru­ire le parc Gezi et con­stru­ire autre chose. Ce parc était peut-être le seul espace vert du cen­tre d’Is­tan­bul. C’est pourquoi les éco-activistes ont man­i­festé. Pen­dant les man­i­fes­ta­tions dans le parc Gezi, les deux par­ties, le gou­verne­ment avec les forces de sécu­rité et les man­i­fes­tants paci­fiques se sont affron­tés dans de nom­breuses villes du reste de la Turquie. Des dizaines de per­son­nes sont mortes, des mil­liers ont été blessées, dont cer­taines gravement.

Nous savions que nous allions subir des vio­lences lorsque nous seri­ons dans la rue. Cer­tains de mes amis ont eu des crises d’asthme à cause de l’u­til­i­sa­tion inten­sive de gaz lacry­mogène, l’un d’en­tre eux a été touché à l’œil par une balle en plas­tique. Tout s’est passé juste à côté de moi. J’ai eu de la chance de ne pas avoir été touché par une balle en plas­tique. Pen­dant que je résis­tais dans la rue à la ter­reur d’É­tat, pen­dant que je cri­ais qu’il fal­lait arrêter le gou­verne­ment islamiste, le peu­ple, les gauchistes, les démoc­rates et les Kur­des, qui nous avaient tou­jours été décrits à l’é­cole comme des “mon­stres”, se tenaient à côté de moi. L’É­tat, qui avait été présen­té comme “sacré” tout le temps, était main­tenant con­tre nous.

Il était très proche de nous Berkin Elvan, l’en­fant de 15 ans qui a été mortelle­ment touché à la tête par une bombe à gaz et est mort plus tard de ses blessures à l’hôpi­tal. Nous ne pou­vions pas imag­in­er que la ter­reur d’É­tat irait aus­si loin. Nous avons man­i­festé con­tre elle. Nous voulions marcher jusqu’au bâti­ment de l’AKP et man­i­fester devant lui. La police a de nou­veau réa­gi avec vio­lence. Ce faisant, ils ont prou­vé qu’ils n’é­taient pas là pour pro­téger le peu­ple, mais le gou­verne­ment. Nous avons fui les bombes à gaz et les balles en plas­tique parce que la police nous a tiré dessus délibéré­ment et inten­tion­nelle­ment. En fuite, nous avons trou­vé refuge dans une mai­son et nous nous y sommes cachés jusqu’à ce que la paix soit rétablie. Comme il y avait un dan­ger de pour­suite, nous sommes ren­trés chez nous en emprun­tant des itinéraires dif­férents. J’ai regardé autour de moi tout le temps et je me suis sen­ti en insécurité.

Pen­dant les man­i­fes­ta­tions, un autre jeune homme a été exé­cuté par des policiers. Il s’ap­pelait Ahmet Atakan. Bien sûr, nous voulions aus­si pro­test­er con­tre cela. Lors de cette man­i­fes­ta­tion, je por­tais le foulard kurde appelé aus­si puschi. Je n’avais pas de masque facial et j’é­tais seule­ment là pour pro­test­er paci­fique­ment. Je soupçonne que mon écharpe a sus­cité l’in­térêt des policiers et qu’ils ont essayé de me pho­togra­phi­er à une dis­tance d’en­v­i­ron 3 mètres. Quand j’ai remar­qué cela, j’ai tourné la tête et j’ai essayé d’aller ailleurs. A la fin de cette man­i­fes­ta­tion, la police nous a attaqués et cer­tains des mil­i­tants ont été arrêtés.

