Un livre de car­i­ca­tures, inti­t­ulé “Duvar­ları Delen Çizgiler” (les traits qui per­cent les murs) est paru mal­gré tout en Turquie, par­al­lèle­ment à la tournée d’une exposition.


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L’ex­po­si­tion “Duvar­ları Delen Çizgiler” est actuelle­ment à Istan­bul. Elle était vis­i­ble, les 12 et 13 octo­bre, au local de l’as­so­ci­a­tion Divriği Kültür Derneği, dans le quarti­er Bey­oğlu. Le pro­jet de l”exposition et du livre est né à l’ini­tia­tive de Görülmüştür.org, col­lec­tif et site web, qui recense les adress­es des pris­on­niers et pris­on­nières poli­tiques de Turquie.

livre Turquie caricaturesDepuis plus d’un an, en Turquie, les con­tribu­teurs et con­tributri­ces du site, ont ten­té de col­lecter des dessins et car­i­ca­tures réal­isés par des pris­on­nièrEs. Dans le livre, nous trou­vons 22 pris­on­niers, dont Barış İnan, Cenan Genç, Hüseyin Yıldırım, Mehmet Enes Tunç, Mehmet Boğatekin, Melih Gür­ler, Ömer Özdu­rak, Ser­dar Sürücü, Aynur Epli, Menaf Osman, Özlem Özdemir, Zehra Doğan…

Tous les dessins qui y fig­urent por­tent bien évidem­ment, le fameux cachet des “com­mis­sions de cen­sure” présentes dans toutes les pris­ons. “Görülmüştür” (“vu” en turc).

Adil Okay, de l’équipe de Görülmüştür, qui a envoyé le livre à plusieurs pris­on­niers se trou­vant dans de dif­férentes prison, racon­te dans une inter­view réal­isé par le jour­nal Duvar, le proces­sus de réal­i­sa­tion du livre et de l’ex­po­si­tion. Il dénonce aus­si com­ment ce livre, qui pour­tant ne fig­ure absol­u­ment pas dans la “liste des livres inter­dits”, est cen­suré et son entrée inter­dite dans les prisons.

Nous faisons depuis des années des pro­jets col­lec­tifs avec les pris­on­niers et pris­on­nières, nous organ­isons des expo­si­tions. Cette année nous avons voulu porter les rêves de lib­erté des pris­on­niers à l’ex­térieur, avec leurs pro­pres coups de crayon.

J’ai essayé de join­dre près de 50 pris­on­nierEs, en me ren­dant dans des dizaines de pris­ons. J’ai envoyé plus d’une cen­taine de let­tres recom­mandées et autant de fax [Nor­male­ment les admin­is­tra­tions ont l’oblig­a­tion de faire par­venir les fax que les détenuEs reçoivent]. Les let­tres se sont per­dues, ou n’ont pas été don­nées à leur des­ti­nataires, en pré­tex­tant les fréquentes “inter­dic­tions de cor­re­spon­dance” mis­es en places comme sanc­tions dis­ci­plinaires. D’autres let­tres me sont rev­enues avec le tam­pon “ne se trou­ve pas à l’adresse”, car les trans­ferts for­cés vers d’autres pris­ons sont aus­si fréquents.

Après 7 mois d’ef­forts, nous avons col­lec­té 70 car­i­ca­tures orig­i­nales, sur la thé­ma­tique “lib­erté”.  Nous avons réal­isé l’ex­po­si­tion, qui con­tient les oeu­vres de 22 artistes, col­lec­tive­ment, avec le sou­tien du col­lec­tif Homur Mizah Grubu. Et l’ex­po­si­tion a tourné dans plusieurs villes. Ensuite, avec les édi­tions Ütopya Yayın­ları, nous avons réal­isé un livre.

Bien évidem­ment, nous avons envoyé le livre avant tout à ses con­tribu­teurs, con­tributri­ces en prison. Alors que le livre a pu entr­er dans une dizaine de prison sans prob­lème, cer­taines pris­ons ont com­mencé à inter­dire son accès. Une, puis deux, et ces refus ont augmenté…”

Le gag est que les dessins con­tenus dans le livre, por­tent tous le cachet de la com­mis­sion de cen­sure, donc ils ont passé la bar­rière de la cen­sure en Turquie…

livre

 

