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On ne sait qui, de certains ministres européens du budget en France ou ailleurs, ou d’Erdoğan en Turquie, a eu le premier l’audace de demander à ses concitoyens une aide financière, sous forme d’appel national autour de la crise du coronavirus. On se contentera de confirmer cette phrase : “Les cons, ça osent tout...”
En tous cas, Erdoğan a lancé le 30 mars, en live, un appel à dons. La campagne intitulée “Biz bize yeteriz Türkiyem”, (nous nous suffisons à nous-mêmes ma Turquie) est lancée avec le hashtag #bizbizeyeteriz .“Je commence en dédiant mes 7 mois de salaire” a‑t-il dit.
Aussitôt après cet appel à dons, à la charité islamique, en sollicitant le peuple pour lutter contre la crise du coronavirus, un hashtag a jailli : #zırnıkyok, qu’un peut traduire par “que dalle !” Ce nouveau hashtag a commencé à accompagner #hükümetistifa “gouvernement démission” qui était hier, en deuxième position mondiale, avec 12,7 k Tweets.
Ne faites pas confiance aux individus qui se présentent comme Président à la télé en live et qui demandent de l’argent. #zırnıkyok
“C’est quoi ce calcul ?” demande un tweet. Et il précise : “Le salaire de notre Président pour 7 mois, est de 568 mille livres turques au total. Les dépenses du palais pour une journée sont de 2 millions de livre s turques.” #zırnıkyok
Ceux qui veulent aider. Trouvez les vrais nécessiteux vous-mêmes. Aucune confiance #zırnıkyok
Alors, notre économie volait ! Février allait être mieux que janvier, et mars mieux que février ? #zırnıkyok
Ceux qui devraient ramasser la table, sont ceux qui grattent le fond des assiettes, qui siphonnent toutes les sources de l’Etat et qui voient leurs dettes d’impôts disparaitre en une nuit. #zırnıkyok
Ceux qui ont effacé les dettes de millions de dollars des dizaines d’entreprises alliées, demandent aujourd’hui au peuple de donner… #zırnıkyok à ceux qui nous ont volé.
Envoyez vos IBAN à ces 20 entreprises qui se sont enrichies avec nos impôts. #zırnıkyok
Si tu commençais ta campagne par ceux-là, tu n’aurais besoin des dons de personne d’autre. #zırnıkyok
Mehmet Cengiz, le patron de l’entreprise Cengiz, très proche d’Erdoğan, et qui “emporte” quasiment tous les appels d’offres des projets inutiles et destructeurs, comme les centrales hydroélectriques, ou les projets mégalos comme le Canal Istanbul est particulièrement ciblé. Les réseaux sociaux avaient tremblés déjà lorsqu’une conversation téléphonique avait été révélée, où il disait en parlant d’un projet qu’il voulait remporter “on va mettre dans la chatte de cette Nation”.
La somme des médicaments immunothérapeutiques que vous avez déclarée avoir donnée aux malades du cancer en 2017, mais que vous n’avez jamais donnée, est à la hauteur de 500 000 livres turques. Sortez l’argent que vous avez mis dans vos poches en massacrant les gens avec votre système de santé à la con ! #zırnıkyok
J’accepte le défi et je fais don de mes prières. #zırnıkyok
Avec mes prières. Bonne soirée. #zırnıkyok
Si on en avait… Mais voici notre situation. #zırnıkyok
Ou encore, sans commentaire.…
L’année dernière nous avons acheté ça, nationalement. Il n’y a plus que dalle. #zırnıkyok
Partagez le budget de Diyanet (Affaires religieuses équivalent d’un ministère). Nous attendons que le budget 2020, de 11,5 milliard de livres turques soit versé comme dons. De plus, les 95 000 employés religieux qui ne travaillent pas en ce moment, car les mosquées sont fermées, continuent à toucher leur paies. #zırnıkyok
Imam sans IBAN #zırnıkyok
Vendez les voitures Audi Long que vous avez achetés comme véhicules de fonction. L’une vaut 300 mille livres turques pièce. #zırnıkyok
Tentative de coup d’Etat : “Que le peuple descende dans la rue”. Le séisme a frappé : “Que le peuple donne 10 livres turques”. Il y a la crise économique “Que tout le monde sorte l’or d’en dessous de son oreiller”. Une épidémie arrive “Que tout le monde déclare son propre couvre-feu, qu’il ne sorte pas des maisons”. Le peuple doit soutenir l’Etat… Et l’Etat ? Quand va-t-il soutenir le peuple ? #zırnıkyok
Le peuple dit #zırnıkyok et partage ses propres n° IBAN. Trolls de l’AKP, vous tenez le dénouement. Donnez 10 livres turques de vos salaires illégaux. Le problème sera résolu.
dit un tweet, en s’adressant à des milliers de “AKtrolls” salariés en statut fonctionnaire.
