Arti­cle hom­mage, pub­lié en anglais par Komun Acad­e­my, le 9 jan­vi­er 2020, le jour de l’an­niver­saire de l’as­sas­si­nat de Sakine, Fidan et Ley­la à Paris.

Notre approche du social­isme n’a jamais été très utopique. Pour nous, elle n’a jamais été quelque chose de très loin­tain. Au con­traire, nous avons essayé de voir com­ment nous pour­rions con­crète­ment réalis­er le social­isme, la lib­erté et l’é­gal­ité. Com­ment pour­rions-nous au moins com­mencer, com­mençant par nous-mêmes, à réalis­er ces principes dans notre pro­pre vie ? Nous avons tou­jours eu des espoirs et des utopies, que nous ne voulions pas reporter sur les généra­tions futures. Au lieu de cela, nous avons com­mencé à réalis­er nos utopies et nos espoirs, ici et main­tenant.” Sakine Cansız

Sakine Can­sız

Le matin du 10 jan­vi­er 2013, des mil­lions de Kur­des se sont réveil­lés en apprenant l’hor­ri­ble nou­velle de l’as­sas­si­nat de Sakine Can­sız (Sara), Ley­la Şayle­mez (Ron­ahî) et Fidan Doğan (Rojbîn) au Cen­tre d’in­for­ma­tion sur le Kur­dis­tan, situé au 147 rue La Fayette, au cen­tre de Paris. Immé­di­ate­ment, des dizaines de mil­liers de per­son­nes venues de toute l’Eu­rope, des Kur­des et leurs amis, se sont pré­cip­itéEs sur le lieu du crime pour exprimer leur colère et leur rage. Trois jours plus tard, des cen­taines de mil­liers de per­son­nes de dif­férentes cul­tures et nation­al­ités ont défer­lé dans les rues de Paris, protes­tant con­tre cet acte lâche, ce meurtre politique.

Sakine Can­sız était l’une des co-fon­da­tri­ces du Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK) et une fig­ure de proue du mou­ve­ment des femmes kur­des. Elle a été l’une des rares révo­lu­tion­naires qui ont été des légen­des de leur vivant, notam­ment en rai­son de son rôle his­torique dans la résis­tance de la prison de Diyarbakir dans les pre­mières années du PKK. Fidan Doğan était une représen­tante du Con­grès nation­al du Kur­dis­tan (KNK) en France. Elle a porté la cause poli­tique du peu­ple kurde lors de réu­nions inter­na­tionales et dans des insti­tu­tions telles que le Par­lement européen. Ley­la Şayle­mez était une jeune mil­i­tante du Mou­ve­ment de la jeunesse kurde et du Mou­ve­ment des femmes kur­des. Le meurtre a eu lieu à un moment plein de promess­es de paix et de lib­erté, quelques jours seule­ment après qu’une délé­ga­tion poli­tique ait ren­du vis­ite à Abdul­lah Öcalan sur l’île-prison de Imralı.

Ce que les assas­sins de sang froid n’ont pas réal­isé cepen­dant, c’est que les graines semées par l’e­sprit de Sakine Can­sız et de ses cama­rades allaient se trans­former en fleurs, en arbres et en forêts dans les années suiv­antes — dans la révo­lu­tion Roja­va, dans la sol­i­dar­ité des luttes des femmes du Moyen-Ori­ent, dans la libéra­tion mon­di­ale des femmes en devenir…

sakine cansiz

Sakine Can­sız était une femme kurde ale­vi, née en 1958 dans un vil­lage de Der­sim, au nord du Kur­dis­tan. Une épine dans le pied du sys­tème éta­tique de la République turque, le peu­ple de Der­sim a été soumis à un géno­cide en 1938 après un soulève­ment dirigé par Sey­it Riza. On estime que 70 000 per­son­nes ont été tuées lors des bom­barde­ments ordon­nés par Mustafa Kemal Atatürk, tan­dis que des dizaines de mil­liers ont été déportées par l’E­tat turc. Le nom de Der­sim a été effacé des cartes et rem­placé par le nom de Tunceli, “poigne de fer” pour impos­er l’as­sim­i­la­tion et le silence à la région. L’âge de Sey­it Riza — il avait plus de 70 ans -, a été abais­sé dans les reg­istres de l’E­tat pour légalis­er son exécution.

