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Nous n’ap­pren­drons rien à nos lec­tri­ces et lecteurs en leur dis­ant que Trump vient publique­ment de con­forter le régime turc dans ses pro­jets d’at­taque du Nord de la Syrie.

La nou­velle est désor­mais dif­fusée et com­men­tée. L’ad­min­is­tra­tion améri­caine se lave les mains par avance des exac­tions et tueries prob­a­bles que l’ar­mée turque et ses sup­plétifs pour­raient com­met­tre dans une large bande frontal­ière du Nord syrien.

L’an­nonce de Trump est sans équiv­oque, et fait même déjà l’ob­jet de mou­ve­ments d’ef­fec­tifs sur le ter­rain même.

La jus­ti­fi­ca­tion peut sem­bler un peu courte, mais révèle bien “l’analyse stratégique”…  “Les Kur­des ont com­bat­tu avec nous, mais ils ont reçu énor­mé­ment d’ar­gent et de matériel pour le faire. Cela fait des décen­nies qu’ils com­bat­tent la Turquie. Je me suis tenu à l’é­cart de ce con­flit pen­dant presque trois ans, mais il est temps pour nous de sor­tir de ces guer­res ridicules et sans fin, dont beau­coup sont tribales”.

Si Trump clame un retrait de troupes de Syrie depuis longtemps déjà, cette fois, alors qu’un arrange­ment et un bidouil­lage de sur­veil­lance des zones frontal­ières avait cours, il clame que les pro­jets mil­i­taristes d’at­taque d’Er­doğan ne sont plus son affaire. “Les européens n’avaient qu’à s’en préoc­cu­per plus tôt, con­cer­nant la ges­tion des pris­on­nièrEs de Daech, entre autres”, ajoute-t-il.

Même si des élus répub­li­cains aux Etats Unis con­damnent déjà la posi­tion du patron, en plein pataquès interne, il y a fort à pari­er que Trump teste la solid­ité de sa majorité là aussi…

Erdoğan mon­trait à qui voulait le voir ces derniers jours, la carte des ter­ri­toires qu’il convoite.

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Elle se rap­proche logique­ment de celles qui ont été établies par les anciens colonisa­teurs il y a un siè­cle, dans la région, et des con­voitis­es d’alors du futur Etat turc sur ces ter­ri­toires découpés à la règle impéri­al­iste. Les nation­al­istes turcs, tout comme la nos­tal­gie ottomane, répan­dent dans la pop­u­la­tion l’idée de “ces ter­res qui sont à nous”, déjà dif­fusée depuis l’ir­rup­tion à Jer­ablus, puis lors de l’in­va­sion d’Afrin.

La reven­di­ca­tion a tou­jours été présente sous le con­cept de “zone tam­pon”, le dada obses­sion­nel d’Er­doğan depuis le début de la guerre en Syrie.

En obser­vant cette carte, on peut con­stater qu’Er­doğan fait pour­tant une excep­tion pour Qamiş­lo, face à son pen­dant Nusay­bin en ter­ri­toire de Turquie (siège de com­bats et tueries en 2015 et grande­ment détru­ite parce que kurde). Qamiş­lo, actuel cen­tre névral­gique de l’ad­min­is­tra­tion du Roja­va, voit se main­tenir depuis le début de la guerre en Syrie une présence admin­is­tra­tive du régime syrien, et de zones qu’il con­trôle. Il s’a­gi­rait donc d’un casus bel­li évi­dent dans cette petite par­tie de ter­ri­toire  qui fut préservée de la guerre ouverte depuis 2011. Cela inter­roge égale­ment sur les dis­cus­sions de couliss­es dans la pré­pa­ra­tion de cette inva­sion turque.

Erdoğan braille son inten­tion de “faire couler des fontaines de paix”. En réso­nance sans doute avec le slo­gan “si tu veux la paix, pré­pare la guerre”, mais pour mieux jus­ti­fi­er son accu­sa­tion con­stante de “ter­ror­isme” à l’en­con­tre de ceux qui ont vain­cu hier Daech mil­i­taire­ment et qui aujour­d’hui, ten­tent très dif­fi­cile­ment d’établir une paix durable, et pro­posent une voie d’en­tente démoc­ra­tique entre les Peu­ples de la région. Nous savons toutes et tous quelle fut la “paix” annon­cée à Afrin : meurtres, tor­tures, pil­lages et instau­ra­tion d’une ter­reur dji­hadiste par des sup­plétifs des forces armées de Turquie.

