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Voilà, nous sommes coincés un peu partout, cerné par ce coro­n­avirus, entre nos qua­tre murs. Cer­tains se font une rai­son et patien­tent tant bien que mal, con­scients que d’autres ser­rent les dents, et encore d’autres, par­ti­c­ulière­ment dans les pays où les pop­u­la­tions sont con­damnées à la survie quo­ti­di­enne, oblig­és de sor­tir pour gag­n­er leur pain.

Si on regarde ce paysage avec froideur, la minorité qui, en temps soit dis­ant nor­mal, se love aisé­ment sur le tra­vail de la majorité “exploitable” ren­due servi­able, con­tin­ue de men­er son exis­tence. Par­mi eux, quelques unEs pub­lient leur “jour­nal de con­fine­ment”, depuis leur con­fort bâti avec la sueur de la majorité productive.

L’ap­pel à dons nation­al d’Er­doğan, tombé avant hier, n’est autre que la “main char­i­ta­ble” de cette minorité, ten­due à celles et ceux qui suent et qui se tuent. La char­ité est péjo­ra­tive. Car le mépris de ces quelques béné­fi­ci­aires pour la majorité, sur laque­lle il a l’habi­tude de marcher, grâce au sys­tème bâti, et qui les écrase tel un rouleau com­presseur jusqu’au point de leur sucer la sève, est qua­si palpable.

Erdoğan, qui “fait cadeau” de ses 7 mois de salaires à cette cam­pagne de “sol­i­dar­ité nationale” pré­cise que “l’ob­jec­tif de cette cam­pagne est de pro­cur­er un sou­tien sup­plé­men­taire à nos conci­toyens à bas revenus qui se trou­vent vic­times de cette péri­ode. Nous atten­dons la plus grande aide de nos hommes d’af­faires, nos per­son­nes char­i­ta­bles”. Cette opéra­tion qui est d’une part, l’aveu du fait que l’é­conomie du pays n’est pas au top, comme on l’an­nonce avec des éruc­ta­tions belliqueuses, au point que “le monde entier envie la Turquie”, et que les caiss­es de l’E­tat sont vides. D’autre part, cette cam­pagne n’a pas d’autre but que de la char­ité, qui ferait du bien aux con­sciences de ceux qui d’habi­tude ne font qu’en­tass­er. Ce pain blanc que les “grandes dames” dis­tribuent aux ouvrierEs.

Il n’est pas éton­nant que cette cam­pagne annon­cée comme de “sol­i­dar­ité” ren­con­tre une forte réac­tion épi­der­mique et reçoive des répons­es qui se groupent sous le hastag #zırnıkyok, “que dalle”.

Elle fut perçue dès son lance­ment comme un show qui invite à un con­cours de char­ité. D’autres poli­tiques nation­al­istes, dirigeants, maires, et célébrités entrent dans la con­cur­rence, et s’ex­posent, bien­veil­lants, en met­tant dans le jeu leurs pro­pres dons. En face, si des cen­taines de mil­liers de per­son­nes hurlent d’une voix unique “que dalle”, ce n’est pas parce qu’elles pensent qu’il ne faut pas s’en­traider face au coro­n­avirus. La réac­tion est tout à fait com­préhen­si­ble, vu le total manque de con­fi­ance, ce qui est par­faite­ment légitime, instal­lé depuis des années envers un régime englué jusqu’au cou dans la corruption.

Comme dit un proverbe anglais “La char­ité recou­vre les péchés”. Le “Que dalle !” n’est pas pour la classe en dif­fi­culté, mais s’adresse à ceux qui admin­istrent l’E­tat. Les Etats, dans la tête de beau­coup, devraient en principe être au ser­vice de leurs pop­u­la­tions. Mais, nous savons tous, qu’ils ne soucient que de leur péren­nité et ser­vent aux minorités sur les cimes des sociétés pyra­mi­dales. L’E­tat-nation n’est pas une admin­is­tra­tion sol­idaire et bienveillante.