Avant sa mort, il aurait dit “Je ne pou­vais pas rivalis­er avec vos rus­es et vos men­songes. Cela m’est venu comme un prob­lème. Mais je ne me suis pas soumis à vous. Que cela vous cause des ennuis.”

Sakine Can­sız était donc une enfant des mon­tagnes rebelles de Der­sim, lavée dans les eaux de la riv­ière Mun­zur. Cepen­dant, au moment de sa nais­sance, le silence et la peur rég­naient sur sa com­mu­nauté. Comme beau­coup de jeunes de l’époque, qui ont été élevés avec l’idéolo­gie offi­cielle de l’E­tat, elle a gran­di sans avoir con­science de son iden­tité kurde. Cela a changé, lorsque Sakine Can­sız a ren­con­tré les jeunes étu­di­ants kur­des et turcs de la classe ouvrière autour d’Ab­dul­lah Öcalan, qui s’ap­pelaient alors “révo­lu­tion­naires du Kurdistan”.

Avant de rejoin­dre les Révo­lu­tion­naires du Kur­dis­tan, Sakine Can­sız a été pro­fondé­ment influ­encée par les grands lead­ers révo­lu­tion­naires de Turquie, qui ont été exé­cutés par l’E­tat, tels que Deniz Gezmiş et Mahir Çayan.

Sakine a expliqué sa pre­mière expéri­ence de la vie révo­lu­tion­naire comme suit : “L’idée de la lutte poli­tique et révo­lu­tion­naire m’a con­duite sur le chemin qui a com­plète­ment changé ma vie. J’ai ren­con­tré des jeunes qui vivaient à prox­im­ité. Leur style de vie, leurs débats et leurs approches des valeurs et des con­cepts moraux m’ont pro­fondé­ment touchée. J’ai réal­isé qu’ils por­taient le flam­beau de la lib­erté dans leurs mains.”

Rebelle et émo­tive par nature, Sakine Can­sız s’est sen­tie attirée par les Révo­lu­tion­naires du Kur­dis­tan non seule­ment à cause de leur théorie révo­lu­tion­naire, mais aus­si parce qu’elle s’est sen­tie attirée par la façon dont le nou­veau groupe a émergé de la capac­ité à “ressen­tir la douleur du peu­ple”. Son pre­mier con­tact avec ses futurs cama­rades a eu lieu pen­dant son ado­les­cence, lorsqu’elle a envoyé de la nour­ri­t­ure et d’autres choses utiles aux étu­di­ants pau­vres dans la mai­son miteuse en forme de hutte du quarti­er. Selon ses pro­pres ter­mes, les révo­lu­tion­naires du Kur­dis­tan étaient une alter­na­tive claire et autonome aux deux options dom­i­nantes qui s’of­fraient à des gens comme elle à l’époque : le chau­vin­isme social de la gauche turque, qui niait les con­di­tions spé­ci­fiques du Kur­dis­tan, ou le nation­al­isme kurde con­ser­va­teur, qui avait peu à offrir en ter­mes de change­ment social et de lutte des class­es. Très tôt dans sa jeunesse, elle a iden­ti­fié la prin­ci­pale con­tra­dic­tion qu’elle a vécue dans sa vie privée : la con­di­tion de femme non libre au Kurdistan.

Dans les années 1970, après avoir quit­té sa mai­son pour refuser une vie tra­di­tion­nelle qu’elle ne désir­ait pas, elle a com­mencé à tra­vailler dans des usines pour organ­is­er les femmes tra­vailleuses. Au cours de ses agi­ta­tions et de ses actions, elle a été empris­on­née à plusieurs repris­es. Dans les pris­ons de dif­férentes par­ties de la Turquie, elle a été témoin d’une géo­gra­phie de per­son­nes oubliées, mais rebelles : des ouvri­ers d’u­sine mis­érables, des femmes roms fières, des pros­ti­tuées volon­taires et des sur­vivants trau­ma­tisés du géno­cide. Dans ses mémoires, elle a ren­du hom­mage à ces vies fasci­nantes et a affir­mé sa foi en la capac­ité de les trans­former toutes en mil­i­tants de la révo­lu­tion. Sa déci­sion de devenir une révo­lu­tion­naire pro­fes­sion­nelle a coïn­cidé avec la déci­sion de ses cama­rades de for­mer un parti.

