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Tra­duc­tion d’une tri­bune de Sela­hat­tin Demir­taş, ancien co-prési­dent du Par­ti démoc­ra­tique des peu­ples (HDP), en prison depuis près de qua­tre ans, rédigée depuis la prison d’Edirne.

Suite à des man­dats d’ar­rêt émis le 25 sep­tem­bre con­tre 82 per­son­nes, ce 9 octo­bre 2020, plusieurs dizaines de per­son­nes furent arrêtés lors d’opéra­tions menées dans le cadre de “l’enquête Kobanê”. 17 mem­bres, 20 respon­s­ables du HDP, dont Ayhan Bil­gen ancien maire de Kars, furent placés en garde-à-vue et sont incar­céréEs. Sır­rı Süreyya Önder, Altan Tan, Gülfer Akkaya ont été remis­Es en lib­erté con­di­tion­nelle. Les faits qui leurs sont reprochés remon­tent au mois d’oc­to­bre 2014. Des man­i­fes­ta­tions de sou­tien avaient eu lieu en Turquie, dénonçant les attaques de l’organisation dji­hadiste Daesh, soutenue alors par l’Etat turc, con­tre la ville de Kobanê dans le nord de la Syrie.

Cette tri­bune, alors que le régime turc prend pré­texte d’événe­ments de 2014, alors en pleine offen­sive de Daech, non seule­ment éclaircit ces événe­ments de 2014, mais démon­tre que l’of­fen­sive poli­tique con­tre le HDP s’ap­puie sur des pré­textes où tout incrim­ine le régime lui-même.

Le complot contre le HDP sous le prétexte de Kobanê

En 2014, Kobanê a égale­ment con­nu la bar­barie de l’É­tat islamique (EI), tout comme de nom­breux endroits en Syrie et en Irak. Plusieurs man­i­fes­ta­tions furent organ­isées dans le monde entier pour pro­test­er con­tre les mas­sacres sanglants et sidérants de l’EI. En août 2014, de nom­breuses man­i­fes­ta­tions effi­cientes eurent égale­ment lieu en Turquie, et l’at­ten­tion du monde entier se focal­isa de plus en plus sur Kobanê. Des voix deman­dant que la coali­tion inter­na­tionale inter­vi­enne con­tre l’EI se firent alors enten­dre au niveau mon­di­al. Dans le même temps, au cours du “proces­sus de paix” ayant débuté en 2013 en Turquie, une étape était franchie pour que le PKK dépose com­plète­ment les armes et qu’une solu­tion démoc­ra­tique soit trouvée.

Le Par­ti démoc­ra­tique des peu­ples (HDP), dont j’é­tais le coprési­dent à l’époque, fut l’un des acteurs poli­tiques de ce proces­sus de paix. La par­tie la plus déli­cate du proces­sus con­sis­tait à s’as­sur­er que toutes les par­ties et le pub­lic se fai­saient con­fi­ance, et que la trans­parence était assurée autant que pos­si­ble. Il est pos­si­ble d’émet­tre de nom­breux avis sur le “proces­sus de réso­lu­tion”, mais il con­vient de not­er que toutes les par­ties prenantes des pour­par­lers, ain­si que le pub­lic, ont main­tenu leur bonne volon­té et soutenu le processus.

Quelle était la situation jusqu’au 6 octobre 2014 ?

Après ce bref rap­pel, je voudrais dire quelques mots sur les opéra­tions poli­tiques annon­cés comme “élar­gies”, pré­tex­tant des liens avec Kobanê. Durant six ans, il n’y a eu qu’une seule preuve avancée pour les opéra­tions poli­tiques et judi­ci­aires con­stantes, y com­pris les opéra­tions de police et les attaques des médias. C’est une déc­la­ra­tion partagée par le compte Twit­ter du HDP. Per­me­t­tez-moi d’ex­pli­quer, une fois de plus, pourquoi cette déc­la­ra­tion avait été publiée.