L’in­va­sion est immi­nente, et des bom­barde­ments ciblés ont déjà eu lieu cette semaine passée. Reste à mesur­er ce que peu­vent être, après la déc­la­ra­tion améri­caine, les réac­tions inter­na­tionales, au pre­mier rang desquelles sera la posi­tion publique d’un Pou­tine, sou­tien incon­di­tion­nel du régime syrien, dont la fron­tière sera reculée.

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Cha­cun sait que ce régime n’a pas les moyens mil­i­taires et poli­tiques de réa­gir directe­ment au Nord. Mais, pour le régime syrien, la ques­tion n’est pas celle d’une vio­la­tion de fron­tière pour le moment. L’abcès est celui d’I­dleb, proche vers l’Ouest, et des dji­hadistes qui y ont été con­cen­trés, à la suite d’ac­cords suc­ces­sifs après la reprise d’Alep et d’autres poches, accords dans lesquels le régime turc a été présent et acteur, avec la diplo­matie russe et iranienne.

Le régime syrien ne ver­rait pas d’un mau­vais oeil la par­tie FDS (com­bat­tants kur­des et arabes de la coali­tion) aban­don­née et affaib­lie par une offen­sive mil­i­taire turque, Turquie dont nous rap­pelons le haut niveau d’arme­ment, en tant que mem­bre de l’Otan.

Plus on déroule l’analyse, plus appa­raît l’im­broglio politi­co mil­i­taire et stratégique, sachant que la ques­tion irani­enne est égale­ment en toile de fond, tout comme pour les émeutes poli­tiques et sociales qui se déroulent de façon meur­trières à Bag­dad en ce moment.

Les fontaines de paix seront des fontaines de sang, et même des créa­tions de sources, qui se mêleront à celles de pét­role, au Moyen-Ori­ent, si des pas sup­plé­men­taires sont fran­chis, et notam­ment par Erdoğan.

Alors que faire ? Dénoncer, manifester ?

L’in­for­ma­tion en direc­tion des opin­ions publiques inter­na­tionales devra met­tre en évi­dence ce que Trump lui-même inclut dans son com­mu­niqué : si le pro­jet d’Er­doğan aboutit, c’est lui qui gèr­era la mul­ti­tude des pris­on­niEres de Daesh, de fait…

Non seule­ment celles et ceux, prin­ci­pale­ment com­bat­tantEs kur­des, qui ont ver­sé leur sang pour vain­cre mil­i­taire­ment l’E­tat islamique en Syrie, sont trahis et aban­don­nés, non seule­ment, mal­gré leurs deman­des, aucune aide ne leur a été réelle­ment don­née pour gér­er les ex-tueurs/s­es et les camps où s’en­tassent leurs sou­tiens ou familles, mais voilà qu’ils/elles rede­vi­en­nent les “ter­ror­istes désignés” présents sur ce ter­ri­toire au Nord syrien. Mais n’at­ten­dons aucune morale en poli­tique inter­na­tionale, entre impéri­al­ismes inter­na­tionaux ou locaux.

Ce qui devrait attir­er d’ur­gence l’at­ten­tion de toutes et tous, c’est le butin de guerre pos­si­ble d’Er­doğan, et le moyen de chan­tage inter­na­tion­al qu’il peut lui pro­cur­er : les restes de Daech… Et l’on sait qu’il n’a à cet égard aucune morale, et que le passé pas si loin­tain le vit déjà entretenir des con­nivences, tout comme avec les rad­i­caux djhiadistes de Syrie qui avaient, avec Bachar, trans­for­mé les ten­ta­tives poli­tiques d’é­man­ci­pa­tion en guerre civile.

Martel­er partout ce dan­ger fon­da­men­tal, sans pour autant don­ner des gages aux iden­ti­taires de tous poils pour qui un réfugié du Moyen-Ori­ent est un ter­ror­iste né, peut mar­quer les opin­ions publiques et stop­per une avancée plus con­séquente des pro­jets poli­tiques et mil­i­taires du régime turc, soutenus par toute l’aile nation­al­iste. Les politi­ciens européens, bien que regar­dant ailleurs, ne peu­vent que s’inquiéter.