A la fin des années 1970, des comités ont été organ­isés par les “Apoïstes” dans de nom­breuses régions du Kur­dis­tan du Nord. Sakine Can­sız a été chargée par la direc­tion de con­stru­ire le mou­ve­ment des femmes, un devoir qu’elle pre­nait très à cœur. Elle a réus­si à elle seule à rassem­bler de grands groupes de jeunes femmes, sou­vent des étu­di­antes, pour des dis­cus­sions et des for­ma­tions. Le 27 novem­bre 1978, à l’âge de 20 ans seule­ment, Sakine Can­sız est dev­enue l’une des deux co-fon­da­tri­ces du Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan, en par­tic­i­pant au con­grès fon­da­teur du parti.

A l’époque, le tris­te­ment célèbre coup d’E­tat du 12 sep­tem­bre 1980 était déjà annon­cé par de som­bres développe­ments qui visaient les groupes révo­lu­tion­naires dans le pays, et en par­ti­c­uli­er au Kur­dis­tan. Peu après la for­ma­tion du par­ti, Sakine Can­sız et plusieurs de ses cama­rades, dont des mem­bres du comité cen­tral du PKK, ont été arrêtés lors d’un raid en 1979 à Elazığ. Au moment du coup d’E­tat, elle a été trans­portée à la prison de Diyarbakır, nou­velle­ment con­stru­ite, une prison basée sur le sys­tème car­céral améri­cain et où la loi mar­tiale étouf­fait la dig­nité humaine. Jusqu’à ce jour, la grande majorité des atro­ces vio­la­tions des droits humains et des actes de tor­ture sys­té­ma­tiques per­pétrés dans l’en­ceinte de la prison de Diyarbakir restent sans fonde­ment. Il s’ag­it notam­ment de vio­ls et de vio­lences sex­uelles, de décharges élec­triques, d’é­touf­fe­ment des pris­on­niers dans les eaux usées et d’ex­cré­ments de chiens. L’É­tat turc a voulu bris­er la volon­té des pris­on­niers afin qu’ils dénon­cent leur iden­tité de Kur­des et de social­istes. Même si la Turquie n’a tou­jours pas été tenue respon­s­able de ces crimes impens­ables, les événe­ments qui se sont pro­duits à l’in­térieur des pris­ons ont été gravés pro­fondé­ment dans la mémoire du peu­ple kurde. Dans ces années-là, le PKK, comme d’autres groupes révo­lu­tion­naires, a été con­fron­té à un anéan­tisse­ment total de ses struc­tures organ­i­sa­tion­nelles à cause du régime putschiste.

La tor­ture par l’É­tat est allée si loin que cer­tains mem­bres dirigeants comme Şahin Dön­mez se sont effec­tive­ment trans­for­més en infor­ma­teurs de l’É­tat. D’autres, qui lut­taient con­tre la ten­ta­tion de devenir des mouchards face à la tor­ture insup­port­able, ont été sauvés de l’abîme de la trahi­son — pré­cisé­ment grâce à l’at­mo­sphère d’ami­tié et de sol­i­dar­ité créée par des per­son­nes comme Sakine Can­sız. C’est surtout grâce à son esprit qu’au­cun des pris­on­niers de la sec­tion des femmes n’est devenu un agent de l’Etat.

Par­mi les pris­on­niers se trou­vaient des mem­bres fon­da­teurs du PKK tels que Mazlum Doğan, Kemal Pir et Hayri Dur­muş. En créant une atmo­sphère de rébel­lion con­stante par des activ­ités cul­turelles et des céré­monies poli­tiques, leurs straté­gies pour défaire le pro­jet de l’É­tat com­pre­naient des défens­es idéologiques dans les tri­bunaux qui thé­ma­ti­saient le colo­nial­isme, le tra­vail édu­catif et poli­tique dans les cel­lules, l’au­todéfense physique, les jeûnes de mort et les auto-immolations.