Cela m’a dégoûté de voir com­ment les médias ori­en­tés vers Erdoğan (presque tous les médias) se sont com­portés alors que nos amis étaient sim­ple­ment exé­cutés dans la rue. Je con­damne la presse parce qu’elle a man­i­feste­ment men­ti, mais cela a per­mis aux gens de réalis­er encore plus la vérité. Nous, les mil­i­tants, avons été présen­tés dans les médias comme des “ter­ror­istes”. J’é­tais là, mais je n’é­tais pas un ter­ror­iste. Les seuls ter­ror­istes que j’ai vus, c’est la police. Cela m’a fait penser que les reportages sur les Kur­des et aus­si sur d’autres minorités peu­vent con­sis­ter en des men­songes. Depuis lors, j’ai cessé de regarder la télévi­sion parce qu’elle n’est plus crédi­ble pour moi.

Après la fin des man­i­fes­ta­tions de Gezi, le gou­verne­ment a lancé une chas­se aux sor­cières. Ils ont effec­tué des raids sur les maisons de ceux qui avaient par­ticipé aux man­i­fes­ta­tions. Cela a effrayé cer­taines per­son­nes, mais en a poussé d’autres, comme moi, à continuer.

Après ces événe­ments, j’ai com­pris que je devais résis­ter pour défendre mes droits fon­da­men­taux tels que la lib­erté d’ex­pres­sion, d’as­so­ci­a­tion et de réu­nion et pour sur­vivre et exis­ter. J’ai com­mencé une recherche et j’ai échangé ces infor­ma­tions avec mes cama­rades kur­des et aléviEs. J’ai appris ce qu’ils ont vécu, pourquoi ils ont souf­fert. Je ne pou­vais plus rester inac­t­if et je voulais faire quelque chose con­tre de telles injus­tices. Elle n’avait plus rien à voir avec l’o­rig­ine, la reli­gion ou la minorité. C’é­tait une ques­tion d’humanité.

Les man­i­fes­ta­tions de Gezi ont divisé les gens. J’ai mis fin à mon ami­tié avec ceux qui n’avaient pas soutenu les protes­ta­tions. Les gens ont été vio­len­tés parce qu’ils ne demandaient que leurs droits fon­da­men­taux. Il n’é­tait pas ques­tion pour moi d’en­tretenir une ami­tié avec des per­son­nes qui con­sid­éraient une telle chose comme légitime. C’est pourquoi mon cer­cle d’amis fut com­posé de gauchistes et de démoc­rates. C’é­tait mer­veilleux de pro­test­er pour nos droits fon­da­men­taux avec des per­son­nes dif­férentes ayant des idéolo­gies dif­férentes. Je n’avais jamais éprou­vé un tel sen­ti­ment d’u­nité aupar­a­vant. Peu importe leur apparence, peu importe le type de dra­peau qu’ils avaient à la main, quand ils avaient besoin d’aide, quelqu’un venait. Nous avons fait l’ex­péri­ence de la désobéis­sance civile pour la pre­mière fois de notre vie. J’ai ren­con­tré des gens de dif­férentes organ­i­sa­tions. Nous nous sommes organ­isés non seule­ment dans la vie réelle, mais aus­si en ligne. Il était alors pos­si­ble d’a­jouter sim­ple­ment quelqu’un comme ami sur Face­book, même si vous ne con­naissiez pas la per­son­ne per­son­nelle­ment. Vous pou­viez égale­ment dis­cuter de cer­tains sujets en ligne. C’est ain­si que j’ai décou­vert l’ob­jec­tion de con­science, lorsque j’ai ajouté comme ami, Ercan Aktaş qui vit aujour­d’hui en France.

L’idée de devoir devenir sol­dat un jour, de devoir servir cet état et ce sys­tème bru­tal me rendait fou. Je n’ai jamais voulu tuer quelqu’un ou appren­dre à tuer. Mais je n’avais aucune idée s’il était même pos­si­ble de refuser le ser­vice mil­i­taire. Je ne savais rien de l’ob­jec­tion de con­science. Grâce aux dis­cus­sions que j’ai eues avec Ercan Aktaş, j’en ai appris de plus en plus sur le sujet.