Sey­it Oktay, écrivain incar­céré à la prison de type T de Tokat, en par­le dans une let­tre qu’il nous a envoyée” dit Adil Okay : “Le fait que le livre n’al­lait pas m’être don­né était ver­bal­isé dans le doc­u­ment de déci­sion d’in­ter­dic­tion du Con­seil de l’é­d­u­ca­tion attaché à la Direc­tion des pris­ons de type T de Tokat. Du coup, je n’ai pas pu dire que ce serait peut être une blague… Ils avaient pris cette déci­sion parce que ‘le livre con­te­nait des dessins et textes qui met­tent en dan­ger la sécu­rité de l’étab­lisse­ment’. Il y avait à peine un mois, un nou­veau pack de loi soi-dis­ant ‘élar­gis­sant la lib­erté d’ex­pres­sion’ avait été annon­cé avec des dis­cours flam­bants dans la presse. (…) Mal­heureuse­ment les dessins réal­isés en prison, et qui ont pu en sor­tir, trans­for­més en livre, n’ont pas pu tra­vers­er en retour, les murs de notre prison.”

Adil Okay con­tin­ue, “Je voudrais ajouter en com­plé­ment… Comme vous le savez, après le coup d’E­tat du 12 sep­tem­bre 1980, les pris­ons de Turquie sont dev­enues non pas des “cen­tres de réha­bil­i­ta­tion des détenues” mais des lab­o­ra­toires de perte d’i­den­tité. Même s’il y a eu depuis, des péri­odes de res­pi­ra­tions, suite aux luttes, c’est tou­jours l’ar­bi­traire qui y règne. Nous con­nais­sons bien cet arbi­traire, par les pra­tiques et déci­sions non pas seule­ment illé­gales mais sou­vent dénuées de con­science, des directeurs de prison, des gar­di­ens, et des com­mis­sions de l’é­d­u­ca­tion. Les infor­ma­tions et plaintes que nous recevons, sur les pra­tiques sans aucun motif, totale­ment arbi­traires, d’in­ter­dic­tions de livres, jour­naux, cor­re­spon­dance, de fouilles à nu for­cées, de comp­tage façon mil­i­taire, d’aus­cul­ta­tion médi­cale avec menottes, et même d’ac­couche­ment  menot­tés, tor­tures et trans­ferts forcés…”

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La loi con­cer­nant les livres en prison est très claire. : “L’en­trée à l’étab­lisse­ment est autorisée par l’ad­min­is­tra­tion, des édi­tions imprimées, qui seront mis­es à la bib­lio­thèque, ou apportées par les pris­on­niers, ou envoyées de l’ex­térieur, à con­di­tion que leur entrée et dis­tri­b­u­tion dans les cam­pus ne soient pas inter­dites par déci­sion de tri­bunal. (3/2/1994–94/5382K)”. En résumé, toute inter­dic­tion décidée par l’ad­min­is­tra­tion sans pass­er par une déci­sion de jus­tice est arbi­traire et illégale.

Adil Okay dit, “Dernière nou­velle, à la prison de Diyarbakır, le livre a été refusé égale­ment à M. Enes Tunç, dont l’oeu­vre y fig­ure. Il a alors fait une requête par les voies légales et juridiques. Le Juge a refusé sa demande. Ils s’est retourné vers le Tri­bunal Pénal et il dit qu’il irait jusqu’au Tri­bunal Con­sti­tu­tion­nel… Les pris­on­niers mènent une lutte aus­si bien pour leur droits que pour les nôtres. Ils se bat­tent, rien que pour lire un livre.”

Adil, pré­cise que selon l’ar­ti­cle 64 de la Con­sti­tu­tion, l’E­tat sou­tient l’artiste et les activ­ités artis­tiques. “La Con­sti­tu­tion dit cela, mais lorsqu’il s’ag­it ‘d’artistes opposantEs’, les lois sont mis­es dans le plac­ard. Et mal­gré toutes les lois, les livres légaux, devi­en­nent dans les pris­ons, illé­gaux. Il ne faut pas laiss­er les pris­on­niers, les pris­on­nières seulEs dans leur lutte. Les soutenir dans leur efforts pour lire des livres, est aus­si un devoir des poètes, auteurEs et journalistes…”

Adil Okay finit en s’adres­sant au Min­istère de la Jus­tice turc, “Si les lois exis­tent, et si elles sont uniques, dénouez ces pra­tiques para­doxales et pour­suiv­ez les censeurs arbi­traires. Sinon, de toutes les façons, nous percerons les inter­dits, comme ces artistes ont per­cé les murs de pris­ons par leur crayons.”

  • Plus aucune dif­férence entre l’ex­térieur et intérieur…
    No more dif­fer­ences between out­side and inside…

Image à la une : Une des expo­si­tions antérieures, à Adana.

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