Mazlum Doğan a lancé la résis­tance en prison le jour de Newroz en 1982 en allumant trois allumettes, en les posant sur la table dans sa cel­lule et en lui ôtant la vie avec le mes­sage “La red­di­tion est une trahi­son, la résis­tance apporte la vic­toire”.

Dans son Sakine Can­sız a écrit sur l’ac­tion de Mazlum Doğan : “Nous avons essayé de saisir le but de l’ac­tion de Mazlum. Finale­ment, nous avons com­pris qu’elle était en rap­port avec Newroz. Son mes­sage était clair, procla­mait-elle : La résis­tance est la vie !”

Suite à l’ac­tion de Mazlum Doğan, qua­tre détenus, Fer­hat Kur­tay, Eşref Anyık, Nec­mi Önen et Mah­mut Zen­gin se sont enflam­més en signe de protes­ta­tion. C’est avec la direc­tion des mem­bres cen­traux du PKK, Kemal Pir, Hayri Dur­muş, Akif Yıl­maz et Ali Çiçek, que le 14 juil­let 1982, le début d’un jeûne de la mort a été annon­cé pour pro­test­er con­tre les con­di­tions de la prison Diyarbakır. Tous les qua­tre sont morts au cours de la grève de la faim. La résis­tance de la prison de Diyarbakir a cepen­dant sus­cité un sou­tien pop­u­laire et a déclenché la déci­sion défini­tive du PKK de repren­dre la guéril­la con­tre l’E­tat le 15 août 1984.

Les femmes en par­ti­c­uli­er sont visées par les autorités péni­ten­ti­aires, qui veu­lent utilis­er les notions tra­di­tion­nelles d’hon­neur pour sup­primer les iden­tités révo­lu­tion­naires des femmes et évo­quer les sen­ti­ments patri­ar­caux féo­daux chez les hommes. Le directeur le plus célèbre de la prison, Esat Oktay, était con­nu comme un sadique, qui appré­ci­ait les cris de douleur de ses vic­times sous de lour­des tor­tures. Un homme sans aucun respect pour la dig­nité et l’hon­neur humains, Oktay a ensuite été tué dans la rue par quelqu’un qui lui a envoyé les salu­ta­tions de Kemal Pir, mort en prison. Oktay était obsédé par l’idée de stérilis­er les pris­on­nières par des infec­tions des trompes de Fal­lope et des lésions de leurs organes sex­uels. Il a explicite­ment déclaré qu’il voulait que la “race” kurde s’éteigne. Dans ses mémoires, Sakine Can­sız a écrit : “En tant que sadique, il a mon­tré son amour pour les femmes en nous bat­tant avec une matraque entre les jambes jusqu’à ce que nous saignions, il a men­acé de nous “enfon­cer une matraque” et a util­isé ses doigts pour tir­er nos lèvres jusqu’à ce qu’elles se déchirent”. La posi­tion intrépi­de de Sakine face à ce tor­tion­naire per­vers s’est répan­due comme un feu. Tous les sym­pa­thisants du PKK con­nais­sent l’his­toire de la façon dont elle a craché au vis­age d’E­sat Oktay pen­dant la tor­ture. Les pris­on­niers mas­culins du PKK de l’époque ont écrit sur les façons dont la lutte de Sakine Can­sız en prison les a encour­agés à résis­ter au milieu du désespoir.

sakine

La résis­tance de Sakine Can­sız dans la prison de Diyarbakir a con­duit à une nou­velle approche envers les femmes dans la société kurde. Elle a encour­agé les femmes à se join­dre aux struc­tures révo­lu­tion­naires dans les villes et a poussé les femmes vers la poli­ti­sa­tion dans les vil­lages. A par­tir de sa résis­tance en prison, l’ac­tivisme des femmes kur­des a gag­né un respect et un sou­tien crois­sants par­mi les mass­es populaires.

