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A pro­pos du meurtre de George Floyd aux Etats-Unis, per­son­ne ne pour­ra s’en tir­er avec une sim­ple larme, des cris d’or­fraie, trois mou­ve­ments de mar­i­on­nette et puis s’en vont.

Ce qui n’au­rait pu rester qu’un fait divers, dans les séquences de vio­lences poli­cières ayant entraîné la mort, est devenu, de par la force d’une image vidéo qui a fait le tour du monde, un meurtre raciste en direct. Et cet acte, dont de nom­breux iden­tiques n’ont fait depuis des années que les 5e pages, ain­si ren­du pub­lic, a soudain cristallisé des élé­ments qui dépassent de loin un sim­ple appel à une con­damna­tion morale et sig­na­ture de pétition.

La bien pen­sance, blanche et à droite, de préférence, organ­isa immé­di­ate­ment le con­tre feu en exhibant le “casi­er judi­ci­aire” de la vic­time. Ain­si s’a­gi­rait-il d’une bavure ou mal­adresse dans l’ex­er­ci­ce de la “vio­lence légitime de l’E­tat”, con­tre un délin­quant, com­mise par un polici­er isolé qui sera “bien sûr” sanc­tion­né… Dans un deux­ième temps, les autorités chercheront à établir un “état de faib­lesse préal­able”, par autop­sie. L’analo­gie avec des faits et un déroule­ment con­cer­nant des per­son­nes décédées entre les mains de polices d’E­tat, dans quelque pays du monde que ce soit, serait bien sûr, for­tu­ite… Le “Je ne peux plus respir­er” pour­tant, rap­pelle tant de meurtres d’E­tat, par fonc­tion­naire inter­posé, jamais recon­nus. Nous en sommes à la phase “les vio­lences ne mènent à rien”. Mais cha­cun sait que, celle là, mena à une mort de plus, comme sou­venir de lyn­chage, dans l’in­con­scient collectif.

Oui, nous pour­rions l’ex­primer ain­si, avec en prime un ACAB, et une saine colère. Mais à quoi bon rester dans l’éc­ume agitée, entre réac­tion morale et dia­tribe. Moi aus­si, face à d’autres “images”, qui en 24h avaient sat­uré les écrans, comme celle du corps d’un enfant échoué sur une plage de Méditer­ranée, j’avais saisi un micro lors de “rassem­ble­ments”, et “con­damné”… Tant de corps de migrants sup­pli­ciés du fait de décideurs européens ont depuis rejoint celui-là. L’indig­na­tion morale est sol­u­ble dans l’eau de mer, et se délite sur les réseaux soci­aux et plateaux télé. Elle atteint rarement sa cible.

C’est donc avec beau­coup d’at­ten­tion qu’il faut regarder, une semaine après, la mobil­i­sa­tion de ces mil­liers de per­son­nes, dev­enues cen­taines de mil­liers, dans plus de cent villes impor­tantes des Etats-Unis et ailleurs dans le monde. Et ce qu’on y voit et entend n’est pas qu’une util­i­sa­tion morale du mot “racisme”, mais bien des références à la manière dont il s’est façon­né dans l’his­toire des Etats colo­ni­aux et géno­cidaires, a servi de cau­tion poli­tique à toutes les exac­tions et oppres­sions. Et l’ar­rivée offi­cielle au pou­voir d’un Prési­dent des Etats-Unis, col­por­teur d’une idéolo­gie supré­maciste, utile à sa poli­tique, et prég­nante dans son élec­torat blanc, a porté en pleine lumière ces ques­tions. Les replis nation­al­istes, sous cou­vert de sou­verain­isme, qui sont mon­di­ale­ment à l’œu­vre, avec dans leur cor­pus idéologique un racisme décom­plexé doivent aus­si nous inter­roger à l’aune de ce qui se déroule.

Alors que les class­es sociales pau­vres les plus “pro­duc­tives” aux Etats-Unis sont majori­taire­ment noires ou lati­nos, la pandémie Covid-19 vient bru­tale­ment de les pré­cip­iter dans le chô­mage de masse. Un ingré­di­ent poli­tique qui n’avait nul besoin d’un polici­er raciste qui se lâche. Et là, pen­sons à nom­bre de sit­u­a­tions et con­textes, en Europe comme au Brésil, par exem­ple, très semblables.

Ce “meurtre de noir” sup­plé­men­taire, comme dis­ent des gazettes ayant pignon sur rue, aurait été un mort de plus, si les raisons de la colère et de son explo­sion n’avaient été si fortes et présentes.

Ain­si, spon­tané­ment, les médias par­lent-ils de “crise sans précé­dent depuis l’as­sas­si­nat de Mar­tin Luther King”. Il n’en fal­lait pas davan­tage pour réu­ni­fi­er la “cause noire”, face à des réac­tions du Prési­dent améri­cain mobil­isant la garde nationale par tweet, et appelant au “feu”.

