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Vous aviez demandez la police ? Ne floutez-pas.
J’ai bien reçu ton cadeau de Noël, merci. Fallait-pas. Mais tu sais, “Matin brun”, ça m’a rappelé quelque chose. Une autre histoire de chiens.
C’est vrai qu’au début, ça ne fait même pas mal. C’est comme un cancer qu’on aurait pas diagnostiqué. Un amas de cellules qui pullulent toutes seules. Quand on s’en aperçoit, le matin est brun, et tes libertés ont brûlés comme un livre laissé trop près du feu.
Ta sécurité globale est devenue ta prison globale et tu es confinéE dedans.
J’ai vu qu’un de tes ministres, amateur de femmes en état de faiblesse à l’occasion, travaille à donner à vos policiers l’impunité que certains demandent dans leur maintien du désordre. Ils ne voudraient plus paraît-il voir leur bobine filmée en gros plan pendant qu’ils cognent dans le tas. Ils en feraient un complexe, un trouble psychique… Ils en ont assez du “filmez, diffusez, y a tout à voir” et voudraient revenir au bon vieux “circulez, y a rien à voir”. Bref, comme chez nous, que le journalisme soit un crime.
Remarque bien que pour la police, empêcher de filmer vaut mieux que crever les yeux pour ne pas être vu non ?
C’est sans doute ça la démocratie, économiser les munitions.
Bon, tu sais, la Turquie a pris de l’avance, mais ton gouvernement va la rattraper, et plus vite que tu ne le penses. Caméras de police, drones, reconnaissance faciale, polices à uniformes variables, c’est le quotidien déjà ici. Les armes autorisées pour la bonne protection du fonctionnaire. La modernité globalement sécuritaire quoi. De toutes façons, à part les femmes et LGBTIQ, et les Kurdes bien sûr, ceux ou celles qui se risquent encore à vraiment manifester ici se font rares. Tu verras, l’auto-censure, ça devient vite une habitude. D’ailleurs j’ai cru comprendre que pas mal de vos journalistes la pratiquent déjà. Après, vient le cirage de pompes, pour toujours rester du côté de la main qui donne.
Mais ce que je constate, c’est que le gouvernement français te la fais à l’envers, sur la police.
Nous, on a eu l’armée durant presque un siècle, avec des présidents dits “démocratiques”, mais contrôlés par la menace du coup d’état permanent. C’était la période laïque où le nationalisme d’Etat était musulman. Ce fut ma jeunesse, mon bain de turcité. Au début des années 2000, on a vu se pointer le frérot Erdoğan, qui, avec son acolyte Gülen, réclamait la “liberté”. Le matin brun a verdi, avec l’aide de ta chère Union Européenne. On a même failli en faire partie, comme un exemple de synthèse “turco islamique” laïque. Cela s’est gâté ensuite. Je ne vais pas te raconter encore comment le frérot s’est débrouillé pour endormir tout le monde et enfermer le reste. Mais aujourd’hui, on a matin brun et vert et… sécurité globale. Et le frérot président, de par la constitution.
Pour toi, j’ai l’impression que ton président, en essayant de garder sa place, fait voter des lois pour celle qui pourrait bien le remplacer dans un an. Pour un libéral de la finance, ratisser pour une souverainiste de la fachosphère, ça semble surréaliste. Mais pour toi, le résultat sera le même : libéral, autoritaire, globalement sécurisé. Peut être un chouïa de racisme en plus, c’est le brun qui veut ça. Et là, vous avez pour cela les “intellectuellEs de la réserve” qui s’entraînent à la télé.
Tu auras bientôt aussi les “vrais journalistes” sur ta télé, comme ici, et les “faux journalistes” inculpés, pour avoir stressé ta police. Attends un peu et tu verras arriver l’accusation de “terrorisme”, ou de “complicité de terrorisme”, juste parce qu’ils seront moins Charlie que demandé.
Vu d’ici, la France “à la turca”, ça ne donne plus très envie.
Bon, bien sûr, j’exagère, comme d’habitude. La France en brun serait un contresens historique, paraît-il. D’ailleurs, c’était noir et vert de gris, les vraies couleurs.
C’était l’eau de Vichy qui avait un dépôt brun.