Au moment de sa libéra­tion en 1991, elle avait passé 12 ans de sa jeunesse dans les pris­ons d’E­lazığ, de Diyarbakır, de Bur­sa, de Çanakkale et de Malatya. Tout de suite après avoir respiré l’air de la lib­erté, elle a con­tin­ué sa lutte active dans les rangs du PKK. Ain­si, elle s’est ren­due à l’A­cadémie du Mah­sum Kork­maz du PKK dans la val­lée de la Bekaa au Liban, où elle a rejoint les for­ma­tions idéologiques dirigées par Abdul­lah Öcalan. Des aspects de sa volon­té, de sa lutte et de sa vie ont sou­vent été pris comme exem­ples dans les dis­cours d’Ö­calan. C’est Öcalan qui l’a encour­agée à écrire sa vie. Ses mémoires ont été rédigés en 1996 et mis à la dis­po­si­tion du pub­lic sous forme d’au­top­sie en trois vol­umes. Dans les années 1990, elle a assumé des tâch­es impor­tantes dans l’or­gan­i­sa­tion du mou­ve­ment kurde en Pales­tine, en Syrie et à Rojava.

Elle pen­sait qu’il serait pos­si­ble pour les femmes du Kur­dis­tan de se recréer et de recréer leur his­toire en se joignant à la lutte mil­i­tante du PKK. Elle a décrit la lutte pour la lib­erté de la manière suivante :

Ce mou­ve­ment s’adresse à l’essence même de l’être humain. Dans tous nos débats, nos édu­ca­tions et nos dis­cours, l’hu­man­ité et les valeurs humaines sont le point de départ. Nous dis­cu­tons du développe­ment de l’homme et de la société, des étapes his­toriques et des valeurs de l’hu­man­ité.  Les femmes, qui ont voulu com­pren­dre ces ques­tions, se sont iden­ti­fiées au mou­ve­ment pour la lib­erté. Au tout début de la lutte pour le Kur­dis­tan et de la lutte poli­tique, l’im­pli­ca­tion des femmes dans ce proces­sus révo­lu­tion­naire était très dif­fi­cile. Pour­tant, nous avons réus­si, et nous avons gag­né le pou­voir de façon­ner notre mou­ve­ment”.

Selon ses pro­pres ter­mes, le temps qu’elle a passé en tant que guérillero dans les mon­tagnes du Kur­dis­tan ont été les moments les plus beaux et les plus sig­ni­fi­cat­ifs de sa vie. L’en­gage­ment de Sakine Can­sız dans la lutte pour un Kur­dis­tan libre est par­al­lèle à la chronolo­gie du mou­ve­ment organ­isé des femmes kur­des. Elle a joué un rôle cru­cial dans la for­ma­tion de l’ar­mée autonome des femmes (l’é­toile YJA d’au­jour­d’hui) et du par­ti des femmes (le PAJK d’au­jour­d’hui). Elle n’é­tait pas une per­son­ne qui attendait des ordres. Elle pre­nait plutôt des respon­s­abil­ités, même dans les moments les plus dif­fi­ciles. En rai­son de sa forte per­son­nal­ité, elle était con­nue comme une cama­rade qui n’ac­cepterait jamais la dom­i­na­tion mas­cu­line ou d’autres formes de com­porte­ment anti-révo­lu­tion­naire. Elle lut­tait con­tre le retard social et l’in­jus­tice, tout en étant atten­tive aux réal­ités et aux con­di­tions sociales de son peu­ple. Elle avait une per­son­nal­ité col­lec­tive et com­mu­nau­taire qui étab­lis­sait une sol­i­dar­ité avec tous ceux qui l’en­touraient, mais elle était aus­si têtue et sans peur lorsqu’il s’agis­sait d’ex­primer ses cri­tiques et son désac­cord. Tout au long de sa vie, elle a tou­jours encour­agé ses cama­rades à pro­gress­er, à être forts et per­sévérants. Comme le décrit l’une de ses pre­mières cama­rades et amies de tou­jours : “Sara était tou­jours prête comme si elle allait par­tir, mais elle tra­vail­lait tou­jours comme si elle allait rester pour toujours.”