Non à l’a­vancée des forces turques au Nord Syrie, non à la paix turque par le sang, comme le fut l’opéra­tion “branche d’o­livi­er” con­tre Afrin. Aucun peu­ple d’Eu­rope n’a à gag­n­er dans cette nos­tal­gie de fin d’empire ottoman, source de toutes les guer­res con­tre les Peu­ples et les nation­al­ismes dans la région depuis un siècle.

Ha… J’ou­bli­ais… J’ap­prends par la voix du “coif­feur de la droite française” que la France vient d’at­tir­er l’at­ten­tion de la Turquie sur “les con­séquences human­i­taires” que pour­rait avoir une action “uni­latérale”. Le général bre­ton peut mieux faire non ?


Ajout du 8 octobre 2019

Devant une lev­ée de boucliers dans son pro­pre camp, les Répub­li­cains, le peu d’en­t­hou­si­asme du Pen­tagone, et une “inquié­tude” de dirigeants inter­na­tionaux, Trump a “réori­en­té” son dis­cours, en min­imisant le nom­bre de mil­i­taires améri­cains qui seront déplacés de la zone frontal­ière, et a mis en garde la Turquie con­tre une attaque décidée unilatéralement.

Il a ain­si créé une totale con­fu­sion et le régime turc ne s’y est pas trompé, puisqu’il a déclaré aus­sitôt “les pré­parat­ifs ter­minés” et la volon­té de pass­er à l’acte dans les prochains jours.

Dif­fi­cile de dire si Erdoğan est tou­jours dans la men­ace pour obtenir plus qu’un feu vert ou s’il pren­dra le risque de la guerre ouverte sur place, en met­tant tous les dirigeants au pied du mur. Cha­cun sait que la mul­ti­tude d’in­térêts diver­gents à pro­pos de la Syrie pour­rait s’ac­com­mod­er d’un régime turc faisant le sale boulot, Bachar pou­vant alors régler aus­si l’abcès d’I­dleb dans la foulée…

Aus­si, la mobil­i­sa­tion anti-guerre reste-t-elle fon­da­men­tale comme l’ex­i­gence poli­tique que les gou­verne­ments ne se con­tentent pas de “mis­es en garde”, mais con­damnent toute inter­ven­tion, en assur­ant réelle­ment le Roja­va d’un sou­tien, et d’une inter­dic­tion de sur­vol des zones, à min­i­ma, comme le deman­dent les FDS. Une fois n’est pas coû­tume, l’Otan pour­rait être le lieu où cha­cun deman­derait le gel d’une inter­ven­tion mil­i­taire de l’un de ses mem­bres. Des séna­teurs répub­li­cains oeu­vrent d’ailleurs déjà en ce sens. Un pis aller peu révo­lu­tion­naire certes, mais qui pour­rait sauver tant de vies…

Mercredi 9 octobre 2019

Erdoğan a donc choisi de met­tre les dirigeants mon­di­aux au pied du mur, et a débuté ce jour son attaque con­tre le Nord Syrie par des bom­barde­ments d’ar­tillerie et d’avi­a­tion. “Les avions de guerre turcs ont com­mencé à men­er des frappes aéri­ennes sur des zones civiles, il y a une forte panique par­mi les gens” rap­por­taient des témoins sur place. A 15h00,  Recep Tayyip Erdo­gan con­fir­mait le lance­ment de l’offensive mil­i­taire. Même si la “dés­ap­pro­ba­tion” est la règle dans les chan­cel­leries inter­na­tionales, et jusque dans les rangs répub­li­cains au con­grès des Etats Unis, aucune réac­tion per­me­t­tant de met­tre un coup d’ar­rêt à l’of­fen­sive, comme une inter­dic­tion de sur­vol par exem­ple, n’a encore été prise. Cha­cun appelle l’autre à réu­nir le Con­seil de Sécu­rité  de l’ONU… Le fait accom­pli d’une offen­sive éclair extrême­ment meur­trière est prob­a­ble­ment l’ef­fet recher­ché par Erdoğan, qui rend les gou­verne­ments européens respon­s­ables du fait de leur iner­tie. Il pour­rait ain­si laiss­er les groupes dji­hadistes qu’il con­trôle occu­per des zones au delà de la fron­tière, comme pour Afrin.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…