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Je suis dans le pays des ancêtres Mapuch­es, où le ciel bleu intense taquine les nuages et les oiseaux. Le soleil y récom­pense de sa lumière dorée les mon­tagnes arides, les plaines et les riv­ières turquois­es. Des chevaux à longues crinières sat­inées courent au galop vers une lib­erté sans frontières.

Je suis à Chubut, en Arau­canie. La cordil­lère se tient en face de moi, et resplen­dit sous les rayons blonds du soleil…

Les Andes… Cette suite de cimes recou­vertes de neige, qui com­mence en Colom­bie, et tra­verse tout au long de 7100 km, l’E­quador, le Péru, la Bolivie, le Chili, l’Ar­gen­tine et atteint enfin la Patag­o­nie. C’est la chaîne de mon­tagne la plus longue du monde, et la plus fasci­nante. Au pieds de ces mon­tagnes, s’é­ten­dent des ter­res plates cou­vertes de buis­sons, avec une végé­ta­tion qui offre sa pâture aux mou­tons, vach­es et chevaux. Dans l’A­rau­canie du Chubut, que nous con­nais­sons comme “Argen­tine du sud”, ces ter­res mys­tiques héber­gent l’his­toire écologique et sociale des peu­ples Mapuch­es, Tehuelche et Ran­quel qui les arpen­tent depuis des siè­cles. Ety­mologique­ment, ces peu­ples ne sont ni chiliens, ni argentins. Ils sont Araucaniens.

Chubut Patagonie Patagonya

Pan­neau dédié à San­ti­a­go, à Chubut-Pu lof

Le colo­nial­isme espag­nol, guidé par l’ap­pétit d’ex­plo­rateur de Mag­el­lan, et avec la force mil­i­taire  d’un envahisseur comme Hur­ta­do Men­doza, a mis le pied sur le con­ti­nent. Ces peu­ples ont été rebap­tisés, par la main des mis­sion­naires évangélistes et catholiques, et ont reçu par la force et la fourberie, par le géno­cide et l’as­sim­i­la­tion for­cée, d’autres noms, d’autres iden­tités et une autre His­toire. Mais cela n’a pas été si facile. Pen­dant trois siè­cles, ils ont mon­tré une résis­tance extra­or­di­naire, comme le racon­te le légendaire Gal­vari­no et le démon­tre la guerre des Lagunillas…

… Au dessus ma tête, un fau­con déchire le ciel de la val­lée et s’éloigne, lais­sant dans mes oreilles l’é­cho de son cri acéré. Résonne encore, der­rière lui, la chan­son inter­minable d’une révolte…

Chubut Patagonie PatagonyaPuis, le vent. Puis, les nuages et les oiseaux… Puis, en songe, les com­bat­tants mapuch­es, tehuelch­es, Lonko Inacay­al1et les trois mille guer­ri­ers, le son de leurs trutrut­ka,2leurs chevaux au galop, leurs flèch­es et lances, leurs étendards…

Les Tehuelch­es que Mag­el­lan surnom­mait “patagons aux gros pieds”, les vrais habi­tants de la région de Chubut. Ensuite Roca, le général géno­cidaire, colonel Vil­le­gas, les artilleurs et tous les autres voy­ous armés… Ensuite, chaos, feu, sang et mort…

… Puis, à San­ta Cruz, une autre Patag­o­nie qui nait de ses pro­pres cen­dres. Une nou­velle étin­celle à Esquel, avec Osval­do Bay­er. Plus tard, bien plus tard, la résis­tance inter­minable des Mapuch­es pour ne jamais per­dre leur terre et la lib­erté, avec San­ti­a­go Maldonado.

