Aujour­d’hui, 6 jan­vi­er 2020, à 11h00, 198 organ­i­sa­tions et asso­ci­a­tions de femmes ont fait simul­tané­ment dans 48 villes de Turquie des con­férences de presse dénonçant la loi d’am­nistie con­cer­nant les abus sur les enfants.


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Les plate­formes Nafa­ka Hakkı et TCK 103 Kadın sont les deux organ­i­sa­tions ayant appelé à cette ini­tia­tive géante qui dénonce le nou­veau pro­jet de loi (encore) qui prévoit d’of­frir un sur­sis à l’au­teur d’a­gres­sions “lorsque l’en­fant l’épouse” à con­di­tion que la dif­férence d’âge entre eux ne dépasse pas 15 ou 10 ans. En d’autres mots, cette amnistie ouvre un boule­vard à l’impunité…

Le débat qui préoc­cupe l’AKP actuelle­ment est celui de la dif­férence d’âge entre l’en­fant et l’adulte ;  15 ou 10 ans ? Aux dernières nou­velles, la bal­ance pencherait pour les 15 ans de dif­férence. Le pro­jet de loi viendrait à l’Assem­blée nationale après les dis­cus­sion sur le bud­get de 2020.

Voilà les points qui sont soulignés par les organ­i­sa­tions, lors des con­férences de presse.

Des suppressions aux réformes, au fil du temps…

Déjà en 2005, une loi sim­i­laire a été empêchée par la lutte des organ­i­sa­tions de femmes, de pro­tec­tion de l’en­fance et des droits humains. Mais le régime a con­tin­ué à oeu­vr­er sournoise­ment, pas par pas…

D’abord en 2015, l’oblig­a­tion de mariage civ­il avant le mariage religieux a été sup­primée. Cette loi con­damnait les cou­ples qui s’unissaient par un mariage religieux avant le mariage offi­ciel, à une peine de prison de 2 à 6 mois de prison. Les défenseurEs de droits avaient souligné à l’époque, qu’avec ce change­ment de nom­breuses per­son­nes ne se marieront pas offi­cielle­ment. Par con­séquent, les divorces/abandons, les prob­lèmes juridiques sur l’affiliation des enfants et l’attribution de pen­sions ali­men­taires aug­menteront, et ce, au détri­ment aus­si bien des enfants que des femmes.

Ensuite, en mars 2016, en réac­tion à la révéla­tion des abus sex­uels sur 45 enfants com­mis au sein d’une fon­da­tion religieuse, extrême­ment proche du régime, s’oc­cu­pant et hébergeant des enfants, Sema Ramazanoğlu, alors min­istre de la famille, a pronon­cé la phrase inscrite de façon  indélé­bile dans l’his­toire de la Turquie. Soulig­nant la “respectabil­ité” de la fon­da­tion en ques­tion, elle déclara: “Une fois, ce n’est pas grave”.

En 2017, dans une même réforme autorisant les respon­s­ables religieux à effectuer des mariages civils, l’E­tat a per­mis aux direc­tions des reg­istres d’é­tat civils, l’in­scrip­tion de nais­sances s’é­tant déroulées en dehors d’un suivi des corps médi­caux, sur sim­ple déc­la­ra­tion orale. Cette pos­si­bil­ité est dev­enue effec­tive en juin 2018, avec l’ou­ver­ture d’un por­tail électronique.

mariage enfant mariée

Si on regarde atten­tive­ment, le régime s’ef­force depuis 2016, de réalis­er des reformes et d’in­stau­r­er des pra­tiques, afin d’ou­vrir les pos­si­bil­ités de mariages pré­maturés d’en­fants par la force, et de légalis­er de fait les abus sur les enfants. Mal­gré toutes les con­tes­ta­tions et com­bats des organ­i­sa­tions de pro­tec­tion de l’en­fance et des femmes, un pack de loi pro­mul­gué en 2016, a réfor­mé la loi con­cer­nant l’abus sur l’en­fant. Des rec­ti­fi­ca­tions sur les para­graphes 1 et 2 de l’ar­ti­cle 103 du code pénal turc, ont bais­sé la lim­ite d’âge à 12 ans. Selon cette réforme, les abus sur les enfants de moins de 12 ans, sont seuls con­cernés par des peines lour­des, mais aucune expli­ca­tion n’a été don­née à l’opin­ion publique, sur les raisons et argu­ments qui ont motivé pour définir ce critère des 12 ans.

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Comme il est ques­tion d’une clause de dif­férence d’âge de 10 à 15 ans, entre l’en­fant abusée et l’au­teur d’abus, con­crète­ment, une fil­lette de 12 ans pour­rait donc désor­mais être mar­iée à un homme de 27 ans ou 22 ans.

Blanchir le crime d’abus, par la pos­si­bil­ité de mariage, se traduit par le fait de laiss­er les enfants devant un risque de nou­veaux abus, et/ou abus répéti­tifs, et les con­damn­er ain­si, à des vies rem­plies de violences.

Dans la con­ti­nu­ité de cette réforme des 12 ans d’âge légal, qui est passée en 2016, aujour­d’hui, le régime annonce donc une future amnistie…

Une politique cohérente

Notons que la déc­la­ra­tion récente du régime “Nous allons effectuer l’am­nistie juste une fois”, rime par­faite­ment avec la déc­la­ra­tion de Sema Ramazanoğlu, citée ci-dessus, et démon­tre la cohérence de l’AKP qui pour­suit ses poli­tiques nocives avec détermination.