Devons nous être vrai­ment sur­pris de ce dégoût pop­u­laire devant un appel pour que les rich­es daig­nent accorder un peu d’aide aux pau­vres ? Cette char­ité dégoutante, ne fait-elle pas par­tie du principe per­me­t­tant d’obtenir l’obéis­sance des mass­es du bas, de ces hordes d’êtres humains exploitées jusqu’à la moelle ? Il est ques­tion des gens hum­bles qui ont même per­du les con­di­tions de vie min­i­mums, les plus basiques. La minorité dorée, par­ti­c­ulière­ment celle qui est née en s’en­richissant grâce aux poli­tiques cor­rompues d’Er­doğan, cette nou­velle caste par­v­enue et big­ote, va “ren­dre” alors, les min­i­mas à ceux lais­sés de côté qu’elle méprise ouverte­ment. Jules Renard dis­ait, “La char­ité est l’hypocrisie qui donne dix sous d’at­ten­tion pour recevoir vingt francs de gratitude”.

Déjà, les appels “restez chez-vous” sous le slo­gan “il y a une vie à la mai­son” large­ment dis­pen­sé de la part des “célébrités”, illus­trés de pho­tos les mon­trant avec un livre à la main, ou encore en faisant du sport dans leurs salons chics avaient provo­qué de fortes indig­na­tions. “Pensez-vous que nous sor­tons par pur plaisir ? Nous nous met­tons en dan­ger face au coro­n­avirus par oblig­a­tion, pour aller tra­vailler. Com­ment nour­rir nos familles ?”.

Erdoğan n’est bien sûr pas le seul, la Turquie non plus, mais con­tin­uons donc avec son exem­ple… Il a telle­ment rem­pli ses cof­fres que même s’il entrait dans le show non pas avec ses 7 salaires mais 77, les pop­u­la­tions en dif­fi­cultés ne pour­raient pas se rap­procher de son stan­dard grotesque­ment majestueux. Non, en rem­plis­sant la flûte du haut, le cham­pagne ne rem­plit pas les ver­res à la base de la pyra­mide… Ressor­tent alors sur les réseaux soci­aux, mon­tré du doigt le sac Her­mès de la Pre­mière Dame Emine, ou encore les radi­a­teurs ornés d’or de Berat Albayrak min­istre et gen­dre, achetés à des prix à la hau­teur de plusieurs années de salaires de ceux qui suent. Ou encore, les voitures de fonc­tion lux­ueuses, achetées avec les impôts… Les dettes d’im­pôts graciées à des entre­pris­es mafieuses et destruc­tri­ces. “Qu’il payent eux ! Que dalle !”. 

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Pour­tant y a eu bien avant l’ap­pel d’Er­doğan, des cam­pagnes de sol­i­dar­ité lancées par cer­taines mairies en Turquie. Ankara est de celles là, une des grandes villes où l’AKP d’Er­doğan a per­du, à deux repris­es car les élec­tions ont été annulées et renou­velées. La Pré­fec­ture a blo­qué, hier, leurs comptes ban­caires de sou­tien, pour motif “les cam­pagnes de dons ne peu­vent être organ­isées que par l’E­tat”.

Pour­tant, par­al­lèle­ment, face au coro­n­avirus, il y a des gens qui s’or­gan­isent hum­ble­ment. Ils four­nissent des vivres aux plus dému­nis dans leur entourage, aident les per­son­nes âgées con­finées sur ordre et sous peine d’a­mendes. Des asso­ci­a­tions s’ac­tivent. Cela se réalise mod­este­ment au niveau local. Là, on peut par­ler de la sol­i­dar­ité, et même si ça vous chante ajoutez l’ad­jec­tif “nationale”, pour nous, c’est “humaine”.

Entre la char­ité pitoy­able et méprisante et la sol­i­dar­ité, il y a une falaise sociale creusée par le cap­i­tal­isme. La char­ité est le fruit de l’orgueil elle n’est rien d’autre que le moyen d’en­tretenir la pau­vreté, de l’ap­pro­fondir et de la péren­nis­er, de main­tenir juste la tête hors de l’eau.

Il n’y aurait besoin ni d’élans de sol­i­dar­ité et cer­taine­ment pas de char­ité s’il exis­tait dans les sociétés, la “mutu­al­ité”. L’épreuve du coro­n­avirus nous en fera-t-elle enfin pren­dre conscience ?

 


Pho­to : Emre M. Istan­bul, Kalamış.

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.