Depuis plusieurs semaines, le régime de  Bachar en Syrie, avec l’aide de la Russie, tente de réduire la dernière “poche” d’Idlib. 


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Cette offen­sive mil­i­taire était atten­due et con­stitue le dernier acte para­dox­al des accords de dits de Sotchi, sur fond des change­ments inter­venus depuis la défaite mil­i­taire de Daech et l’an­nonce du retrait américain.

Ces accords, con­clus avec comme parte­naires l’I­ran, La Russie, la Turquie, et sans sig­na­ture explicite du régime de Bachar, insti­tu­aient entre autres des zones dites “de dés­escalade” et de cessez le feu. Ces zones, repris­es une à une par le régime, dont les plus con­nues sont celles d’Alep et de la Ghou­ta, étaient aux mains de groupes et mil­ices, qui, bien que se récla­mant du soulève­ment orig­inel con­tre Bachar, con­stituent des mou­vances dji­hadistes et com­bat­tantes à dynamiques et intérêts pro­pres depuis 2012.

Ces com­bat­tants et leurs familles, de zone en zone évac­uées ont été repoussés ou achem­inés vers cette zone géo­graphique d’Idlib, elle même déjà gérée par des groupes d’op­po­si­tion syri­enne, alliés ou sol­idaires des fac­tions dji­hadistes, depuis qu’en 2016 le régime avait repris la ville d’Alep. Cette zone, à 50km de la fron­tière de Turquie, (région d’An­ti­oche et province de Hatay proche) a tou­jours con­sti­tué une porosité et joué un rôle impor­tant dans l’in­ter­ven­tion du régime turc dans la guerre syri­enne. Daech n’avait pu s’y établir.

En 2017, c’é­tait Jab­hat al Nos­ra, qui s’était allié à d’autres fac­tions, pour créer Hay­at Tahrir al Sham (HTS), qui con­trôlait avec d’autres cette région d’Idlib. La Turquie était chargée en principe du désarme­ment de ces groupes dans le cadre des accords. C’é­tait oubli­er la stratégie du régime turc qui aujour­d’hui a recy­clé et armé lour­de­ment nom­bre d’en­tre eux. Cer­tains furent d’ailleurs envoyés en Libye comme mer­ce­naires récemment.

La situation autour d’Idlib en février 2020, versus 2017

Porosité frontal­ière, achem­ine­ment de logis­tique, com­merce, arme­ment. Aux fron­tières de cette géo­gra­phie, se situe égale­ment un axe routi­er majeur, la M5, reliant Damas à Alep, via Homs, qui fut égale­ment un foy­er de con­tes­ta­tion du régime de Syrie.
La présence mil­i­taire de forces turques ou de ses “prox­ys mer­ce­naires” autour du point névral­gique d’I­dleb s’est vue ren­for­cée ces derniers mois, et réar­mée mas­sive­ment, alors que les accords visaient le con­traire, et que la Turquie était chargée de la dés­escalade. Côté régime de Syrie, la recon­quête mil­i­taire vio­lente a tou­jours été à l’or­dre du jour, dès lors où la présence et le sou­tien russe y aidait

On ne peut détach­er la stratégie du régime turque dans la zone de ce que furent égale­ment les accords de cessez le feu plus au Nord, insti­tu­ant une “zone tam­pon” imposée par les armes con­tre le Roja­va, et de fait une présence armée turque, tout comme une poli­tique d’épu­ra­tion eth­nique menée con­tre les Kur­des, dans le pro­longe­ment de l’oc­cu­pa­tion d’Afrin l’an­née précé­dente.
Le régime syrien, de son côté, pour­suit donc la recon­quête mil­i­taire du ter­ri­toire syrien, hors de sa “zone utile” d’hi­er, aidé par la logis­tique et la force mil­i­taire russe. Et cette recon­quête passe par une trêve tacite­ment imposée avec le mou­ve­ment kurde. On sait ce que fut le désen­gage­ment améri­cain et le blanc seing don­né au régime turc pour ses occu­pa­tions, qui, avec la pres­sion de la Russie, a con­traint le Roja­va à se repli­er sur la pro­tec­tion des pop­u­la­tions, tout en deman­dant son inté­gra­tion dans de futurs proces­sus de paix en Syrie, per­spec­tive lointaine.
Les états européens sont les grands absents, et l’UE de fait, sans rôle diplo­ma­tique, n’in­ter­fère pas dans les affaires d’un mem­bre de l’OTAN qu’est la Turquie.

Cette sit­u­a­tion para­doxale où la Russie est la force mil­i­taire dom­i­nante, alliée du régime syrien, mais aus­si “parte­naire” de la Turquie bel­ligérante, ne pou­vait que débouch­er sur le ren­force­ment de la guerre, une escalade mil­i­taire, et des men­aces graves et effec­tives con­tre les pop­u­la­tions civiles pris­es en étau.

