A l’instant où une menace d’invasion de forces d’occupation turques se fait jour contre le Rojava, nous publions ce texte, à la demande des organisateurs/trices des Rencontres Internationales de l’Ecologie Sociale et des Internationalistes de Make Rojava Green Again (Faisons reverdir le Rojava).
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Réflexion par les internationalistes de Make Rojava Green Again
05.10.2019
Durant une rencontre de quatre jours qui a débuté le 26 septembre, activistes, communard.e.s et écologistes sociaux se sont réunis pour discuter de la manière de construire une société libre, sur la base d’une auto-organisation démocratique radicale pour lutter contre la destruction de la nature et des êtres humains par le capitalisme.
Les Troisièmes Rencontres Internationales de l’Écologie sociale ont débuté dans la soirée à Liège, en Belgique, avec une introduction à l’écologie sociale par Annick Stevens. Cette première réunion a été suivie de deux journées d’ateliers thématiques sur les différents aspects de l’écologie sociale : la question du municipalisme et de la démocratie radicale, l’auto-gestion, l’autonomie et la Jineolojî. Le programme de la soirée, riche en activités culturelles, compta notamment des pièces de théâtre et des concerts. La « conférence » sur le Rojava représenta un moment-clé des rencontres avec une présentation de l’histoire de la révolution, de la situation politique actuelle et du système démocratique au Rojava. Les bases idéologiques de cette révolution féministe et écologique ont été présentées de pair avec les idées de la science des femmes – la Jineolojî — et de la campagne écologique de la commune internationaliste du Rojava – Make Rojava Green Again.
À l’issue du week-end, les participants ont pris la décision d’organiser de nouvelles rencontres et de communiquer le contenu des discussions et les résultats obtenus au public.
Lors des discussions, les activistes de la Commune internationaliste ont pu partager l’expérience acquise dans le cadre de leur travail écologique au Rojava ainsi que les fondements écologiques de leur campagne. ANF a interrogé l’un des activistes sur leurs impressions à l’issue des rencontres ainsi que sur leurs attentes et les résultats obtenus :
• Quelles sont vos impressions sur ces rencontres ?
Eh bien, il s’agissait des troisièmes rencontres internationales sur l’écologie sociale en Europe et je m’attendais à ce qu’une foule de gens de pays et de projets différents y participent – collectifs, groupes politiques, intellectuel.le.s et personnes tout simplement désireuses d’apprendre davantage sur l’écologie sociale. Ce fut le cas mais la plupart venaient de pays ou régions francophones. Le caractère international des rencontres n’a donc pas été très prononcé. Néanmoins, la volonté générale était de lancer de nouveaux projets qui suivent les idées de l’écologie sociale et de relier les projets existants tout en remettant en question nos modes et nos façons de pensée et de vivre. Ce fut particulièrement évident lors de l’atelier sur la Jineolojî.
• Quel rôle ont joué les acteurs de la campagne « Make Rojava Green Again » lors des rencontres ?
Nous avons participé à l’atelier sur le thème de l’autonomie dans le contexte de l’écologie sociale. Forts de l’expérience de la révolution au Rojava, nous avons tenté de souligner que l’autonomie n’est pas seulement un concept physique, qu’elle a aussi une dimension métaphysique extrêmement importante. Développons-nous un système autonomique contre l’État dans notre façon de penser et dans notre approche de l’histoire, par exemple ? Ou reproduisons-nous notre histoire telle qu’elle est racontée par l’État ? Nous avons également partagé des expériences concrètes, comme la constitution de coopératives à Rojava, le type de problèmes qui se présentent et les solutions trouvées par le gouvernement autonome. Nous avons aussi présenté notre campagne et les travaux réalisés par les internationalistes. Nous avons essayé de partager avec nos camarades de réunion un peu de l’esprit internationaliste qui règne au Rojava … et je pense que nous y avons réussi.
• Qu’est-ce qui vous a manqué lors de ces rencontres ? Et au-delà de celles-ci, au niveau des mouvements sociaux écologiques en Europe ?
Clairement les discussions sur les différentes formes d’organisation. Je veux dire par cela que les personnes qui assistent à des réunions et à des conférences comme celles-ci veulent jouer un rôle dans le processus de création d’une société basée sur l’auto-gestion. Mais comment pouvons-nous assumer cette responsabilité et comment devons-nous nous organiser pour y arriver ? En Europe, les gens oublient souvent qu’au Rojava, par exemple, beaucoup ont quitté leur emploi, leur école ou leur famille pour consacrer leur vie entière à cette révolution, et ce dans tous les domaines. Et nous devons prendre conscience que cette démarche est nécessaire si nous (c’est-à-dire chacun de nous) décidons d’assumer cette responsabilité. Les discussions dans ce type de réunions ne doivent pas seulement porter sur les aspects pratiques de la constitution d’une commune écologique au niveau local, ou sur la prise en charge de l’approvisionnement local en électricité, mais également sur les aspects organisationnels et idéologiques permettant de rassembler les différents projets, initiatives et groupes locaux. Outre la spontanéité des dynamiques sociales, il est essentiel de mettre en place des structures organisationnelles fiables et bien définies.
