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Après la stu­peur général­isée, et, comme “on en apprend tous les jours”, un mou­ve­ment de retour au prof­it se dessine.

Le cap­i­tal­isme qui ne désarme pas der­rière le masque pudique de “l’é­conomie”, peaufine ses straté­gies pour con­tin­uer à bra­quer la planète, mal­gré la pandémie.

Ces straté­gies se décli­nent sous divers­es formes, selon la “fibre démoc­ra­tique” des pop­u­la­tions con­cernées. En Europe, c’est le “décon­fine­ment”. Aux US, c’est l’ukase prési­den­tiel du “redé­mar­rage économique”. Au Brésil, c’est le limo­geage d’un min­istre de la san­té et la sor­dide idéolo­gie eugéniste du “que le meilleur résiste” et “que la ver­mine dis­paraisse”, non dite, mais appliquée.

On peut s’ac­corder sur le fait que l’idéolo­gie néo-libérale, dont la mon­di­al­i­sa­tion cap­i­tal­iste a usé ces dernières décen­nies, mutera comme peu­vent le faire les virus. L’ex­péri­ence que vit la qua­si total­ité de l’hu­man­ité va néces­siter des accommodements.

En Europe, le “déconfinement” va se faire au nom de la “liberté”.

Et bien que nom­bres de “sci­en­tifiques”, mais pas que, soulig­nant l’é­tat d’im­pré­pa­ra­tion pour un retour dit “à la nor­male”, soient très scep­tiques, la pandémie étant loin d’être ter­minée, les politi­ciens enton­nent le refrain du retour aux lib­ertés indi­vidu­elles, enten­dez celle d’en­tre­pren­dre, d’ex­ploiter son prochain en ré-ouvrant le marché, sous toutes formes.

Au boulot, la planche à bil­lets chauffe ! Il faut restau­r­er le vrai profit.

Nom­bre de gou­verne­ments se savent en sur­sis. Les poli­tiques néo-libérales qu’ils ont menées se sont à l’év­i­dence heurtées à l’épreuve de la réal­ité. La désor­gan­i­sa­tion, l’in­curie, les choix poli­tiques d’austérité finan­cière, con­cer­nant tous les com­muns, dont la san­té et la vie, sont apparus au grand jour. Revenir à la nor­mal­ité cap­i­tal­iste, même avec des poli­tiques plus keynési­ennes, où le marché n’est plus lais­sé à lui même, leur sem­ble urgent pour anticiper toute vel­léité de con­tes­ta­tion du sys­tème. Un bon vieux retour à l’al­ié­na­tion quo­ti­di­enne, sur fond de Covid, flingue à la main, devrait faire l’affaire.

Mais la lib­erté sera surveillée.

Quoi de mieux, alors même qu’une telle mesure est non accom­pa­g­née d’une logis­tique médi­cale et de préven­tion suff­isante, que de tester à grande échelle une méth­ode de surveillance.

Les caméras ont ain­si été intro­duites autre­fois, sous le pré­texte de préven­tion, con­tre le ter­ror­isme ou les braque­urs, pour le “bien pub­lic”… Per­son­ne, bien sûr, dans son coin, se frot­tant les mains comme un sournois gargamelle n’a com­ploté cela. Mais, de mesures sécu­ri­taires en mesures sécu­ri­taires, la lib­erté fon­da­men­tale devient pour­tant surveillée.

Le néo-libéral­isme a de cela qu’il indi­vid­u­alise le tra­vailleur, le con­som­ma­teur, qu’il lui pro­cure la sen­sa­tion d’as­sou­visse­ment de désirs en per­ma­nence réin­ven­tés, et, en même temps, qu’il secrète une idéolo­gie sécu­ri­taire, pour “garan­tir la société de con­som­ma­tion” sources de ce bon­heur quo­ti­di­en. Poussé à l’ex­trême, c’est 1984.

Dans ce décon­fine­ment si les rouages à peine à l’ar­rêt du cap­i­tal­isme finan­cia­risé l’emportent, on pour­rait voir appa­raître pop­ulismes autori­taires en tous gen­res, héri­tiers de ces out­ils, pour favoris­er sa poli­tique. Reste à trou­ver le per­son­nel politi­cien et les larbins capa­bles d’en­chanter la stratégie.

Ailleurs dans le monde, c’est ouverte­ment la con­fronta­tion qui est à l’oeu­vre, pour remet­tre les peu­ples au tra­vail. Selon les degrés d’ac­cep­ta­tion pré-exis­tants à la pandémie, et la main des pou­voirs en place, on peut prévoir des change­ments là aus­si, pour les années à venir, et même para­doxale­ment des ren­force­ments d’autocraties.

Gageons qu’un Démoc­rate n’au­rait pas mieux fait qu’un Trump aux Etats Unis.

L’épidémie aurait sans doute été mieux maîtrisée qu’avec un néga­tion­iste, mais les vic­times auraient été les mêmes, les iné­gal­ités sociales et le sys­tème de san­té claire­ment de classe faisant leur preuves, comme pour­voyeuses de mor­tal­ité dis­crim­i­na­toire. Sans doute les raison­nements et straté­gies de lutte nous seraient-elles apparues plus “européennes” avec les politi­ciens démoc­rates. Là, la prési­dence améri­caine, en appui pop­uliste sur ceux qui font encore des exor­cismes con­tre le virus “étranger”, et les chômeurs “armés” supré­macistes qui man­i­fes­tent pour la réou­ver­ture, et bien sûr une bonne par­tie des milieux financiers sou­verain­istes, bataille pour sa pro­lon­ga­tion politi­ci­enne, con­tre les Etats eux-mêmes, pour la “relance”.

