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Lorsque les chaînes de télévision diffusent des programmes concoctés des mois à l’avance, le temps semble suspendu, parfois entre deux publicités pour des séjours lointains. Drôle de guerre.
Et voilà qu’un sujet sur “les retours du commerce en ligne” arrive, sans crier gare. Un reportage dit “sur le monde d’avant”. Et pourtant, si actuel.
De fil en aiguille, le sujet développe les cheminements de ce qui fait la bête noire des commerçants du web : “les retours”. A l’origine réservé aux colis défectueux ou aux non conformité de commandes, le “retour” peu à peu, est devenu un pli de consommation. “Essayer c’est retourner”, en quelque sorte, nous explique-t-on. Et lorsque sur un panel de produits de grande consommation, les dites “grandes marques” nous indiquent des taux de retours exponentiels, on reste autant abasourdi que pour les taux mondiaux de destruction alimentaire de productions invendues ou jetées après achat.
Le reportage enchaîne sur le commerce des retours et invendus, deuxième “marché”… J’arrête là.
En résumé, à partir d’un petit sujet, surgit sous nos yeux celui d’une société de consommation et de gaspillage, où chaque étape engrange du profit, sans parfois aucune utilité sociale au final, sauf à abonder des chiffres de croissance. La croissance, du fric et du nemploi. Le monde d’avant guerre.
On aurait presque oublié les mobilisations “pour le climat”, les prises de conscience à minima de la réalité capitaliste mondialisée et de sa prédation de la planète, vers un monde “sans retour”.
C’est bien cette économie là qu’un virus a grippé, et les déconfineurs travaillent déjà à trouver l’huile qui le fera redémarrer. Comme il n’est pas question de refaire un Davos en ce moment, et que le temps était plutôt à la trouille chez les financiers, les idées se bousculent et se télescopent.
Entre ceux qui théorisent un redémarrage bénéfique, un temps d’après guerre glorieux, un rebond de consommation et de frénésie du retour à la vie, et donc des opportunités de concurrence à préparer, et ceux qui voient leur gestion austéritaire voler en éclat, toutes les gammes du néolibéralisme cogitent et s’expriment. Tous s’accordent sur le fait que le découplage entre la financiarisation de l’économie mondialisée et l’économie réelle devra être mis en sourdine pour un temps.
De fait, les milieux financiers ne voient plus d’un mauvais œil l’endettement monstrueux des Etats qui se profile. Ils n’en auront que plus de pouvoir demain. Et cela peut expliquer pourquoi les bourses mondiales, après avoir dégringolé, se sont stabilisées. Les financiers ont de beaux jours d’après guerre devant eux.
La plaie du marché sera donc davantage l’état sanitaire futur de sa main d’œuvre, et sans doute sa docilité à reprendre le joug.
Il est donc étonnant de ne pas entendre davantage s’exprimer les critiques radicales du soit disant ancien monde capitaliste, de ne pas entendre dire que la crise sanitaire n’est que le hors d’œuvre de la crise climatique, et que redémarrer la “croissance” demain, après un moment de plage, en retroussant les manches, sera suicidaire, et ô combien bénéfique pour la survie du système mondialisé “sans alternative”.
Les politiciens de tous bords qui préparent déjà les “règlements de comptes”, avec leurs gouvernements respectifs, deviennent de fait, des nains de jardin face aux enjeux de ce temps d’après guerre, parce que tous, peu ou proue ont remisé les utopies au profit d’urnes à alternances politiques.
L’anticapitalisme pour les discours de meetings, et l’opposition républicaine raisonnable pour la pratique quotidienne.
On a pourtant vu éclater des réflexions lors du moment de stupeur, au temps où toutes et tous avons découvert que la “gripette” ne se prêtait ni à complotisme à deux balles, ni à “même pas peur”. Ces réflexions là se sont estompées derrière une querelle de masques, dont d’ailleurs le “marché” s’est emparée.
Et quid de la lutte de classes ?
On peut, par populisme, la faire surgir sur les pratiques de confinement qui se sont répandues à l’échelle mondiale pour casser la chaîne de contamination. On peut à cette occasion, redécouvrir les conditions de vie et de logements si différenciées, selon que vous soyez “pauvres ou puissants”. Mais là non plus, on n’invente pas la poudre.
Et je dois là, revenir à ce que montre les petits ou grands écrans.
Un sujet “bateau” sur New York, et le comportement qualifié de “dangereux” de populations entières qui ont pris le soleil ce week-end, est présenté pour faire la morale. Pour faire vite, le reporter a “interrogé” des francophones se trouvant là, bien sûr, “affligés”. Mais, les quelques familles américaines interrogées expriment un tout autre point de vue : “Nous n’avons rien à craindre, nous sommes entre nous”… Et la chaîne d’infos passent à une autre et nième polémique sur la chloro, quine ou pas…
Arrêtons-nous sur le “nous sommes entre nous”, et en effet les images de personnes en jogging, les familles avec toutou chic et les bandanas tendance. On se croirait presque à l’Île de Ré.
Les politiques récentes de la Municipalité de New York furent celle du “nettoyage”. Nettoyage sécuritaire, et nettoyage social, pour faire court. Gentrification de quartiers, et différenciation sociale selon les zones. Invisibilisation des “homeless” et politique du chacun chez soi pour les classes moyennes et moyennes supérieures et leurs employéEs de maison ou de services. Racisme policier aidant au passage. Le modèle est plus criant dans ses résultats que celui de l’Île de France ou de grandes métropoles, mais il y ressemble. Patience. “Nous sommes entre nous” et pourrions encore l’être davantage.
De la division sociale on en arrive à la division du monde, qu’exploite et instrumentalise tant le capitalisme mondialisé. Et ce monde d’avant/après sera toujours autant là, dans le temps d’après guerre.
Des amiEs me disent toujours d’éteindre la télé. Mais je persiste à dire, que, comme un livre, on peut le lire avec un regard différent de l’auteur, à condition de ne pas le garder pour soi. Dans cette période de confinement, cela peut passer par une chronique à suivre…