Mais peut-être existe-t-il un obstacle encore plus fondamental : la difficulté pour ce type de rencontres de réellement formuler la volonté de construire un véritable mouvement et d’assumer la responsabilité que j’ai mentionnée plus haut. En l’absence d’un renforcement des cadres organisationnels, ces rencontres continueront à souffrir d’un problème de continuité, chaque rencontre semblant être la première. Pour faire changer les choses, il faut que les gens se défassent de leur approche individualiste pour se placer dans un cadre plus large, tant dans leurs pensées que dans leurs actions.
• Vous avez mentionné l’importance de l’histoire. Qu’avez-vous voulu dire par là dans le contexte de des rencontres ?
Sans comprendre notre passé, nous sommes incapables de comprendre le présent et donc de façonner l’avenir. Comment sommes-nous arrivés à la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement ? Un fait important dans l’histoire de l’écologie sociale est le grand mouvement de protestation qui a vu le jour en Europe à partir de mai 68. Celui-ci a notamment donné naissance aux mouvements écologique et anti-autoritaire ainsi qu’à des changements dans de nombreux domaines comme dans l’éducation. Aujourd’hui, nous parlons à nouveau de l’influence du système éducatif sur le développement de notre personnalité, de la manière dont nous sommes intégrés au système par ce biais. Et au même moment, dans le cadre des rencontres sur l’écologie sociale, nous discutons de la nécessité d’une éducation indépendante, etc. Qu’est-ce qui a mal tourné ? Pourquoi les révoltes nées du mouvement de mai 68 n’ont pas réussi à surmonter la modernité capitaliste ? Quelles erreurs ont-elles été commises lors de l’élaboration de structures sociales alternatives pour les écoles, les jardins d’enfants ou les projets de logements ? Quelles stratégies issues du mouvement de mai 68 ont fonctionné et lesquelles ont échoué ? Je pense qu’il est nécessaire de parler d’alternatives sociales à long terme plutôt que de se limiter à la construction d’un nouveau jardin d’enfants anti-autoritaire, par exemple. En l’absence d’une compréhension des raisons des échecs et des erreurs du mouvement de mai 68, on court le risque qu‘un nouveau mouvement d’écologie sociale tombe dans les pièges du capitalisme et se limite à un effet de mode et à un renouvellement de la mentalité et de la production capitalistes.
• Quelles sont les choses les plus importantes que vous avez apprises pendant ces rencontres ?
Se rendre compte que la raison et la motivation principales qui poussent les gens à participer à ce type de rencontres et à vouloir vivre selon d’autres paradigmes reposent sur une question de valeurs. Avec quelles valeurs allons-nous vivre ensemble ? Selon quelles valeurs mes actions seront-elle jugées par les autres ? Selon moi, cette question est vraiment fondamentale. Nous devons changer les valeurs de la société tout entière, pas seulement les nôtres. C’est l’essentiel de ce que nous appelons la révolution …. C’est tout aussi vrai au Rojava qu’à Liège ou dans une commune écologique de LongoMai.
• Comment le mouvement d’écologie sociale se retrouve-t-il dans le Rojava et comment cette relation peut-elle être approfondie ?
Pour le moment, le Rojava, ainsi que les Zapatistes, sont des exemples pour ce type d’écologie sociale. Des exemples qui donnent espoir et confiance en montrant qu’il est possible de mettre en place un autre système basé sur des valeurs écologiques et une démocratie radicale. Mais nous avons besoin de plus que cela. Nous avons besoin de véritables projets communs, d’un réel travail ensemble. Des projets écologiques communs qui nous permettent de tirer enseignement de l’expérience du Rojava non seulement au niveau théorique mais aussi au niveau pratique. Nous avons donc proposé qu’une délégation soit envoyée au Rojava. Celle-ci pourrait se concentrer sur 3 questions : Comment fonctionne la structure démocratique au sein de la société du Rojava ? Quel type de structure organisationnelle et d’engagement personnel faut-il développer pour mener à bien un tel processus ? Et quels projets peuvent être réalisés ensemble ?
• Quels sont les résultats de ces rencontres pour vous ? Comment le travail va-t-il continuer ?
Eh bien, les conclusions et les résultats des différents ateliers seront présentés dans les prochaines semaines par le comité de préparation des rencontres. Je ne veux donc pas anticiper les résultats.
Mais je pense qu’il est vraiment important de poursuivre ces rencontres mais dans un cadre plus mieux défini, avec des méthodes plus claires et des objectifs plus précis. Nous devrons clairement indiquer si nous parlons des aspects techniques, idéologiques ou stratégiques et quand nous souhaitons en parler. Sinon, les débats ne seront pas fructueux pour l’avenir.
Je pense qu’il faut prendre conscience que l’écologie sociale peut facilement être mal comprise. Elle pourrait représenter un changement révolutionnaire du monde si elle est correctement mise en œuvre. Dans le cas contraire, elle se limitera à un slogan réformiste, à une nouvelle mode. Notre travail consiste à en faire un mouvement révolutionnaire.
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