Les kémalistes en prennent aussi pour leur grade en réponse à l’appel à soutien. On ressort une campagne de 1963 :
Vous aviez récolté de l’argent pour une statue d’Atatürk ! Vous aviez donné pour ça…
Mais aussi les migrants, du coup, et il fallait s’y attendre, prennent une part des tweets, de la part des supporters d’Erdoğan, mais pas que…
Vous avez dépensé 40 milliards de dollars pour les syriens, mais rien pour les citoyens turcs ? #zırnıkyok
Tu as nourri ces hordes de chiens depuis des années et tu demandes de l’argent maintenant ?
(Le tweet est partagé avec une photo de migrants syriens…)
Une photo d’Erdoğan où il dit à sa fille Sümeyye, sa conseillère : “Dis à Bilal qu’il ne se trompe pas, je ne donne pas les 7 mois de mon salaire de Président, mais ma retraite. Fais attention ma fille.”
Faisant allusion au scandale des “boîtes à chaussures”, ces millions trouvés chez des ministres… Des enregistrements téléphoniques avaient fuité à l’époque en Turquie, Erdoğan disant à son fils Bilal, pas très “fut fut”, de mettre “les coffres à zéro”, et de demander de l’aide à Sümeyye pour transférer l’argent.
Juste comme rappel… En 2018, à la suite d’un décret présidentiel publié dans le journal officiel, Erdogan a été désigné comme président du “Fonds souverains” et son gendre, le ministre du Trésor et des Finances Berat Albayrak, en a été nommé vice-président. Le gouvernement turc a décidé en février 2017 de placer des dizaines de milliards de dollars d’avoirs publics dans ce fonds souverain, comme plusieurs dizaines de milliards de dollars avaient été versés en 2016, afin de financer d’ambitieux projets d’infrastructure. Les parts gouvernementales les plus importantes des compagnies privatisées sont transférées vers ce fonds.
Autre nouvelle de la journée pour la Turquie, Hakan Gülseven, auteur et journaliste d’Independent — Turquie, a été arrêté et mis en garde-à-vue. Il a annoncé son arrestation sur son compte Twitter :
“Je suis en train d’être mis en garde-à-vue par la police de lutte antiterrorisme, pour avoir crée le hashtag #zırnıkyok. Je suppose que je vais être amené devant le Procureur. Voilà la démocratie !”
Hakan Gülseven a été libéré quelques heures plus tard et il a continué à partager ses tweets.
Bien évidemment il n’y pas d’incitation à la haine. Le fait de critiquer le pouvoir est transformé en “crime”. Ils veulent que la population ait peur, ne puisse pas parler. La liberté de pensée et d’expression figure dans la Constitution, personne ne peut nous faire taire. On ne pliera pas le genou.
S’il y avait une once de “crime” dans ce que j’avais écrit, je serais en prison. Le fait que les policiers se pointent à ma porte pour une “crime” inexistant, est totalement avec un objectif d’intimidation. Et c’est aussi de l’agression. Dans nos courtes vies, nous avons bien connu l’Etat, mais l’Etat n’arrive pas à nous reconnaitre. Bien évidemment qu’ils ne peuvent nous intimider.
Ne pas faire confiance à ce pouvoir, les appeler à la démission, ne leur donner “que dalle” et appeler le peuple à en faire autant, ne sont pas des “crimes”. Informer sur le fait que le Palais envoie en l’air l’argent du peuple et critiquer cela, ne sont pas des “crimes”. Pourquoi alors, garde-à-vue, interrogatoire ?
Ce que nous subissons n’est que l’oreille pour le chameau. Selahattin, Figen et les deux Barış 1 sont maintenus en otages. Des milliers de “coupables” politiques sont dans des prisons en Turquie, avec des prétextes bidons. Nous qui sommes dehors, nous ferons en sorte que ceux qui sont en prison, ne baissent la tête. Au prix de les rejoindre, si c’est nécessaire… Et que cela soit leur soucis.
S’il en étaient de par le monde, qui pensaient en voyant le grand chambardement créé par le Covid19, que bientôt “rien ne sera plus comme avant”, au vu de ceux qui préparent à leur manière la sortie de cette crise, sachant que le monde politique pourrait tanguer, nous pouvons affirmer que l’autoritarisme, comme en Turquie, a de beaux jours devant lui et, face à lui, l’esprit de résistance. Comme avant.