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L’exil n’est pas une invitation au voyage, mais le plus souvent un aller-simple pour l’inconnu.
Laisser les siens, son enfance, la vie qu’on avait construite, la géographie qui nous a vu naître, pour fuir un danger vital, une menace, la répression ou l’impossibilité d’être et de vivre en liberté a peu de choses à voir avec une vie choisie en libre arbitre.
Dans la langue française, exil rime pour les écoliers avec le Napoléon et l’île d’Elbe, Victor Hugo et Jersey. Pour la militante anarchiste Louise Michel, ce fut l’exil forcé vers la Nouvelle Calédonie, autant dire une déportation. Chaque fois, une île, un isolement punitif.
Aujourd’hui les choses sont différentes. Les bagnes officiels ont disparu. Dans une société et une économie mondialisée, le bannissement ou la nécessité de trouver protection hors d’un Etat oppresseur pourrait s’apparenter à une migration, aboutissant souvent à une demande d’asile.
L’exil est aujourd’hui plus policé, mais tout autant déchirement où les valises ne sont jamais totalement ouvertes. La valise des objets du quotidien de vie et de l’indispensable côtoie celle des souvenirs et de ce qui a fait ce que nous sommes.
Nos questions n’ont rien à voir donc, lorsqu’on s’adresse à unE exiléE, avec le récit de voyage ou les éléments de confort d’une nouvelle vie à construire. La douleur du partir est toujours présente dans le présent à vivre. Et pour la faire disparaître, il n’y a d’autres choix qu’entre rester soi-même et continuer à résister, là où l’exil nous a contraint, ou s’intégrer, accepter là ce qu’on refusait hier…
C’est ce dilemme que Dilek Aykan interroge avec cette série d’articles qu’elle a initiée et choisi de livrer au magazine Kedistan. Sa façon à elle aussi d’y répondre, puisque exilée elle-même.
Elle donne la parole à des femmes. Toutes ont un parcours où les choix furent plus compliqués les uns que les autres, mais toujours contraints. Toutes ont un passé de vie lié à une volonté de rester debout, là où un Etat ou le patriarcat leur ordonnait d’être à genoux. Toutes ont la volonté de vivre, et de faire de leur vie une solidarité, de faire profiter les autres de leur force, de leur résilience.
L’importance de ces récits d’exil réside là. Ce ne sont pas de simples portraits de femmes, comme un dessin de Zehra Doğan n’est jamais un dessin susceptible d’enjoliver une pièce. Ces récits incitent à prise de conscience et à réactions. Ils montrent et dénoncent. Ils réveillent.
Nous remercions donc Dilek Aykan pour la confiance qu’elle nous fait en nous livrant cette série que nous nous efforcerons de rendre multilingue, et de largement diffuser. Et si l’on en juge les statistiques de lectures déjà, nous sommes convaincus que ces témoignages atteindront leur but : non pour faire de l’audience, mais pour être passeurs des paroles de femmes qu’ils contiennent.
Illustration : Zehra Doğan. Acrylique sur toile, 72 x 128 cm. 2017, Jours clandestins, Istanbul.