Ce qui est remar­quable, c’est l’élar­gisse­ment des réac­tions et mobil­i­sa­tions à la frange “blanche” de la gauche démoc­rate, dev­enue dans la bouche de Trump “horde anar­chiste”, voire “ter­ror­iste”. Ain­si, les activistes améri­cains anti Trump et anti fas­cistes se trou­vent-ils ain­si légitimés par une mobil­i­sa­tion pop­u­laire. Et ce qui brûle, images mon­di­ales à l’ap­pui, devient expres­sion légitime elle aus­si de cette colère, au nom des oppres­sions et meurtres accu­mulés, des pris­ons emplies à majorité de per­son­nes de couleur, des 60 années “pour rien” depuis Mar­tin Luther…

Il n’est guère pos­si­ble de prédire l’is­sue de cette crise ain­si crée par la mort en direct de George Floyd, qui se super­pose au con­texte poli­tique déjà très clivé aux Etats-Unis, et aux séquelles économiques que lais­sent la pandémie. Le sys­tème poli­tique lui-même se trou­ve pris en faute, et même un Oba­ma devient inaudi­ble, tant la ques­tion sociale devient liée aux ques­tions raciales, et puise racines dans l’his­toire “revis­itée” de la cause noire, pour une jeunesse mobil­isée qui n’a rien à y per­dre. Ne par­lons même pas du can­di­dat démoc­rate, le cul entre deux chaises…

On peut d’ors et déjà dire pour­tant que cette colère là sera enten­due dans des con­textes iden­tiques, partout au monde, même si elle ne fera pas tache d’huile. Ces mêmes con­textes ne man­quent pas. Et elle fait écho aux mobil­i­sa­tions d’a­vant pandémie, avec les mêmes volon­té d’en finir avec des pouvoirs.

Peut être qu’en­fin, la ques­tion religieuse, et dis­ons-le celle de l’Is­lam, sera mise de côté, du moins à sa juste place, lorsqu’il s’a­gi­ra de par­ler de la con­struc­tion sociale du racisme et de son his­toire, dans les Etats-nations colo­ni­aux et néo-colo­ni­aux. Et là je par­le aus­si de la France.

Car s’il est un poi­son lent en France qui agit lorsqu’il est ques­tion d’abor­der à la fois les con­séquences de la coloni­sa­tion et la con­struc­tion sociale et poli­tique du racisme qui l’ont accom­pa­g­née (qui per­siste aujour­d’hui dans l’his­toire offi­cielle “nationale”), c’est bien le religieux, qui se revendique tou­jours vic­time prin­ci­pale, comme serait qua­si “nation­al­isme” alter­natif, un Islam politique.

Le mou­ve­ment kurde par exem­ple, ne s’y est pas trompé, qui a réa­gi très vite. On a pu voir sur les réseaux soci­aux des mon­tages pho­tographiques plaçant côte à côte George Floyd, des vic­times de la police turque, et le por­trait du polici­er améri­cain assas­sin. Et il n’y a pas der­rière cette réac­tion une sim­ple notion non plus d’ ”anti-racisme” moral. C’est bien l’ex­pres­sion poli­tique de “sous citoyens” face à une con­struc­tion nationale qui les nie, une his­toire qui les efface, une police et une armée qui les tue, les empris­onne. Le rac­cour­ci est élo­quent. Il va même jusqu’à représen­ter, dans la turcité même, le rôle économique et social dédié aux Kur­des, là où ils travaillent.

En France, la longue lutte du col­lec­tif “Adama Tra­oré” devrait se trou­ver ren­for­cée, pour que sa mort soit recon­nue pour ce qu’elle est, con­séquence directe d’une vio­lence poli­cière d’E­tat… Et il n’est guère éton­nant de voir Valeurs Actuelles titr­er “l’ex­trême gauche rêve de voir importer les émeutes raciales autour de George Floyd”. Le même mag­a­zine lui, rêve de “purg­er les ban­lieues”, comme dans le sil­lage d’une cer­taine blonde. Mais la stu­peur tou­jours présente liée à la pandémie, tout comme les “vacances” remet­tra sans doute les mobil­i­sa­tions à plus tard. La mort de George Floyd sera peut être déjà loin au moment où ici les dégâts soci­aux causés par la pandémie toucheront juste­ment en pre­mier les relégués pre­miers de corvée. Mais l’é­cho en restera.

Je per­siste et signe, c’est le moment de remet­tre ici sur le méti­er ce gros mot “d’in­ter­sec­tion­nal­ité” et ses com­bats, en y met­tant de côté la reli­giosité big­ote qui n’y a pas sa place, bien sûr.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…