Les attaques de l’EI s’é­taient inten­si­fiées mal­gré plusieurs semaines de protes­ta­tions. Alors que notre Comité exé­cu­tif cen­tral (MYK) se réu­nis­sait, la nou­velle est tombée que l’EI était sur le point de pren­dre le con­trôle du por­tail frontal­ier Mürşit­pı­nar à Suruç, dans le sud de la Turquie. Cette porte était le seul et dernier point d’en­trée pour l’aide qui était envoyée, ou qui serait envoyée, depuis la Turquie, à Kobanê. Quelques jours aupar­a­vant, le 1er octo­bre, le Pre­mier min­istre de l’époque, Ahmet Davu­toğlu, avait déclaré lors d’une réu­nion que nous avions eue avec lui, que la Turquie ferait tout ce qui était néces­saire pour aider Kobanê. C’é­tait d’une impor­tance his­torique en ter­mes de paix interne, de bonnes rela­tions avec les autres Kur­des vivant dans la région, et pour le suc­cès du proces­sus de paix. Jusqu’alors, au siège du HDP, nous n’avions pas adressé de cri­tiques sévères au gou­verne­ment du Par­ti de la jus­tice et du développe­ment (AKP), avec lequel nous avions dia­logué pen­dant le proces­sus de paix. Nous n’avions pas protesté con­tre le gouvernement.

Nous essayions con­stam­ment de résoudre les prob­lèmes par le dia­logue. En fait, à la suite de notre ren­con­tre avec M. Davu­toğlu le 1er octo­bre 2014, j’avais déclaré que la réu­nion était pos­i­tive et j’avais remer­cié le gou­verne­ment. Pour­tant, dans les cinq jours qui suivirent, le gou­verne­ment n’a pas fait un seul pas pour aider Kobanê, alors qu’il avait promis de le faire. Le soir du 6 octo­bre 2014, nous avons voulu informer le pub­lic de l’ur­gence et de la grav­ité de la sit­u­a­tion à Kobanê, et le sen­si­bilis­er. Nous avons égale­ment cri­tiqué et protesté con­tre l’AKP, pour la pre­mière fois. Notre seule préoc­cu­pa­tion, lorsque notre Comité exé­cu­tif cen­tral a pub­lié ce mes­sage sur Twit­ter, était de savoir si le tra­vail de base du dia­logue pour le proces­sus de paix allait être com­pro­mis. Mais, finale­ment, il a été décidé que si un mas­sacre devait avoir lieu à Kobanê, cela aurait nui encore davan­tage au proces­sus de paix et que, par ailleurs, j’au­rais une con­ver­sa­tion télé­phonique avec Davu­toğlu et lui trans­met­trais la situation.

Au cours de la con­ver­sa­tion télé­phonique de 12 min­utes avec le Pre­mier min­istre Davu­toğlu, je l’ai infor­mé de l’évo­lu­tion de la sit­u­a­tion et de notre posi­tion. S’il le souhaitait et s’il s’en sou­ve­nait, il pour­rait révéler lui-même ce qu’il nous a dit alors.

Après le partage de la déc­la­ra­tion du HDP, à 21h50, dans la soirée du 6 octo­bre, plusieurs man­i­fes­ta­tions eurent lieu en Turquie et dans le monde entier. Ces man­i­fes­ta­tions étaient la con­tin­u­a­tion de celles entamées depuis août 2014, et elles se sont avérées effi­caces. Cepen­dant, pas un seul inci­dent, de vio­lence, de blessures ou de décès n’eurent lieu. Par ailleurs, le lende­main matin, aucune man­i­fes­ta­tion n’eut lieu et aucun inci­dent ne se pro­duisit non plus. Le calme rég­nait partout, mais nous étions dans une péri­ode d’at­tente et de ten­sion. En tant que HDP, nous dis­cu­tions de l’op­por­tu­nité d’or­gan­is­er un rassem­ble­ment mas­sif à Suruç, de l’autre côté de la fron­tière avec Kobanê, et nous explo­ri­ons les moyens d’y parvenir.

Si le HDP avait appelé à la vio­lence, pourquoi cela n’a-t-il jamais été mentionné ?

