L’accord passé entre Erdoğan et Trump, via le vice-Président américain est une trahison de plus, en toute illégalité internationale.
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Un émissaire américain conclut un accord permettant d’occuper un territoire de 450 km de long sur 30 km de profondeur en Syrie avec le régime turc, et le déguise sous un cessez le feu contraignant pour la partie Forces Démocratiques Syriennes, et cela visiblement ne dérange pas grand monde.
Trump montre ainsi sa capacité, dans des interventions unilatérales, de soi-isant régler les problèmes internationaux et donner la possibilité de rapatrier les “Boys”. Son électorat, qui se contrefiche de l’international, trouvera là de quoi adouber l’efficacité de son poulain. La manoeuvre politique est plus efficace que les circonvolutions avec la Syrie du Nord et le bras de fer avec l’Iran.
Cette politique internationale à coup de tweets et déclarations toutes aussi populistes et démagogiques l’une que l’autre serait risible, si elle ne se faisait pas en créant de possibles situations et des faits accomplis, qui s’avèreront des kystes purulents pour des décennies.
Passons rapidement sur toutes les déclarations de Trump sur les “SDF pire qu’ISIS”, sa lettre où il demande à Erdoğan de ne “pas jouer aux durs”, et les finalement fausses sanctions qui sont levées en échange du cesser-le-feu.
Accepter que la deuxième puissance économique délègue ouvertement le soin à une puissance régionale d’occuper un territoire par la force, pour soi-disant protéger sa frontière, serait une dégénérescence majeure d’une institution internationale comme l’ONU, et justifierait par là même l’impuissance déjà à empêcher l’occupation israélienne, validée là aussi par les autorités des Etats Unis. La raison du plus fort validée par le maître Trump ?
Le cessez-le-feu de quelques jours, décidé et retourné contre le Rojava, permettra de subvenir à des besoins humanitaires urgents. Il permettra aux combattantEs des SDF de se réorganiser aussi. Il ajoutera des réfugiéEs sur les routes également. Mais il ouvre grand la porte à tous les partages possibles entre la Turquie et le régime syrien. Ces partages seront probablement actés lors de la rencontre Poutine Erdogan programmée.
Celles et ceux qui verraient là une possible sortie par le haut du “conflit syrien” oublieraient gravement trois choses :
- les populations qui étaient en paix en Syrie du Nord, bien qu’entourées par la guerre, sont chez elles… étaient chez elles. Elles accueillaient également des déplacéEs du fait des combats avec l’Etat islamique. Ces populations avaient mise à profit cette paix sous menaces, pour tenter de construire un vivre ensemble, capable d’être une solution politique pour la Syrie toute entière. Effacer le Rojava, c’est avaliser la guerre qui couvera sous le joug des uns et des autres.
- Le début de révolution syrienne, instrumentalisé de toutes parts et qui a dégénéré en guerre civile où le djihadisme a prospéré, a constitué également à la fois un terreau et une réalité, celle des opposants au régime, devenus gangs pour leur compte ou mercenaires pour la Turquie. Cette partie là est aussi sur un sol qu’elle revendique. Vouloir, comme le dit Erdogan, installer dans la “zone tampon” plusieurs millions de réfugiés syriens et leur donner en “gardiens” ses supplétifs djihadiste, c’est constituer un bouclier humain, foyer de guerre là aussi.
- La défaite militaire de Daech, obtenue au prix de la vie de milliers de Kurdes, laisse des prisonnierEs, prisonniEres réfugiéEs, qui n’ont pas répondu de leurs crimes passés et vont être livrés au régime ou à la Turquie, quand ils ne se seront pas déjà échappés. On connait la capacité de Daech de récupérer ses membres, et celle de la Turquie et de ses supplétifs à les recycler.
Nous nous dirigerions donc vers un partage négocié de zones d’influence et d’occupation militarisée, dans lesquels Kobanê par exemple serait sous régime syrien ou turque.
La demande faite aux SDF de “reculer” et de laisser le territoire pour envoyer les réfugiés manger du sable et des cailloux, sous haute surveillance est inclue dans l’accord américano-turque, puisqu’il priverait les populations des villes essentielles à une survie, comme de zones économiquement nécessaires.
Ce cessez-le-feu est pourtant la résultante des soutiens et mobilisations transnationales et de la résistance combattante des SDF. Un Trump a su les retourner à son profit pour la réalisation d’un projet de partage de la Syrie Nord, et pour satisfaire en interne son électorat. Aussi insiste-t-il sur le “retour des troupes”.
Bien malin celui qui pourrait connaître exactement ce qui sortira de la rencontre entre Erdoğan et Poutine.
Très logiquement, la maître russe est le grand gagnant pour son influence stratégique dans la région.
On voit également très difficilement l’armée syrienne se retirer de la soi-disant zone tampon où elle se trouve de fait présente, comme à Kobanê, comme il ne peut être envisagé qu’un Poutine se satisfasse de donner un rôle aux djihadistes alliés de la Turquie, et ayant Idlib comme base arrière.
Comme pour tous les accords précédents, le régime syrien n’y entrera probablement pas.
Un dernier point, l’Administration Autonome (AANES) mentionne dans un communiqué que l’accord “garantit le retour de tous ceux qui ont été déplacés à cause des attaques”, ce qui contradictoirement contredirait l’Etat turc dans son aspiration à une épuration ethnique dans la région. Cette décision empêcherait aussi l’Etat turc d’envahir davantage de territoires syriens.
Les SDF, bien sûr, ont circonscrit avec raison ce cessez-le-feu aux zones de combat, et demande des négociations en refusant le fait accompli. Qui les entendra ?
Un cessez-le-feu ne peut être que favorablement accueilli pour nos amiEs du Rojava.
Mais rester là à applaudir et commencer à accepter ce plan de guerre qui se profile ressemblerait à s’y méprendre, à nouveau, à un certain Munich. De la “source de paix” ne coulera que du sang et des larmes.