Pour lut­ter con­tre une machine qui est pro­gram­mée pour nous tuer et nous priv­er de nos droits fon­da­men­taux, je me suis dit que nous devions la com­bat­tre de manière organ­isée. J’ai donc cher­ché une organ­i­sa­tion appro­priée. C’est ain­si que je suis entré en con­tact avec le HDP.

J’avais égale­ment cri­tiqué le gou­verne­ment en ligne. Alors que je cri­ti­quais le gou­verne­ment AKP pour son sou­tien aux dji­hadistes, j’é­tais heureux de la libéra­tion de l’IS par les Kur­des et de la vic­toire à Ar-Raqqa, en Syrie.

A peine avais-je pub­lié des arti­cles à ce sujet que ma mère m’a appelé. Sa voix trem­blait. Elle avait man­i­feste­ment peur. Elle a dit qu’elle avait été appelée par des unités anti-ter­ror­istes et que je devrais sup­primer mes postes. J’ai eu peur et j’ai dés­ac­tivé mon compte Face­book. En Turquie, il existe deux types de per­sé­cu­tion. La pre­mière est offi­cielle et se fait par le biais d’ac­cu­sa­tions, d’en­quêtes, etc. La sec­onde n’est pas offi­cielle, elle se fait par l’ob­ser­va­tion et la pres­sion. Ce que j’ai vécu alors cor­re­spondait claire­ment au deux­ième type. À l’époque, de nom­breuses pres­sions étaient exer­cées con­tre les démoc­rates et surtout con­tre le HDP. Un exem­ple est l’at­ten­tat à la bombe con­tre un bâti­ment du HDP à Mersin. Les atten­tats à la bombe per­pétrés à Suruç et à Ankara par des organ­i­sa­tions dji­hadistes soutenues par l’É­tat con­tre des rassem­ble­ments du HDP m’ont égale­ment fait peur. À l’époque, il y avait aus­si un bus de notre ville pour la réu­nion à Ankara. En fait, je voulais y aller aus­si, mais j’ai dû l’an­nuler à cause de mes exa­m­ens. J’au­rais pu être là et mourir aus­si. C’é­tait aus­si sim­ple que cela. Je ne me sen­tais plus en sécurité.

Avec mes nou­velles idées, je suis entré en con­flit avec ma famille. Je suis devenu le mou­ton noir de la famille.

À cette époque, je me sen­tais proche d’une organ­i­sa­tion marx­iste-lénin­iste que je ne souhaite pas citer. Pen­dant un cer­tain temps, j’ai assisté à leurs réu­nions. Mais après quelques dis­cus­sions idéologiques, j’ai com­pris que ce n’é­tait pas mon truc. Cela m’est apparu con­crète­ment lorsque nous avons organ­isé un con­cert en été avec un groupe de musique proche de l’or­gan­i­sa­tion. J’ai vu com­ment cette organ­i­sa­tion marx­iste-lénin­iste vénérait la mort, le sang et les armes, ce que je rejette. Ensuite, ils ont égale­ment fait des déc­la­ra­tions dis­crim­i­na­toires à l’en­con­tre des per­son­nes issues des rangs des LGBT, ce qui était inac­cept­able à mes yeux. Je ne voulais pas non plus con­stru­ire un État marx­iste-lénin­iste comme celui que propageait l’or­gan­i­sa­tion. J’ai com­pris que j’é­tais beau­coup plus proche du HDP. Elle a sim­ple­ment accep­té toutes sortes de per­son­nes. Cela cor­re­spondait à mon idée d’être un mil­i­tant des droits de l’homme, des minorités, de l’ob­jec­tion de con­science et de l’écologie.