En 1998, Abdul­lah Öcalan lui a con­fié la mis­sion de pren­dre en charge les tâch­es et les respon­s­abil­ités du mou­ve­ment pour la lib­erté des Kur­des en Europe. Entre autres tâch­es, elle a organ­isé et for­mé les cadres du mou­ve­ment dans plusieurs pays européens, ain­si que la com­mu­nauté des migrants kur­des. De même, elle a tis­sé des liens avec dif­férents mou­ve­ments pro­gres­sistes en dehors du Kur­dis­tan, en respec­tant les diver­sités et en soulig­nant l’im­por­tance de la lutte pour des valeurs humaines com­munes en tant que mou­ve­ments alter­nat­ifs, fémin­istes, de gauche et démoc­ra­tiques pour con­stru­ire des struc­tures d’au­tonomie démoc­ra­tique et une société démoc­ra­tique, libre et libérée des préjugés sex­istes. Elle a ain­si joué un rôle impor­tant dans la créa­tion d’une sol­i­dar­ité pour la cause kurde. Elle a tou­jours recruté, organ­isé et éduqué son peu­ple, en par­ti­c­uli­er les jeunes femmes, jusqu’à son dernier souffle.

A ses yeux, la lutte était le fac­teur déter­mi­nant de la lib­erté : “Dans mon utopie, vous devez lut­ter pour la lib­erté toute votre vie. Dans un Kur­dis­tan libéré, la lutte doit être glo­rieuse”.

Au vu de cette vie remar­quable et légendaire, per­son­ne n’au­rait pu s’at­ten­dre à ce que ce héros soit tué de sang-froid dans un assas­si­nat insi­dieux au cœur de Paris. Dès le pre­mier jour, le mou­ve­ment des femmes kur­des a souligné la bar­barie de cet assas­si­nat comme une ten­ta­tive de frap­per au cœur de la révo­lu­tion du Kur­dis­tan : la femme libérée. Bien que le tueur, Ömer Güney, ait été iden­ti­fié très tôt, on sait que le ser­vice de ren­seigne­ment de l’E­tat turc a ordon­né le meurtre pour sabot­er le proces­sus de paix. Les autorités français­es n’ont pas révélé la nature poli­tique de ce crime. Le tueur est mort en prison dans des cir­con­stances mys­térieuses, quelques semaines seule­ment avant le début du procès. Chaque année, le mou­ve­ment kurde organ­ise une man­i­fes­ta­tion de masse à Paris avec d’autres mou­ve­ments de femmes pour deman­der “Jus­tice et Vérité !”. Les femmes kur­des n’au­ront de cesse que le cas du mas­sacre de Paris soit pleine­ment résolu dans toutes ses dimensions.

Sakine Can­sız a tou­jours voulu retourn­er au Der­sim en tant que guérillero. Et en effet, elle est retournée dans son pays natal en héros. Sa tombe est dev­enue quelque chose comme un sanc­tu­aire, un lieu de pèleri­nage pour les opprimés, les jeunes, les tra­vailleurs, les femmes. Des mil­lions de per­son­nes lui ont fait leurs adieux, en trans­portant son cer­cueil de Paris, à Amed, à Dersim.

Dans la révo­lu­tion de Roja­va, les efforts de libéra­tion des femmes ren­dent hom­mage à Sakine Can­sız et à ses cama­rades. La lutte com­mencée par un petit groupe de jeunes gens a main­tenant atteint un stade où sa philoso­phie et sa pra­tique sont dis­cutées par des révo­lu­tion­naires du Brésil à l’Inde. Les femmes, qui ont libéré le monde des fas­cistes vio­leurs de Daesh, l’ont fait en prenant des noms de guerre tels que Sara, Rojbîn, Ron­ahî. Aujour­d’hui, de nou­velles généra­tions de filles et de garçons kur­des sont élevées pour avoir des traits de Sara.

Comme le dit sou­vent le mou­ve­ment des femmes : “Ils peu­vent couper nos fleurs, mais ils ne peu­vent pas arrêter le printemps !”

Pas d’ou­bli, ni pardon !

sakine cansiz


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