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Nieme procès du jour­nal Özgür Gün­dem, ce 14 févri­er 2020 : sur les bancs des accuséEs : la roman­cière Aslı Erdoğan, la lin­guiste Necmiye Alpay, la juriste Eren Keskin, et l’ad­min­is­tra­teur de l’époque, Kemal Sancılı, tout comme 9 autres journalistes…

Les médias solidaires des Kurdes pris pour cibles

Le 25 juil­let 2015, suite à l’ar­rêt du “proces­sus de réso­lu­tion”, les pour­par­lers afin de trou­ver une solu­tion de paix dans la “ques­tion kurde” en Turquie, s’en­suiv­it une longue péri­ode d’ex­ac­tions et mis­es sous état de siège des villes et local­ités du Kur­dis­tan de Turquie. Dès le départ, de nom­breux médias et organes de presse furent objets de cen­sures. Afin de les soutenir, une cam­pagne de sol­i­dar­ité fut alors lancée. Inti­t­ulée “Soyez Redac­teur-trice en chef de garde de Özgür Gün­dem, pour 1 jour”, cette cam­pagne pour ce jour­nal a accueil­li le sou­tien de  100 jour­nal­istes, artistes, écrivainEs, uni­ver­si­taires, poli­tiques et respon­s­ables d’or­gan­i­sa­tions de société civile. Elle a duré jusqu’au 7 aout 2016. Les faits incrim­inés par l’é­tat turc remon­tent donc à cette péri­ode, et si le jour­nal fut fer­mé en prof­i­tant de la vague de purges lancée en 2016 (coup d’é­tat man­qué dont est accusé la Con­frérie Gülen, elle même aux antipodes d’Özgür Gün­dem), ce procès n’a pas de liens avec les suites judi­ci­aires du coup d’é­tat, mais relève bien de la lutte poli­tique anti-kurde. En ce sens, Aslı Erdoğan, fig­ure de la lit­téra­ture de Turquie, femme de sur­croît, posait là un acte de sol­i­dar­ité au delà du nation­al­isme exclu­ant, et a dépassé les lim­ites “autorisées” par la turcité. D’où l’acharnement.

Après la censure, la persécution

Des enquêtes furent ouvertes à l’en­con­tre de 50 des 100 per­son­nes et per­son­nal­ités sol­idaires, l’une après l’autre, avec des accu­sa­tion de “pro­pa­gande pour une organ­i­sa­tion ter­ror­iste” et “appar­te­nance à une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”… 11 de ces enquêtes ne furent pas pour­suiv­ies, mais 38 dossiers furent trans­for­més en procès.

28 “rédacteurs-trices en chef de garde” devant les tribunaux

Le dossier de Deniz Türkali, le délai d’en­quête étant dépassé, n’a pas été inclu.

Les peines de prison infligées à Murat Çelikkan, Ayşe Düzkan, Ragıp Duran ve Celalet­tin Can ne furent pas appliquées selon le principe de “report de déc­la­ra­tion de ver­dict” (Hük­mün Açık­lan­masının Erteleme­si — HAGB). Murat Çelikkan a été libérée sous con­trôle judi­ci­aire, après 3 mois de prison.

Le 20 juin 2016, Şeb­nem Korur Fin­cancı, Ahmet Nesin et Erol Önderoğlu, furent arrêtéEs puis libéréEs après 10 jours d’in­car­céra­tion. Ces trois per­son­nes ont été acquit­tées seule­ment en 2019, le 17 juil­let. Ayşe Düzkan, après 4 mois et demi d’in­car­céra­tion, fut libérée le 12 juin 2019.

Jusqu’à ce jour seules 7 per­son­nes dans ce procès Özgür Gün­dem ont été acquit­tées. Erol Önderoğlu, Şeb­nem Korur Fin­cancı, Ahmet Nesin, Hasan Hayri Şan­lı, Nevin Erdemir, Hüseyin Tah­maz, Hakkı Boltan.

Le 16 août 2016, après la déci­sion d’in­ter­dic­tion et de fer­me­ture du jour­nal Özgür Gün­dem, la police spé­ciale a opéré un raid au local du jour­nal, met­tant en garde-à-vue 24 jour­nal­istes, celles et ceux du jour­nal, mais aus­si des jour­nal­istes de IMC TV et DIHA, venuEs sur les lieux pour cou­vrir l’événe­ment. D’ailleurs, ces médias ont été inter­dits et fer­més à leur tour, quelques semaines plus tard.

Cette opéra­tion fut suiv­ie par des perqui­si­tions aux domi­ciles d’Eren Keskin, juriste et anci­enne rédac­trice en chef d’Özgür Gün­dem, et autrice du jour­nal  Fil­iz Koçali et du jour­nal­iste Ragıp Zarakolu.

Ensuite, le 22 août 2016, le Rédac­teur en chef İnan Kızılka­ya et directeur d’édi­tion Zana Kaya, furent arrêtés. Faisant par­tie du groupe des con­seillerEs, Aslı Erdoğan a été arrêtée le 19 août 2016, puis incar­cérée 135 jours en préven­tive, enfin libérée le 29 décem­bre 2016, à la suite d’une mobil­i­sa­tion de sou­tien inter­na­tionale. Necmiye Alpay, empris­on­née le 31 août 2016, a été libérée le même jour.