Le 15 juil­let 2016, il y a eu une ten­ta­tive de coup d’É­tat. J’ai essayé de com­pren­dre ce qui se pas­sait. Erdoğan a appelé les gens à descen­dre dans la rue. C’é­tait le chaos. Il y avait tout le temps des appels à la prière et au dji­had depuis les mosquées. Ma famille a immé­di­ate­ment détru­it tous mes livres, mes mag­a­zines et tous les médias poli­tiques. Bien sûr, le mou­ton noir de la famille n’avait pas le droit de ruin­er la vie des autres. Pour moi, c’é­tait comme ce que les Juifs ont dû ressen­tir pen­dant la Sec­onde Guerre mondiale.

Cette nuit-là, j’ai pris la déci­sion de quit­ter le pays dans lequel j’ai gran­di, les rues où j’ai passé mon enfance, ma famille et tout le reste.

Après la ten­ta­tive de coup d’É­tat, l’é­tat d’ur­gence a été déclaré. Des arresta­tions et des attaques con­tre des mem­bres de l’op­po­si­tion ont suivi. 1 767 organ­i­sa­tions ont été fer­mées, des mil­liers de per­son­nes ont été licen­ciées, des cen­taines de mil­liers ont été empris­on­néEs et tor­turéEs. Beau­coup ont été enlevés et tués. Même le coprési­dent du HDP, Sela­hat­tin Demir­taş, a été empris­on­né. Il y avait de l’ar­bi­traire. L’op­po­si­tion n’avait aucune sécu­rité de vie ou de pro­priété. En voy­age, les gens devaient con­stam­ment pass­er par plusieurs postes de con­trôle de police jusqu’à ce qu’ils puis­sent attein­dre leur des­ti­na­tion. Bien que je n’ai pas été offi­cielle­ment per­sé­cuté à cette époque, j’é­tais inqui­et. A chaque con­trôle de police, je pen­sais qu’il y avait peut-être un man­dat, mais je n’é­tais pas au courant. Du jour au lende­main, des man­dats d’ar­rêt ont été délivrés. Les gens étaient alors arrêtés immé­di­ate­ment au prochain con­trôle. Indépen­dam­ment de cela, la police voit toutes les infor­ma­tions poli­tiques lors d’un con­trôle d’i­den­tité. En cas d’é­tat d’ur­gence, ils auraient pu pren­dre des mesures arbi­traires à mon encon­tre. J’avais peur de cela aussi.

L’or­gan­i­sa­tion de marx­iste-lénin­iste sus­men­tion­née à Mersin a égale­ment été fer­mée. Comme je l’ai appris par quelqu’un de l’or­gan­i­sa­tion, les unités anti-ter­ror­istes ont mon­tré mes pho­tos lors d’une audi­tion et ont posé des ques­tions à mon sujet. Je savais que mon heure était venue, peu à peu.

Psy­chologique­ment j’é­tais épuisé. Je ne pou­vais pas dormir. Quand je dor­mais, je fai­sais des cauchemars. Je me sou­viens encore que je devais sou­vent me ren­dre aux urgences au milieu de la nuit parce que j’avais des crises. J’ai tou­jours eu peur lorsque je voy­ais un polici­er Chaque fois que je voy­ais la lumière rouge et bleue d’une voiture de police sor­tir, de ma fenêtre, je me dis­ais : “OK, cette fois-ci, c’est pour moi”.

J’ai dit à ma famille que je voulais par­tir et je leur ai demandé de m’aider. Ils m’ont aidé et je leur en suis très recon­nais­sant. Fin 2017, il était temps. J’ai quit­té la Turquie. Je vis main­tenant en Alle­magne et je ne suis jamais retourné en Turquie depuis mon départ. Je ne pense pas que je rever­rai ma famille. Bien que j’habite à 3 000 kilo­mètres de là, j’ai été accusé en rai­son de mes con­tri­bu­tions dans les médias soci­aux et des enquêtes ont été ouvertes. La rai­son en est que j’au­rais “insulté Erdoğan, le min­istre de l’in­térieur Soy­lu et l’É­tat turc”. A cela s’a­joute l’ac­cu­sa­tion de “pro­pa­gande pour une organ­i­sa­tion terroriste”.