Au Brésil, un eugéniste au pou­voir théorise sans le dire l’idée d’un net­toy­age par le virus de ses oppo­si­tions sociales, et là aus­si un supré­macisme assumé. Le Brésil a trop à per­dre dans l’ar­rêt de la destruc­tion de la planète, et ses élites finan­cières trop de liens avec la finance mon­di­ale, sa cor­rup­tion et ses investisse­ments dans la pré­da­tion des éco-sys­tèmes, pour accepter une pause for­cée. Bol­sonaro jouera le tout pour le tout, et reste le can­di­dat mal­gré tout, pour toute une indus­trie agro-ali­men­taire floris­sante. La dis­pari­tion de la bio diver­sité passera en plus par celle d’hu­mains “indésir­ables” pour le sys­tème, si des freins issus de la société civile ne stop­pent pas cette poli­tique meur­trière dans les mois à venir.

Au Moyen-Ori­ent, c’est guerre des tranchées. Les fronts sont en attente, et le virus, pour­tant bien moins meur­tri­er que les bombes, crée une dis­tan­ci­a­tion momen­tanée dans la guerre. En Turquie, le régime craint les divi­sions en son sein même, la cor­rup­tion trou­vant moins de sources qu’à l’ac­cou­tumée. Para­doxale­ment, des débats impor­tants sur­gis­sent autour de la vie, et de celles des pris­on­nierEs, par exem­ple. Le vieux fond big­ot musul­man a par­fois des résur­gences là où on ne l’at­tend pas, pour pal­li­er aux défail­lances du pou­voir, et cohab­itent des sol­i­dar­ités qu’on croy­ait dis­parues avec les excès de pou­voir. Et il sera dif­fi­cile demain à ce même pou­voir de relancer une “économie” atteinte, en même temps que le mil­i­tarisme… La Turquie tri­om­phante néo-ottomane de 2023, date anniver­saire de la République, va per­dre de sa prestance.

Pour ter­min­er mon échan­til­lon­nage, j’abor­derai le cas chinois.

Là, 1984 règne déjà. Le redé­mar­rage se fait et se fera avec les mêmes méth­odes que les mis­es à l’ar­rêt et les con­fine­ments. Là, pas d’op­po­si­tion directe, ni con­sul­ta­tions et négo­ci­a­tions. La machine mise en som­meil par sécu­rité, pour tourn­er à plein régime, dépen­dra de l’é­tat du marché mon­di­al et de la reprise de la demande. Ce sera aus­si pour la Chine, grand ate­lier de la mon­di­al­i­sa­tion, une occa­sion de rené­goci­er à la hausse en externe, et en interne, de remod­el­er les liens entre for­tunes émer­gentes, cap­i­tal­isme d’E­tat, lib­ertés d’in­vestisse­ments et pou­voir poli­tique. Les crises pos­si­bles en ges­ta­tion, liées à l’aug­men­ta­tion des niveaux de vie de la dernière décen­nie, qui auraient pu con­cern­er les salaires ou des reven­di­ca­tions démoc­ra­tiques par exem­ple, sont pour un temps éloignées.

La Chine devient donc à la fois le pre­neur d’o­tage économique et la puis­sance mon­tante à abat­tre, dès lors où la mon­tée de replis sou­verain­istes se ferait sen­tir. Pour­tant, l’op­por­tu­nité pour elle de faire fruc­ti­fi­er dans le redé­mar­rage mon­di­al­isé ses “nou­velles routes de la soie” est plus que jamais à l’or­dre du jour. La polémique com­plo­tiste sur l’o­rig­ine du virus, relancée par cer­tains n’est donc que l’a­muse gueule de celles qui se fer­ont jour. Et l’en­det­te­ment, même virtuel, des économies occi­den­tales, con­stitue égale­ment pour “l’empire chi­nois” un levi­er dont elle ne se privera pas dans les années à venir, pour peser sur les crises finan­cières et favoris­er ses “comp­toirs”.

Toutes ces remar­ques lap­idaires, totale­ment super­fi­cielles, pleines d’im­pass­es et incom­plètes con­stituent néan­moins un socle pour com­pren­dre que “le monde de demain” restera à la main des pos­sesseurs du cap­i­tal et des prof­its qu’ils en tirent, du fait de l’in­stru­men­tal­i­sa­tion des Etats qu’ils ont con­tribué à bâtir pour admin­istr­er et appli­quer leurs straté­gies d’enrichissement.

On met­tra un temps les straté­gies ultra-libérales en sour­dine, pour remet­tre les pop­u­la­tions au travail.

Dans cette remise au tra­vail, toutes les résiliences, toutes les sol­i­dar­ités, toutes les éner­gies com­munes, toutes les survies de prox­im­ité qui se sont man­i­festées avec bon­heur dans la lutte pour la vie se déliteront du fait des gains acquis par ailleurs, non pas par les équipes poli­tiques elles-mêmes, mais par les appareils d’E­tat. De très nom­breuses lignes ont été franchies à l’oc­ca­sion de cette grande peur col­lec­tive, sur des droits acquis fon­da­men­taux, le Droit lui-même, les habi­tudes de sur­veil­lance et con­trôles imposées, qu’on inté­gr­era demain dans le quo­ti­di­en, “en attente de vac­cin” dira-t-on.

Va savoir dans tout cela qui est le braque­ur. Le même sans doute qui, après nous avoir mis les mains en l’air et obligé à les laver cinq fois par jour, rem­pli­ra sa Bourse avec le fruit de leur labeur.

Cette chronique à suiv­re fait par­tie d’un ensem­ble pub­lié depuis le 18 mars.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…