C’était une soirée de novembre, automnale à souhait, à Paris, à l’Espace Femmes — Antoinette Fouque.
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L’Alliance des Femmes et la représentation française du PEN international avait donné rendez-vous pour une soirée de lectures croisées, en soutien aux autrices et auteurs persécutés. C’était la deuxième de ce format. Nous y étions déjà présents en novembre 2018, et pour cause…
Zehra Doğan, artiste, autrice et journaliste, était alors encore emprisonnée. Ces œuvres “évadées” circulaient déjà en Europe, aux bons soins de l’association Kedistan, qui ainsi contribuait à la campagne de solidarité pour l’artiste. Le PEN international l’avait placée sur sa “liste”, liste qu’on voudrait voir “transformée en suite de noms de personnes dont on fêterait la libération”.
Comme un battement d’ailes de papillon peut provoquer un déplacement d’air à l’autre bout du monde, la soirée de 2018 entraîna la sortie du livre “Nous aurons aussi de beaux jours”, écrits de prison de Zehra Doğan, aux Editions des Femmes, et cette exposition de plus de cinquante œuvres évadées de Zehra, scénographiée par Philippe Leduc, au milieu desquelles se déroulait cette soirée des “EcrivainsEs en danger”.
Zehra y était présente cette fois, libérée en février 2019.
“Toutes ces journées et soirées entre soi qui ne servent à rien” nous objectera-t-on.
La réponse vient de celles et ceux qui furent libéréEs et qui l’expriment : “Vous ne pouvez pas savoir combien la pensée que quelque part on lise mes textes, on m’exprime de la solidarité, que mes mots parviennent jusqu’à vous, m’a aidé à surmonter l’enfermement des geôles et m’a encouragé à la lutte”.
UnE prisonnièrEs, politique, parce que persécutée pour sa liberté d’expression, son art, son écriture ou ses combats contre l’obscurantisme et les dictatures, si on ne parle pas d’elle/lui, si on laisse l’oubli s’étendre, voit sa résistance devenir vaine et ses geôliers capables de le/la violenter davantage. Si, à minima, ces soirées servent à quelque chose, c’est à cela. Et c’est déjà beaucoup, et contre la résignation.
Elles servent à rendre hommage aux résistances, à les soutenir, à les faire connaître, et, de bouches en écrits, à faire savoir aux persécuteurs que des consciences humaines veillent contre leurs crimes.
Et chaque libération est une victoire.
• Celle d’Aslı Erdoğan, toujours sous le coup d’un procès en Turquie, bien qu’en exil, et victime aujourd’hui d’une campagne médiatique ignoble, fut fin 2016 un événement fêté par tous ses soutiens, dont le PEN international. Cette dernière soirée lui rendait aussi hommage, puisque son état de santé ne lui permettait pas d’être là. Zehra Doğan lut un de ses textes avec beaucoup d’émotion “Le journal du fascisme : Aujourd’hui”. Ce texte figure dans l’acte d’accusation à son encontre.
• Celle de Zehra Doğan, pour qui ce 15 novembre se fut l’occasion de fêter et réaliser enfin une libération, mais tenir aussi le flambeau pour d’autres, arrêtéEs depuis, ou toujours en prison, pour les mettre en lumière.
Une chaise vide, et un portrait symbolisaient l’absence de Stella Nyanzi, femme résistante ougandaise, antropologue, docteure, féministe, défenseure de droits LGBTI, actuellement en prison.
Le principe de ces soirées de novembre est celui d’une lecture de textes, tous plus poignants et forts les uns que les autres, en autant de langues qu’il est possible (autour de vingt ce dernier soir). Et l’émotion fut présente, d’un bout de la chaîne à l’autre, et a parcouru le public présent en nombre.
Enfin, fut projeté en pleine lumière la “question des Ouïghours”, aujourd’hui enfermés par centaines de milliers dans des camps de déportation en Chine. Parmi eux, et ce n’est pas oublier tous les autres, des poètes, des auteurs/trices, des gens de culture. Leurs textes furent lus avec force, et une représentante en France développa une information qui bouscule bien des idées toutes faites sur ces Peuples persécutés, idées que la Chine, et d’autres, répandent comme écrans de fumée à l’oppression et au génocide culturel en cours, si ce n’est davantage. Nous ouvrirons les pages de Kedistan prochainement à celle qui sut si bien défendre la cause de Peuples pour lesquels sont faussement mis en avant des questions religieuses, faux prétextes à leur enfermement.
La soirée fut close par une lecture à voix multiples du texte d’Eluard, “Liberté”, en toutes langues possibles, du fait des locutrices et locuteurs présentEs. Le texte fut accompagné au piano, acteur aussi présent de cette soirée de novembre.
Qu’unE intellectuelLE, une personnalité de l’art, un auteur, bref, ce qu’il est parfois de bon ton de qualifier de membre de caste ou d’élite lorsqu’il/elle, ne prête pas allégeance à un drapeau ou ne signe pas ostensiblement des pétitions connues, mette au service de la solidarité humaine sa notoriété, sans demander en retour autre chose que la satisfaction d’une libération, devient si rare. Il faut donc le saluer chaleureusement.