Français | English

L’élé­ment de lan­gage s’use quand on s’en sert, au jour le jour. Une sorte d’ob­so­les­cence pro­gram­mée de la parole publique.

Le prési­dent français fait, comme tous les autres, sans doute rédi­ger ses bons mots par une plume d’ex­pert en com­mu­ni­ca­tion poli­tique. Voilà donc que nous arrive : “le jour d’après”.

Vite, un moteur de recherch­es, et vous trou­verez facile­ment titres de livres et de films qui cor­re­spon­dent à la belle for­mule. Des romans policiers, des analy­ses poli­tiques de penseurs de plateaux TV, des livres d’in­con­nus, des films cat­a­stro­phe ou des navets oubliés, ah… tiens, un clas­sique… La for­mule a donc déjà bien servi et on serait ten­té par ces temps de météo belliqueuse d’y répon­dre par un “donc à l’ouest rien de nou­veau”.

Le jour d’a­vant les élé­ments de lan­gage étaient davan­tage “puisque l’e­spérance de vie aug­mente”, suiv­is de numéros ; 49.3, autant qu’il m’en sou­vi­enne. Comme ça paraît loin tout ça…

Il n’y avait pas un kopeck à met­tre au pot social, pas une tune pour les salaires, et la classe poli­tique chialait sur les 17 mil­liards à vers­er pour sauver de la casse et du jau­nisse­ment l’Arc de Tri­om­phe en France, et bénis­sait en même temps, les grandes for­tunes venues au sec­ours de Notre Dame. On lui prévoy­ait un vac­cin en cinq ans, pour sa résurrection.

Et voilà qu’une “gripette”, venue d’Ori­ent, s’in­vi­tait pour fêter le nou­v­el an chi­nois, peu de temps après qu’un ex prési­dent ama­teur de coro­na et d’an­tiq­ui­tés asi­a­tiques nous ait lui, rap­pelé que nous étions mor­tels. Quelques évangélistes plus tard, on comp­tait les morts, après avoir copieuse­ment rail­lé nos amis ital­iens “mal pré­parés”. Le jour d’après, c’é­tait pandémie.

Le pre­mier donc qui osera la for­mule “c’é­tait mieux avant” devra aus­si décrire cet ancien monde mieux que je ne l’esquisse. Et revenir sans doute aus­si sur les vio­lences poli­cières, la liste de leurs vic­times éborgnées ou mains arrachées, pour que règne l’or­dre et que les réformes réfor­ment. Les jours d’a­vant apparte­naient à ceux qui ne sont rien, inca­pables de tra­vers­er la rue. Une réal­ité cap­i­tal­iste et néo libérale ordinaire.

Oui, l’actuel général au caducée, qui ser­rait des mains sales et ne masquait même pas ses pro­pos dégradants et, en même temps, son amour immod­éré de l’en­tre­prise, ten­tait “le jour d’a­vant” de refaire les noeuds de sa corde qui ne sem­blait plus vouloir l’emmener au som­met. Voilà main­tenant que ses troupes sont con­finées sous l’avalanche et qu’il ne se rac­croche plus qu’au squelette insti­tu­tion­nel de l’E­tat, tan­dis qu’un pays entier, et c’est le cas partout, cherche sa pro­pre résilience, dans la mobil­i­sa­tion des forces vives épargnées par les beaux jours d’avant.

Ce temps “politi­cien” d’après jour d’a­vant ne tient finale­ment que sur un con­sen­sus obtenu sur la peur de la mort et, pour les récal­ci­trants ou les mata­mores, la matraque. Pour l’ha­bil­lage, et dans le rôle des cos­tu­miers, toute une arma­da de politi­ciens répub­li­cains jouent à l’u­nité nationale ou à la pré­pa­ra­tion de l’al­ter­nance, en visio-con­férence. Triste spec­ta­cle de ceux d’a­vant ten­tant le coup d’après.

Mais, lever le regard au-delà de ce brouha­ha qui débor­de en “édi­tions spé­ciales” sur les écrans, per­met d’un coup de voir que tant de celles et ceux “qui ne sont rien” ont tra­ver­sé finale­ment la rue, non pour trou­ver du tra­vail, mais un sens à leur exis­tence en com­mun. La camarde n’au­ra pas leurs vies.

Et comme “leurs vies valent plus que leurs prof­its”, voilà que des mêmes pas encordés d’hi­er tis­sent des liens soci­aux sous dis­tan­ci­a­tion sociale. Regar­dons les bien, celles et ceux du jour de main­tenant, car le jour d’après, ils seront à nou­veau rejetés vers l’in­vis­i­ble, soyons en sûrs. L’in­fir­mièrE, l’aide soignantE, le pom­pi­er gazé et matraqué d’hi­er, la cais­sière en con­trat court, le routi­er pas sym­pa, les assos dis­so­ciées, le chercheur recher­ché… Enfin, toutes celles et ceux que chaque politi­cien de plateau remer­cie en pre­mier, comme si une bouil­loire élec­torale attendait encore sur le feu. On les décon­fin­era peu à peu, et ils se réhabitueront à l’avant.

Voilà que mes chroniques virent au jour­nal de confinement.

Vous ai-je par­lé de cet appel du secré­taire général de l’ONU, à un cessez le feu général­isé dans le monde ? Et de la main vis­i­ble du Marché qui froisse les bil­lets pour préempter matériel de san­té et molécules partout où ils se trou­vent  ? Il ne m’é­ton­nerait pas que les  financiers de l’arme­ment mon­di­al­isé se recon­ver­tis­sent en marchands de masques en gros, le ter­rain de guerre se déplaçant.

Il paraît que le jour d’après, le foot­balleur de l’Île de Ré sera moins payé que l’ur­gen­tiste… J’écrivais cela un 1er Avril, jour ordi­naire de suf­fo­ca­tion générale.

(à suiv­re)


Pho­to : Robert Doisneau

Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Daniel Fleury on FacebookDaniel Fleury on Twitter
Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…