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Nedim Türfent, journaliste de l’agence d’information Dicle (DİHA), fut arrêté à Van, le 13 mai 2016. Il a été ensuite condamné par le tribunal de Hakkari, à 8 ans, et 9 mois de prison.
Il est accusé pour son activité de journaliste, “d’appartenance à organisation terroriste” et de “propagande terroriste”, les deux grands classiques de la justice de Turquie. Ses avocats ont fait appel. Le 9 octobre dernier, la Cour suprême a confirmé la peine de Nedim, niant les propos de témoins qui affirmaient “c’est avec pistolet sur le front, dents extraites, que nous avons été forcés à témoigner contre lui”…
Nedim est en prison depuis plus de 3 ans. Plusieurs organisations, dont PEN International, dénoncent sa condamnation et revendiquent sa libération. Vous aussi, pouvez apporter votre soutien en signant par exemple cette pétition en français.
Solidaires avec notre confrère Nedim Türfent, nous publions, sur sa demande, la traduction de poésies qu’il a écrites récemment à la prison de Van. En partageant ses mots avec vous, nous vous invitons à soutenir, avec vos cartes et lettres, Nedim et ses amis qui partagent ses quartiers, ainsi que les autres prisonniers et prisonnières, tous otages politiques de la Turquie.
Nedim Türfent
Van Yüksek Güvenlikli Kapalı Ceza İnfaz Kurumu
A‑44
VAN — TURQUIE
* Vous pouvez trouvez les adresses d’autres prisonnierEs ICI.
La parole à Nedim Türfent.…
“Nous sommes nos propres démons, nous nous expulsons de notre paradis”
Goethe
L’être vivant et le monstre
Qui suis-je ?
J’emplis le monde de mes couleurs, de mes voix, mes langues
Je suis de toutes natures…
Je suis l’opprimé, mais aussi l’impitoyable
Celui qui meurt, mais aussi celui qui tue…
L’occasion n’a qu’une mèche de cheveux !
Je suis aussi paresseux qu’Oblomov
Aussi misérable et souillon que Causette,
Autant dévoué que Dewrêşê Ewdî.
Dans le Pays des merveilles, je suis Alice
Parfois je deviens Don Quichotte
Parfois Boby Sands,
Mais j’ai toujours un côté enfant
Espiègle comme Zézé dans Mon bel oranger.
Et un côté mûr
Tel Papillon le bagnard
Entêté, déterminé et résistant…
A Riad, je porte la burka sous contrainte
Je suis Femen à Kiev.
Je quitte la matrice de ma mère à Canberra
A Moscou, je m’allonge d’un berceau à l’autre…
Dans les gratte-ciel à Dubaï, dans une cage en Corée,
Entrelacé avec l’Histoire à Budapest, sous la terre en Bosnie,
Je vis, dans les profondeurs des forêts amazoniennes…
A Dublin, je me promène dans les musées,
à Sanaa d’un tombeau à l’autre!
Centenaire à Tokyo,
Bienheureux, si je suis pubère à Bagdad !
D’une part je suis poète, d’autre part assassin, soldat,
Nanti à New York,
Par ici, prolétaire, par là, paria
Je suis pauvre et démuni…
Je suis capitaliste et communard
Révolutionnaire en Catalogne, traditionaliste à Madrid.
Je joue du saxo à Glasgow, mon âge approche 60
Je vole du pain à Kaboul, j’ai 6 ans!
Autrement dit,
Je meurs d’obésité à Ottowa
Et à Mogadiscio, de faim…
A Buenos Aires je suis mère de la Plaza de Mayo,
Dans la guérilla en Amérique latine,
Je suis scientifique en Extrême-Orient
En Proche-Asie, homme de sagesse et de connaissance.
Nommez-moi si ça vous dit, Sophie,
Ou Méphistophélès ou encore Sisyphe,
Mon cœur enfle parfois comme ceux des sœurs Mirabals.
A Istanbul, soucieux comme Hrant Dink,
Si vous me demandez mon nom a Auschwitz, c’est Elie Wiesel.
Je suis Aylan Kurdî de Kobanê,
Je suis balloté, pas sur le bord de la mer
mais telle une gifle, sur vos conscience calleuses…
C’est un fanatique qui me tue à Christchurch,
En Syrie, un avion de type F je-ne-sais-quoi…
Je suis un Palestinien sous la griffe du Pharaon
Un Juif sous les talons du Führer.
Pourtant, c’est moi qui suis le Pharaon, et le Führer aussi !
C’est moi qui porte l’épée de Damocles, et qui suis aussi Brutus.
Je suis cruel et tyran, parfois,
Marteau à la main, arme à la ceinture
J’envahis et j’annexe,
J’apporte la démocratie et la liberté, soit disant
En vérité, je crée des terroristes dans les colonies…
J’ai les yeux bridés à Pekin,
A Accra je suis de peau noir…
Je suis indien, blanc de peau.
Je suis d’Erevan, de Rojava, de Myanmar…
Je parle le Maori et le Kurde,
Quant à ma langue au Rwanda, demandez la à la France!
Je suis dans les quatre sens, au sol et au ciel.
Je tisse des routes entre Hollywood et Bollywood.
Je suis le dieu et la déesse de tous les vivants!
Je crée du néant, la Nation et l’Etat,
Puis à leur tour, ils anéantissent mon existence..
Je suis sadique, narcissique, mon jour de naissance est un mystère
Je sors de l’église, de la mosquée et de la synagogue
Je deviens adepte de Hadès, voyageur cherchant le Nirvana…
Je suis un réfugié qui se heurte à vos murs
Je fuis la barbarie, nu comme Kim Phuc…
Je deviens Greta Thunberg, défendant l’avenir
Nadia Mourad, protégeant la vie…
Je suis candidat pour la citoyenneté en Suisse,
Les cils de mon pays humides et ensanglantés…
Celui qui fait saigner, qui prend les vies, c’est moi
Je suis l’être vivant et le monstre à la fois…
Mets une poignée d’au fraiche sur ton visage,
Qui suis-je ?
Je suis celui qui fait exister sur Terre, le paradis et l’enfer ensemble
La sentinelle du clair et de l’obscur !
Je suis l’humain, l’humain lui-même…
Empli de contradictions, coriaces contradictions…
Nedim Türfent
Le 23 novembre 2019, Prison de haute sécurité de Van
Ne laissons pas Nedim, sans courrier !
Nedim Türfent
Van Yüksek Güvenlikli Kapalı Ceza İnfaz Kurumu
A‑44
VAN — TÜRKİYE