Le 31 octo­bre 2017, İnan Kızılka­ya est libéré après 441 jours de déten­tion, et Kemal Sancılı, après 301 jours de détention.

Le procès ne s’ar­rê­ta pas pour autant.

L’audience précédente

La dernière audi­ence s’est déroulée le 13 jan­vi­er 2020.

Le pro­cureur a retiré l’ac­cu­sa­tion qui con­cer­nait toutes les accuséEs de ce procès, d’ “atteinte à l’in­tégrité de l’é­tat et à l’or­dre du pays”, car “aucun élé­ment n’a été trou­vé pour jus­ti­fi­er ce crime”. La “per­pé­tu­ité aggravée” ou dit “incom­press­ible” ne fig­ure donc plus par­mi les peines demandées.
Rap­pelons encore une fois, que cette peine spé­ci­fique se sub­stitue à la peine cap­i­tale, abolie en Turquie en 2002. Mais celle-ci ne peut béné­fici­er de pos­si­bles remis­es de peine, con­traire­ment à la per­pé­tu­ité “nor­male”.

Aucune preuve suff­isante et con­va­in­cante n’ayant été trou­vées”, le pro­cureur demande l’ac­quit­te­ment de Necmiye Alpay et  Bilge Oykut. L’ad­min­is­tra­teur du jour­nal à l’époque, Kemal Sancılı et İnan Kızılka­ya, sont eux tou­jours accusés d“appartenance”, et Bilir Kaya de “pro­pa­gande”. Il demande égale­ment la sépa­ra­tion des dossiers de Ragıp Zarakolu et Fil­iz Koçali, qui sont à l’é­tranger, et qui n’ont pas “pu être inter­rogéEs”.

Il est demandé pour Aslı Erdoğan, accusée de “pro­pa­gande” pour les 4 arti­cles pub­liés dans Özgür Gün­dem, d’un an 10 mois à 9 ans 3 mois de prison. Quant à Eren Keskin, LA grande dame de la défense des droits humains en Turquie, (salu­ons la avec respect à cette occa­sion)… Elle risque une peine de prison de 7 ans 6 mois à 17 ans, pour “appar­te­nance à une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”, car elle aurait “per­mis la pub­li­ca­tion favor­ables à l’or­gan­i­sa­tion”. Eren, sujet de nom­breux dossiers l’ac­cu­sant, la con­damnant à des dizaines d’an­nées de prison et d’a­mendes impos­si­bles à pay­er, n’est plus à 17 ans près. Ni d’ailleurs, du genre à baiss­er les bras. En réponse au pro­cureur elle dis­ait lors de cette dernière audi­ence “Je suis qual­i­fiée par l’ac­cu­sa­tion, de mem­bre d’or­gan­i­sa­tion ter­ror­iste et armée. Ce réquisi­toire est aus­si con­traire au Droit intérieur de la Turquie. Vous nous voyez comme des enne­mis. Je suis depuis 30 ans, défenseure des droits humains. Et je suis avo­cate depuis 30 ans. Mais vous, vous affirmez que je suis mem­bre d’or­gan­i­sa­tion ter­ror­iste armée. C’est une chose .…, le croyez-vous, vous-même ? Je vais pré­par­er ma défense con­cer­nant cela. Je demande un délai.”

Et l’au­di­ence fut reportée au 14 févri­er 2020 donc demain.


Mise à jour 14 février : quelques bonnes nouvelles

Aslı Erdoğan vient d’être acquit­tée des charges “d’appartenance à une organ­i­sa­tion ter­ror­iste” et “d’atteinte à l’unité et à l’intégrité de l’État”. Elle a par ailleurs été relaxée de la charge de “pro­pa­gande pour une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”, pour cause de pre­scrip­tion. Bilge Oykut et Necmiye Alpay sont égale­ment acquit­tés. Pour Zana Bilir, Inan Kızılka­ya, Eren Keskin et Kemal Sancılı, leurs dossiers ont été dis­so­ciés et fer­ont l’ob­jet d’une nou­velle audi­ence. Leur cal­vaire n’est donc pas ter­miné et, comme dis­ait l’av­o­cat d’Aslı “les procès devi­en­nent en eux mêmes une peine à part entière”

Un grand mer­ci à toutes et tous, pour avoir soutenu Aslı, et en sa per­son­ne les autres otages poli­tiques. La sol­i­dar­ité inter­na­tionale est plus que jamais nécessaire !


Apportez votre soutien,
à Aslı Erdoğan, à Eren Keskin,
mais aussi à touTEs es accuséEs de ce procès kafkaïen.
Signez la pétition !

Une péti­tion de plus, à quoi bon ?” diriez-vous…
Sachez que les con­cernéEs se ressour­cent de notre soutien,
ici et là, même de loin, pour tenir debout.


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