Ces pop­u­la­tions, pour beau­coup com­posées déjà de déplacéEs, fuient comme elles le peu­vent les zones d’af­fron­te­ments directs et de bom­barde­ments par cen­taines de mil­liers. Beau­coup d’en­tre elles se retour­nent vers la fron­tière turque, d’autres ont été accueil­lies quand cela été pos­si­ble plus au Nord, en des points déjà sur­chargés de réfugiéEs. Ces civils font l’ob­jet de chan­tage et manip­u­la­tion désormais.

Et, bien sûr, dans cette sit­u­a­tion où le régime turc attendrait de ses alliés européens qu’ils l’ap­puient main­tenant con­tre la Russie, voilà que ressur­git le chan­tage aux réfugiés syriens con­tre l’Eu­rope, dans les pro­pos d’Erdoğan.

En effet, depuis une semaine, la sit­u­a­tion mil­i­taire de la Turquie, qui menaçait encore hier de con­quérir Alep, a con­sid­érable­ment changé du fait de la Russie, qui a con­tribué aux bom­barde­ments mas­sifs des troupes turques et ses alliés, et à la guerre de recon­quête du régime. L’en­lise­ment des forces turques guette, et le régime Erdoğan ressort l’arme des “réfugiéEs” pour obtenir une porte de sor­tie avec une impli­ca­tion diplo­ma­tique européenne. Des ren­con­tres vont avoir lieu en ce sens. Le Con­seil de Sécu­rité est saisi une nou­velle fois.

Ces derniers jours, le régime turc a donc laiss­er fil­tr­er des pop­u­la­tions réfugiées et s’est mon­tré plus ouvert envers celles et ceux qui con­tin­u­ent à fuir vers l’Eu­rope. Des images récentes en témoignent, ain­si que des arrivées plus nom­breuses vers la Grèce.

réfugiées syrie

Cette util­i­sa­tion igno­ble des vies de familles entières, par­tant de la guerre qui se mène sur leurs têtes, et allant vers une instru­men­tal­i­sa­tion des exodes, comme vers l’u­til­i­sa­tion de flux de réfugiés pour trans­former la com­po­si­tion eth­nique de zones géo­graphiques, est l’arme diplo­ma­tique des nation­al­istes big­ots turcs et de Recep Tayyip Erdoğan. Elle est con­fortée par la désor­mais poli­tique d’é­tanchéité européenne, source de cimetières marins en Méditer­ranée ou de cloaques où l’on entasse les migrants en périphérie.Et le thème de la “fer­me­ture des fron­tières” fait recette dans les extrêmes droites européennes, y com­pris lors de cette crise san­i­taire autour du coro­n­avirus. Erdoğan, soyons-en cer­tain, en usera et en abusera encore.

Il espère ain­si obtenir un cadre de négo­ci­a­tions où il pour­ra faire val­oir les prérog­a­tives qu’il avance en Syrie, con­cer­nant sa présence directe ou par prox­ys inter­posés au Nord syrien. Le pré­texte de zone tam­pon où installer les mil­lions de réfugiés syriens d’hi­er et d’au­jour­d’hui, avec l’aide finan­cière d’é­tats européens, néces­site un cadre d’ac­cords pour lequel la Russie n’a à ce jour don­né aucun qui­tus, encore moins le régime de Bachar.

Aucune source de paix ne peut jail­lir de cette autre guerre en Syrie. Le Roja­va lui, qui se bat et se bat­tait hier pour la cohab­i­ta­tion démoc­ra­tique et la recon­nais­sance des Peu­ples de Syrie, se retrou­ve pris aus­si entre marteau et enclume, som­mé de dis­paraître poli­tique­ment ou de choisir son camp, alors qu’au­cune porte de sor­tie n’est ouverte.

La men­ace, à nou­veau brandie, va, soyons-en cer­tains, ren­forcer aus­si en Europe les idéolo­gies xéno­phobes et iden­ti­taires. Et on peut même s’at­ten­dre de leur part à une croisade anti-Erdoğan.

Mise à jour 2 mars 2020

La Grèce annonce avoir refusé l’en­trée à plus de 10 000 migrants à sa fron­tière avec la Turquie. Ces migrants se retrou­vent sans ressources, dans le plus grand dénue­ment, entassés dans des no mans land. Ils ont été poussés par les autorités de Turquie ces dernières 48h00, qui a favorisé des passeurs pour les faire par­tir, ou même mis des moyens de trans­port en place. Vidéos et pho­togra­phies sont abon­dam­ment dif­fusées par la presse du régime elle-même. Dans cer­taines villes des chas­s­es aux réfugiés de longue date, “pour les faire fuir” et pren­dre leurs peu de biens, ont été organ­isées par les Loups Gris (ultra-nation­al­istes), liés au MHP, par­tie prenante du régime turc. 


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…