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Au lendemain du dernier rassemblement des Mères du Samedi, pour la 790ème semaine de leur lutte, Kedistan invite Safiye Alağaş, avec un article publié le 17 mai 2020 dans Jin News, et le partage avec ses lectrices et lecteurs ; une traduction enrichie de vidéos et d’autres informations.
Leur combat est devenu la protestation pacifique la plus longue de l’histoire de la Turquie. Ces mères qui ne cessent de demander quel fut le sort de leur enfants et proches disparuEs, sous la neige ou le soleil, éveillent un immense soutien en Turquie, mais aussi au niveau mondial. Lors des années qu’elles ont traversées avec détermination, elle furent aussi bien récompensées, par exemple par le Prix international de Hrant Dink, en 2013, comme également malmenées, arrêtées par la police, dans différentes périodes et sous différents régimes.
Par Safiye Alağaş. Istanbul, 17 mai 2020, Jin News
Image à la une : Samedi 16 mai 2020, Semaine 790
Le combat des Mères du Samedi, à la recherche de leurs enfants “qu’on a fait disparaitre” se poursuit depuis un quart de siècle. Depuis 25 ans, elle font perdurer leur lutte, sans respirer, sans renoncer, sans perdre un seul instant l’espoir de “retrouver” leur enfants.
A l’occasion de “La semaine de Lutte internationale contre les disparitions en garde-à-vue” qui se déroule du 17 au 31 mai tous les ans, des initiatives sont organisées par les militantEs des droits humains et les proches des disparuEs, avec l’objectif, à la fois de rendre hommage aux personnes qui ont perdu leur vie, et de sensibiliser l’opinion publique. Et la recherche des Mères du Samedi, qui retiennent leur souffle, continue depuis 25 ans.
Le combat des Mères du Samedi a commencé justement à l’occasion d’une “Semaine de Lutte internationale contre les disparitions en garde-à-vue”, en 1995. Quant aux pouvoirs où leurs représentants qui se sont succédés depuis toutes ces années, ils continuent à faire semblant de ne pas entendre leur voix. Les rassemblements des mères qui, malgré les oppressions, ne quittent les places, trouvent un grand soutien auprès de l’opinion publique, et deviennent régulièrement une grande source d’inspiration pour des poèmes, des chansons…
Disparitions en garde-à-vue, une politique d’Etat
Cette politique a progressé en Turquie particulièrement après le coup d’Etat militaire du 12 septembre 1980. Selon les archives de l’Association des droits humains (İHD), lors du coup d’Etat de 80, 15 personnes ont disparues en garde-à-vue.
Juste après ce coup, le 13 septembre, Cemil Kırbayır est mis en garde-à-vue et disparait à Kars. Le 18 septembre, une autre disparition à Bingöl, et en novembre, Hayrettin Eren, à Istanbul, est cité parmi ces 15 disparus.
Cependant, la transformation des disparitions forcées en politique d’Etat systématisée, correspond aux années 90. Pendant ces années, cette méthode fut utilisée pour éliminer les opposantEs et répandre la peur au sein des populations. Dans cette période des années 1990, ces pratiques ont pris une telle ampleur, que les disparitions forcées ne différenciaient plus femmes, enfants, personnes âgées. Parmi les disparuEs, figurent des personnes de 3 à 90 ans.
Découverte de tombeaux des disparuEs
Devant la systématisation des disparition, en 1992, l’İHD a organisé une importante campagne sous le devise “Halte aux disparitions forcées”. Un peu plus tard pourtant, en 1995, ce sont Hasan Ocak et Rıdvan Karakoç qu’on fait disparaitre à Istanbul. Suite à une longue lutte, au bout de 58 jours, leur corps furent retrouvés, inhumés dans une fosse commune. C’était la première fois que des corps de personnes ainsi disparues, étaient découverts.
L’İHD a réitéré sa campagne en 1995, pour une deuxième fois, avec les Mères du Samedi. Et cette lutte, trouvant un écho dans tout le pays, s’est transformée en un mouvement. Le petit groupe qui s’était rassemblé pour la première fois le 27 mars 1995, devant le lycée Galatasaray à Istanbul, a grandi avec le temps, tel une avalanche.
Les Nations Unies : Protection pour tous, contre les disparitions forcées
Alors que les Mères du Samedi poursuivaient leur combat, il a fallu attendre 2007 pour que Les Nations Unies ratifie la “Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées”, et 2010, autant dire hier, pour que celle-ci entre en vigueur. Elle se base sur une “Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées”, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1992, et qui considère la disparition forcée comme “crime contre l’humanité”.
Une pause en 1999
Les Mères du Samedi ont annoncé en 1999, qu’elles marqueraient une pause dans leurs rassemblements en raison de la tension politique générée par le fait que Abdullah Öcalan, le leader du PKK, soit ramené en Turquie. Après un long intermède, le 30 janvier 2009, les mères ont repris leur recherche de justice et regagné leur place à Galatasaray.
En 2018, lors de la 700ème semaine de leur lutte, [pour laquelle elles avaient fait un appel à soutien transnational] avec une sévère intervention policière, les Mères du Samedi ont été arrêtées, certaines molestées et mises en garde-à-vue avec d’autres défenseurEs de droit..
Par la suite, la place de Galatasaray, dont l’image est associée aux mères, fut mise sous blocus, et aucune déclaration n’y a été autorisée. Les mères qui n’ont pas renoncé à la recherche de leur disparuEs, pour lesquelles l’accès à la place de Galatasaray est interdit par la police, ont donc commencé à se réunir dans les bureaux de l’İHD-Istanbul et de continuer à questionner sur le sort de leurs disparuEs, devant le local.
Avec la déclaration de la pandémie de coronavirus, elles poursuivent leurs actions depuis huit semaines, sur les réseaux sociaux.
Vous pouvez suivre et trouver les initiatives prévues dans les villes respectives :
Facebook @cumartesianneleri | Twitter @CmrtesiAnneleri
Ahmet Kaya fut la voix des disparuEs, Sezen Aksu celle des mères
La chanson “Beni Bul Anne” (Trouve-moi maman) composée et chantée par le musicien kurde Ahmet Kaya est considérée aujourd’hui, comme une des chansons les plus reprises en Turquie. De nombreux musiciens et musiciennes l’ont chantée avec diverses interprétations.
Ainsi, Ahmet Kaya, devenant la voix des disparuEs, la chanteuse Sezen Aksu a elle, voulu porter le cri des mères. Elle a préparé également, en soutien aux Mères du Samedi, un mini album intitulé “Cumartesi Türküsü” (Chanson du Samedi) contenant deux titres, mais l’album n’a pas été mis en vente. L’album conçu pour le 5ème anniversaire du revue Aktüel, a été offert en supplément du numéro dont la couverture arborait le portrait de Sezen Aksu, sous la manchette “Moi aussi, je suis Mère du Samedi”.
Grup Bandista, a également fait écho aux mères, en 2009, avec “Benim Annem Cumartesi” (Ma mère est samedi)
Dans ce pays où toute contestation paraît difficile et est de suite réprimée, les Mères font figure de rocher battu par les vents mauvais, mais qui sert de vigie pour nombre de résistances, sous toutes formes. Un espoir là aussi.