Je ne tuerai jamais per­son­ne. Je ne deviendrai pas un sol­dat de ce sys­tème, un sys­tème qui veut m’éliminer.

Je ne veux pas qu’on retrou­ve mon corps dans une caserne à cause de mes opin­ions poli­tiques. Je ne vais pas nour­rir le gou­verne­ment islamiste avec des  foutais­es de “mar­tyr”. Pourquoi faut-il que je tue quelqu’un de toute façon ? Pourquoi devrais-je me bat­tre pour la “Patrie” alors que cette Patrie veut me chas­s­er ? Pourquoi est-ce “ma Patrie”, si je n’ai même pas le droit de dire ce que je pense et si je n’ai pas le droit d’ex­is­ter ? Je refuse le ser­vice mil­i­taire en rai­son de ma con­science et de mes opin­ions poli­tiques et religieuses.

J’ai tou­jours refusé et je refuserai tou­jours la vio­lence, surtout dans l’ar­mée turque. Je ne par­ticiperai à aucune organ­i­sa­tion armée et violente.

Que se passe-t-il dans l’ar­mée turque ? Surtout si vous avez des idées opposées ou si vous n’êtes pas dans le courant dom­i­nant, vous risquez d’être intimidé par le com­man­dant pen­dant votre ser­vice mil­i­taire. En effet, les rap­ports des ser­vices secrets sont déjà arrivés à la caserne avant la con­scrip­tion. Il est égale­ment pos­si­ble que l’on se soit “apparem­ment” sui­cidé. Et per­son­ne ne peut prou­ver le con­traire. Il y a plusieurs exem­ples. D’autre part, il faut se bat­tre quand on en reçoit l’or­dre. À cela s’a­joute un lavage de cerveau mar­qué par le fanatisme et le nation­al­isme, qui ne doit pas être remis en ques­tion. Per­son­nelle­ment, je ne veux pas me bat­tre pour les fron­tières, con­tre la soi-dis­ant ter­reur ou pour la patrie, ni faire par­tie d’une organ­i­sa­tion qui se bat pour de telles choses et utilise la vio­lence. Je suis né en tant qu’être humain et je resterai un être humain. La vio­lence mil­i­taire, par con­tre, trans­forme les gens en monstres.

L’ob­jec­tion de con­science n’est tou­jours pas recon­nue en Turquie, bien qu’il s’agisse d’un droit de l’homme. Ceux qui refusent de servir sont d’abord con­damnés à une amende, puis empris­on­nés. Chaque fois que vous souhaitez séjourn­er à l’hô­tel, la police vient la nuit et vous demande de sign­er un doc­u­ment qui vous oblige à vous présen­ter pour le ser­vice mil­i­taire dans les 15 jours. Si, à un moment don­né, vous souhaitez vous ren­dre dans une autre ville et que vous êtes con­trôlé, la même chose se pro­duit, ain­si qu’un sim­ple con­trôle d’i­den­tité dans la rue. Vous n’êtes pas autorisé à tra­vailler de toute façon. L’É­tat turc m’oblige à une mort civile si je ne veux pas devenir sol­dat.

C’est une blessure dans la société turque. Parce que l’É­tat et le gou­verne­ment de Erdoğan ont tou­jours admiré la vio­lence et la mil­i­tari­sa­tion, les gens con­sid­èrent le ser­vice mil­i­taire comme un sym­bole de viril­ité et de patri­o­tisme. Mais moi, je dis non à cela. J’ap­pelle la nou­velle généra­tion à refuser le ser­vice mil­i­taire, même si ce n’est pas un moyen facile.

Mert­can Güler


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Ercan Jan Aktaş
Auteur
Objecteur de con­science, auteur et jour­nal­iste exilé en France. Vic­dan retçisi, yazar, gazete­ci. Şu anda Fransa’da sürgünde bulunuy­or. Con­sci­en­tious objec­tor, author and jour­nal­ist exiled in France.