Le 20 octobre, l’organisation de jeunesse du Parti de la justice et du développement (AKP) a partagé une vidéo sur son compte de médias sociaux… “Tu es”… dit la vidéo.
La vidéo fut partagée sous le titre “Qui es-tu ?” (Sen Kimsin?) sur Twitter, et, suite aux réactions du public, le hashtag #senkimsin est devenu viral.
Cette vidéo mélange animations et toutes sortes d’effets visuels, utilisant une palette étendue, pour faire jeune. Elle commence très fort avec Musʽab ibn’Umair, un compagnon sahabi du prophète Mahomet. Il s’agit d’un inventaire glorieux de toutes sortes d’icônes et de l’imagerie épique, entremêlant la turcité et l’Islam, l’ottoman et la République. Vous pouvez y trouver des figures telles que les sultans ottomans Soliman le Magnifique et Mehmed le Conquérant, l’ancien Premier ministre Adnan Menderes, et le poète Necip Fazıl Kısakürek. Mais aussi des vétérans de la guerre d’indépendance, au “soldat petit Mehmet” sacrifié dans diverses guerres que la Turquie mène aujourd’hui, des scientifiques ou sportifs “mondialement connus”, aux “martyrs” du coup d’Etat raté du 15 juillet 2016… “Je suis xxx” dit la vidéo, en déversant ainsi une liste de noms, majoritairement masculins. Tout y est… On remarque même une représentation de Mustafa Kemal en ombre chinoise, sur son cheval, sans qu’il soit nommé…
Bien évidemment, ce défilé populiste aux couleurs nationalistes, se termine les yeux dans les yeux du président de l’AKP : Recep Tayyip Erdoğan.
Conçue à des fins publicitaires, ‑pour ne pas prononcer le mot propagande- la vidéo a reçu dès son apparition, de nombreuses réactions négatives sur les médias sociaux, avec des messages faisant référence à la violence, à la répression d’Etat, aux féminicides, aux arrestations, au racisme exponentiel en Turquie, mais aussi à la violence contre les animaux, la destruction de la nature…
Juste quelques exemples dans le désordre…
Défense des femmes : “Je suis Nadira Kadirova, qui est morte de façon suspecte dans la maison du député AKP Şirin Ünal. Je suis Rabia Naz, dont le meurtrier “ne peut être trouvé”, je suis Yeldana Kaharman. Ayşe Paşalı, Emine Bulut, Özgecan Aslan, Şule Çet, Aleyna Çakır… Je suis toutes les femmes massacrées et je suis celle qui va renverser ton règne”.
İstanbul Solidarité pour les montagnes de l’Ida : “Je suis les montagnes Ida, les ruisseaux et les hauts plateaux de la mer Noire, Kışladağ, les forêts du Nord, Hasankeyf, Fatsa, que vous avez détruites avec vos centrales géoélectriques, vos centrales hydroélectriques et toutes sortes de projets monstrueux ; je suis l’arbre, l’oiseau, l’insecte et l’air. En bref, je suis la nature !”
“Je suis Kemal Kurkut, assassiné par la police en pleine rue, en allant célébrer ma fête.”
“Je suis Mehmet Ayvalıtaş, Abdullah Cömert, Ethem Sarısülük, Ali İsmail Korkmaz, Ahmet Atakan, Berkin Elvan, Burak Can Karamanoğlu, Mehmet İstif, Elif Çermik, qui ont perdu la vie à Gezi ; je suis 301 mineurs qui ont perdu la vie à Soma ; je suis les 103 vies perdues à la gare d’Ankara”.
Co-présidente de l’Association des droits de l’homme (İHD), avocate Eren Keskin : “Je suis l’avocat Medet Serhat et Şevket Epözdemir, qui ont été assassinés par la contre-guérilla ; je suis l’avocat Tahir Elçi !”
Centre culturel Kazım Koyuncu1 : “Nous sommes les ruisseaux que vous avez détruits avec vos centrales hydroélectriques ; nous sommes le Cerattepe et d’autres endroits que vous avez creusés pour de l’or ; nous sommes Kazım et d’autres comme lui que vous avez rendus malades de cancer.”
“Je suis İlhan Çomak, dont la vie fut volée à 21 ans, par une déposition signée par la force, sous 18 jours de tortures, et qui est maintenu en prison, malgré l’absence totale d’une quelconque preuve concrète [de culpabilité] et malgré la décision de libération de la Cour de justice européenne des droits humains, à sa 22ème année d’incarcération, et qui, depuis 26 ans mène une lutte pour la JUSTICE depuis la prison.”
“Je suis Dilek Özçelik. Celle à qui, le ministre a tenté de glisser quelques billets dans la poche, alors qu’elle demandait l’accès à des médicaments. Celle qui n’a jamais pu faire entendre ses cris. Celle qui fut abandonnée à la mort”.
“Je suis Hrant Dink, qui a été odieusement assassiné par une gâchette de l’Etat.”
“Je suis Nadira Kadirova, assassinée par Şirin Ünal de l’AKP. Je suis Rabia Naz [11 ans], que vous avez assassinée, et clos son dossier en le classant comme suicide. Je suis Gülistan Doku, que vous n’avez pas retrouvée depuis 290 jours. Je suis Furkan Celep, Sibel Ünli, Ömer Ateş, Melek Kurtuluş, Berfin, que votre système a exploité…”
“Je suis l’enseignant Metin Lokumcu, que vous avez matraqué et tué par les gaz lacrymogènes.”
“Je suis le ‘soldat petit Mehmet’, qui a 20 ans, précieux pour sa mère comme ses prunelles. Je suis celui que vous avez sorti de sa caserne en lui disant “pour une opération”, et qu’ensuite vous avez décapité sur le pont du Bosphore. Ou encore celui que vous avez condamné à la perpétuité sous prétexte qu’il serait membre de la confrérie de Gülen. Dans ce pays où même les officiers commanditaires et les politiques ont été blanchis, je dors dans une cellule pour 8 personnes que je partage avec 42 prisonniers.
(Nous préférons ne pas intégrer la capture ce tweet comportant des images qui peuvent choquer le public sensible. Toutefois, voici le lien)
“Je suis l’oncle Recep, qui a participé avec des chaussures caoutchouc déchirées, à l’enterrement de mon fils que j’ai perdu lors du massacre de la mine d’Ermenek, qui ensuite, s’est éteint de tristesse, puis de corona.”
“Je suis la mère d’Agit Ipek, à qui vous avez envoyé les ossements de son fils mort dans un colis de la poste.”
“Je suis l’enfant, travailleur saisonnier dont vous dites ‘il est en vacances avec sa famille’.”
“Je suis Hasankeyf que vous avez recouvert de votre mentalité destructrice.”
“Je suis Istanbul dont vous avez détruit les espaces verts, avez supprimé les places de sécurité d’une importance vitale en cas de tremblement de terre, pour y construire des centres commerciaux, et dont vous avez dit ensuite “Nous avons trahi à Istanbul”[dixit Erdogan]. Un grand séisme est attendu prochainement, aucun mesure n’est prise…”