Main­tenant, je veux attir­er votre atten­tion sur cet aspect très impor­tant : Ni le 6 ou le 7 octo­bre, ni le 8 ou le 9 octo­bre, per­son­ne n’a lais­sé enten­dre que la déc­la­ra­tion du HDP con­te­nait un quel­conque “appel à la vio­lence”. A tel point que le Prési­dent Erdoğan, lors de son dis­cours au camp de réfugiés İsl­ahiye, dans la province de Gaziantep, le 7 octo­bre, n’avait pas pronon­cé un seul mot con­cer­nant un appel à la vio­lence du HDP. Il ne l’a pas fait parce qu’un tel appel n’ex­iste pas. Si la déc­la­ra­tion du HDP avait été du genre à dire “Détru­isez tout, brûlez tout”, comme on le pré­tend aujour­d’hui, et comme c’est l’ob­jet prin­ci­pal des accu­sa­tions, alors le prési­dent, dans son dis­cours du lende­main, n’au­rait-il pas dû dire “Ne vous lais­sez pas provo­quer. N’é­coutez pas l’ap­pel du HDP. Ne détru­isez rien, évitez la vio­lence” ? Cela aurait été néces­saire. Mais il n’a rien dit de tel parce qu’il n’y a pas eu de vio­lences, ni même une seule per­son­ne qui a pris le mes­sage du HDP comme un appel à la violence.

De plus, après l’ap­pel du HDP, il n’y a eu aucune déc­la­ra­tion du Pre­mier min­istre, du Prési­dent du Par­lement, du min­istre de l’In­térieur ou des par­tis d’op­po­si­tion dis­ant  “le HDP appelle à la vio­lence, ne cédez pas à la provo­ca­tion, n’é­coutez pas cet appel”. Cela est dû au fait qu’il n’y a eu aucune vio­lence, ni la moin­dre per­cep­tion que la déc­la­ra­tion du HDP était un appel à la vio­lence. Si un par­ti poli­tique avait lancé un appel à la vio­lence, alors il y aurait eu un aver­tisse­ment au niveau offi­ciel ou civ­il du pays. Il n’y en a pas eu, car il n’y a pas eu d’ap­pels à la violence.

La violence a commencé après les propos de Erdoğan sur la chute de Kobanê

Pourquoi alors, mal­gré cela, tant de vio­lences, de mas­sacres et de destruc­tions eurent-ils lieu ? Je devrais à nou­veau vous rap­pel­er le dis­cours du Prési­dent Erdoğan du 7 octo­bre 2014. Qu’a-t-il dit alors ? Il a dit : “Kobanê est sur le point de tomber.” C’est cette phrase qui a déclenché les provocations.

Après ce dis­cours, les gens ont recom­mencé à man­i­fester dans quelques endroits. Parce que le prési­dent du pays, au lieu d’aider Kobanê — vous savez, il y avait un proces­sus de paix, il était cen­sé y avoir la paix avec les Kur­des, comme on pou­vait s’y atten­dre, les mères n’é­taient pas cen­sées pleur­er — même presque avec bonne humeur, déclarait que Kobanê allait bien­tôt tomber. La pre­mière provo­ca­tion a eu lieu immé­di­ate­ment après ce dis­cours. Dans le dis­trict de Var­to, dans la province de Muş, la police a tiré sur les man­i­fes­tants, tuant Hakan Buk­sur, 25 ans, mem­bre du HDP. Le même jour, 13 autres per­son­nes furent tuées par des incon­nus ou par des per­son­nes dont l’i­den­tité fut cachée. Ain­si, des provo­ca­tions ont com­mencé, et par le mas­sacre de mem­bres du HDP.

Pensez-vous que vous êtes intelligents et que les gens sont stupides ?

Ain­si, à Var­to, où les mem­bres du HDP furent tués, et où il n’y a pas eu la moin­dre enquête pour con­naître l’i­den­tité des tueurs, y com­pris par les forces de police en ser­vice, tous ces tueurs auraient été appelés à l’ac­tion par le HDP ? Et ils allaient con­tin­uer à tuer d’autres mem­bres du HDP ? Vous vous moquez de notre rai­son ! Presque tous les mag­a­sins incendiés apparte­naient à des mem­bres du HDP. Pensez-vous que les mem­bres du HDP ont fait cela après avoir lu les tweets du HDP ? Pensez-vous que vous êtes très intel­li­gents et que les gens sont stu­pides ? Pensez-vous que les gens ne savent pas que des mem­bres de Hizbi Kon­tra et des par­ti­sans de l’EI ont reçu des armes et ont été envoyés dans les rues ? Pensez-vous que tout cela sera gardé en secret pour l’éternité ?