Le régime argu­mente sa volon­té d’am­nistie, car “les filles abusées à un petit âge [à moins de 12 ans], puis mar­iées [la loi de 2016 le per­me­t­tant], suite à la con­damna­tion des hommes qui ont com­mis le crime d’abus, restent seules avec leurs enfants et se trou­vent lésées”. Les organ­i­sa­tions de femmes et de pro­tec­tion de l’en­fance dénon­cent, “il est aus­si inhu­main que irra­tionnel que l’E­tat s’ef­force de légitimer l’abus sex­uel des enfants, avec de tels pré­textes, de sur­croit, sans com­mu­ni­quer, ni se baser sur des recherch­es et don­nées. Il est impos­si­ble d’é­tudi­er les cas. Les ‘familles déchirées’, des ‘vic­times isolées’ exis­tent-elles réelle­ment ? Com­bi­en sont-elles ? Quelles sont leur réal­ité, leurs difficultés ?”

Alors que c’est notre ter­rain d’ac­tiv­ité prin­ci­pal, nous apprenons le sujet d’am­nistie par la presse et dans les couloirs. Si l’ob­jec­tif est réelle­ment de pro­téger les enfants, et d’empêcher qu’elles devi­en­nent des vic­times, les organ­i­sa­tions de femmes et de pro­tec­tion d’en­fants, hurlent les solu­tions depuis des années.”

Ne pas protéger l’auteur des abus, mais l’enfant !”

Les autorités religieuses qui mari­ent religieuse­ment les fil­lettes qui n’ont pas l’âge mar­i­tal, les familles qui en font la demande et don­nent la per­mis­sion, ain­si que les per­son­nes témoins qui ne rem­plis­sent pas leur devoir d’aver­tisse­ment et fer­ment les yeux, et les autorités offi­cielles doivent être condamnées.

En effet, par exem­ple, le per­son­nel médi­cal a l’oblig­a­tion de déclar­er les cas d’abus sur les mineurs arrivés et traités dans leur étab­lisse­ment. La réal­ité est que celles et ceux par­mi les soignants qui effectuent des déc­la­ra­tions sont envoyéEs au ban ou au plac­ard. Nous savons égale­ment, que les min­istères de jus­tice et de San­té, mènent des travaux afin de sup­primer cette oblig­a­tion. Et cela est bien sûr, aus­si en liai­son avec le pro­jet d’am­nistie en question.

Il faut une reforme oui : Inscrire claire­ment dans le code pénal turc, que les enfants de mois de 15 ans, ne peu­vent être déclarés con­sen­tants pour des actes sex­uels. L’âge de mariage doit être défi­ni comme 18 ans. Et ces points doivent être inté­grés dans les lois, sans laiss­er la moin­dre faille ou pos­si­bil­ité d’in­ter­pré­ta­tion juridique.”

A l’Assem­blée nationale, la par­tie des députéEs qui ne sou­ti­en­nent pas le gou­verne­ment a déclaré qu’elle ferait tout pour empêch­er cette loi d’am­nistie de passer.

La pres­sion religieuse et patri­ar­cale pour par­venir à ces lois est forte, au nom d’une tra­di­tion que les “Frères musul­mans”, con­sti­tu­tifs du socle big­ot de l’AKP ne renieraient pas. La tra­di­tion là, vient en défense de l’abus, nie l’en­fance et en fait un objet, pour les filles de préférence…

En France, entre autres, des “affaires” de “pédophilie lit­téraire” ré-inter­ro­gent un cer­tain libéral­isme sex­uel, sociale­ment toléré il y a moins de 20 ans, en le re-qual­i­fi­ant en pédo-crim­i­nal­ité. Le régime turc revendi­querait-il para­doxale­ment ce libéral­isme pré­da­teur là ? C’est pour te mieux vio­l­er mon enfant…

Quelques chiffres

Pour le moment les chiffres de l’an­née 2019 ne sont pas encore annon­cées par le TÜİK, l’In­sti­tut sta­tis­tique de Turquie… Jetons un oeil sur les chiffres “offi­ciels” de l’an­née 2018.

167 jeunes, âgées de moins de 15 ans ont accouché. Dans le groupe des 15–17 ans, le chiffre est de 11 636. 11 803 bébés qui ont été mis au monde, sur les 1 mil­lion 248 847 nais­sances, con­cer­nent donc des mères mineures. Le chiffre con­nu du nom­bre de femmes de 18–19 ans dev­enues mères en 2019 est de plus de 48 milles.  Con­cer­nant les mineures ayant mis au monde un enfant, chiffres offi­ciels déclarés par le TÜİK, on con­state pour­tant une baisse par rap­ports aux années précé­dentes. Ce chiffre reste mal­gré tout inquiétant.

Même chose pour les mariages d’en­fants. Dans le groupe 16–17, on con­state une légère baisse. Mais le nom­bre de ces mariages est impor­tant. Et encore, ne sont compt­abil­isés là que les mariages déclarés. Les 3,8% des 553 202 mariages enreg­istrés en 2018, con­cer­nent les filles de 16–17 ans : le 3,8%, soit 20 779. (pour les garçons le nom­bre est de 1029, soit 0,2%)

Ce tableau de la Turquie rap­pelons-le, sied à un régime qui développe au plus haut niveau une poli­tique natal­iste et patri­ar­cale assumée.


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.