Pensez-vous que nous allons oubli­er com­ment vos par­ti­sans ont provo­qué les gens avec le fanatisme et la pro­pa­gande de l’EI ?

Ou pensez-vous que nous allons oubli­er vos alliés, qui ont ajouté de l’huile sur le feu, ampli­fi­ant la vio­lence et les provocations ?

Cemil Bar­las (directeur de HaberX)  : “Je ne sais pas pour Murat_z06 tr, mais à Konanê, je suis désor­mais sup­port­er de daesh ;)”

Pensez-vous encore que per­son­ne n’a vu les images mon­trant la rela­tion étroite qui s’est dévelop­pée entre les mem­bres de l’EI et le per­son­nel de sécu­rité à la fron­tière de Kobanê ?

Pensez-vous que nous allions oubli­er le per­son­nel de sécu­rité qui a ali­men­té les flammes, ampli­fi­ant la vio­lence et les provocations ?

Pensez-vous que vous serez libérés de toute responsabilité ?

Pen­siez-vous que, avec les qua­tre agences de ren­seigne­ment et les dizaines de forces de sécu­rité, sous le com­man­de­ment du gou­verne­ment, vous seriez dégagés de toute respon­s­abil­ité en attribuant à l’a­vance la respon­s­abil­ité au HDP, de toutes les atroc­ités qui n’ont pu être  arrêtées ? Au HDP, un par­ti d’opposition ?

Pensez-vous que nous allions oubli­er les chroniqueurs Hilal Kaplan et Abdul­lah Selvi, qui m’ont directe­ment accusé nom­mé­ment et ont été les insti­ga­teurs du pre­mier lyn­chage ? Cela s’est pro­duit après que toutes les provo­ca­tions et la vio­lence aient été gérées et stop­pées, avec le sou­tien du HDP.

Ces deux noms sont tou­jours men­tion­nés ain­si qu’une struc­ture, intéres­sante, appelée “Pelikan”.1 Cette struc­ture a été capa­ble de ren­vers­er un pre­mier min­istre dans le pays. Pensez-vous que toutes les allé­ga­tions con­nex­es et l’opéra­tion du 4 novem­bre con­tre le HDP ne fer­ont pas l’ob­jet d’une enquête sans fin ? Pensez non seule­ment aux mas­sacres de Kobanê, mais aus­si à ceux de 5 juin 2015 à Diyarbakır, du 20 juil­let 2015 à Suruç et du 10 octo­bre 2015 à Ankara. Pensez-vous vrai­ment que ses par­ti­sans seront tenus secrets pour toujours ?

Quand, un jour, la loi com­mencera à fonc­tion­ner, les doc­u­ments et les preuves qui en sor­tiront sur­pren­dront même leurs propriétaires.

Croyez-vous vrai­ment que vous pour­rez faire tomber le HDP, que vous ne pour­riez pas traiter par la poli­tique ou par les urnes, avec vos gangs dans le sys­tème judi­ci­aire et dans les médias ?

Vous nous avez de nou­veau arrêtés après six ans. Vous dites que nous sommes les insti­ga­teurs des mas­sacres de Kobanê alors que nous en étions de fait les vic­times. Pensez-vous pou­voir nous en ren­dre respon­s­ables par des con­spir­a­tions basées sur des témoins secrets et être exonérés de cette respon­s­abil­ité ? Pensez-vous que ce com­plot ne sera pas résolu un jour dans toutes ses dimensions ?

Vous devez sincère­ment croire que le fas­cisme sur lequel vous vous appuyez aujour­d’hui exis­tera éter­nelle­ment et que vous con­tin­uerez , mal­gré tout ce que vous avez fait. Je ne pense pas que vous soyez très courageux ou audacieux.

Qu’avons-nous jamais fait, à part résis­ter, pour vous faire croire que vous serez capa­ble de nous intimider ou de nous décourager ?

Mais, ras­surez-vous, le cer­cle autour de vous se resserre, et les jours où vous devrez ren­dre des comptes à la jus­tice approchent. Je vous con­seille d’avoir peur.

Nous avons con­fi­ance dans la vérité et dans la jus­tice. À quoi devez-vous faire confiance ?

Sela­hat­tin Demirtaş
Prison d’Edirne


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