Accom­pa­g­nés par mon imag­i­na­tion, ces esprits qui volent, courent, chu­chotent. Mes pieds fatigués m’amè­nent enfin au Musée de Leleque. Une petite bâtisse blanche posée dans un vaste jardin. Dans l’en­trée du jardin, se trou­vent quelques ves­tiges archéologiques. Dans les pro­fondeurs, il y a un cimetière ; sur le même espace un canon ancien… Un des canons du général Roca, un de ces engins de mort qui ont grondé dans mon imag­i­na­tion au long du chemin qui m’a amené ici. Il appa­raît comme un objet de mort, dans toute sa nudité. Ironique… Sous le froid vis­age pâle de la mort, j’a­vance vers la porte du musée. Elle me sem­ble fer­mée. Le pan­neau des horaires annonce que le musée vient tout juste de fer­mer. Mais, la porte est encore ouverte. Je pose mon sac-à-dos et je prends quelques instan­ta­nés et vidéos à l’ex­térieur. Puis, j’en­tre-ouvre la porte et je jette un oeil. Le guichet est ouvert. Il n’y a per­son­ne. Une son­nette de style ancien y est posée. Je sonne et j’at­tends. Per­son­ne… La fenêtre accolée au guichet me mon­tre la grande salle plongée dans la pénom­bre du musée. Des objets antiques à peine vis­i­bles, dans un silence mys­tique et trou­blant. J’y tourne mon objec­tif et fais quelques pho­tos. Je dois partir.

Je prends encore quelques pho­tos dans le jardin et je me repose un peu. Je me chapitre pour avoir marché autant et n’avoir pu vis­iter le musée. Mais ce n’est pas grave, je vais rester un moment dans la région, j’y reviendrai.

Je con­tin­ue à marcher vers l’es­tancia3Leleque. Je peux peut être trou­ver une échap­pée vers la riv­ière Chubut. Mais avant, je dois trou­ver une habi­ta­tion mapuche quelque part dans le coin. Cepen­dant, il me parait com­pliqué de trou­ver les familles mapuch­es, qui vivent dis­per­sées dans cette région aride de la province Chubut.

Chubut Patagonie Patagonya

Après avoir marché encore un peu, l’ap­parence aride de mon itinéraire change tout à coup, sans tran­si­tion, comme dans un film. Les seules choses qui per­sis­tent sont les oiseaux cri­ards qui bat­tent des ailes sur ma tête. dont l’un, avec une stri­dence insis­tante. Tout au long de ma route, des deux côtés s’é­ten­dent désor­mais der­rière de hautes clô­tures très sécurisées, des pâturages fer­tiles sans fin, dans lesquels pais­sent des animaux.

Une rencontre fortuite

Un vent léger sur mon front ; je m’ar­rête devant les clô­tures et je m’al­longe sur les herbes dorées. Me lais­sant aller dans la chaleur de l’herbe et de la terre, je porte mes yeux sur les nuages blancs, dans le bleu pur du ciel. Puis, un groupe d’oiseaux migra­teurs en par­tance… Ils dessi­nent un arc et s’éloignent à coup d’ailes à con­tre sens du voy­age des nuages.

J’ai du m’en­dormir un moment… J’ou­vre les yeux… dans les yeux d’un tatou. Il se tient à un mètre, totale­ment immo­bile, fix­ant mon regard, sans clign­er ses yeux d’o­lives noires ombrés de longs cils. On s’est regardé comme cela, trente, quar­ante sec­on­des, jusqu’à ce que cha­cun s’habitue à l’autre. J’ai voulu le pren­dre en pho­to. Pour cela, je devais bouger. J’ai ten­du la main, tout douce­ment, vers mon appareil qui était d’ailleurs tout près. Lui, suiv­ait tous mes gestes. J’ai réus­si à saisir l’ap­pareil… Alors que j’é­tais en train de tourn­er l’ob­jec­tif vers lui, l’an­i­mal est par­ti comme un éclair et a dis­paru dans les herbes. Mes quelques appuis sur le déclencheur n’ont rien don­né d’autre que des pho­to d’herbes…

Je ne savais pas que j’al­lais ren­con­tr­er un jour, en Patag­o­nie, un de ces adorables vivants blind­és, qui ne vivent que sur le con­ti­nent améri­cain, et se décli­nent en 20 espèces… Je n’ai pas pu fix­er cette ren­con­tre sur le papi­er, mais il restera dans ma mémoire.

J’ai marché un peu, j’ai marché beaucoup

Comme le dit la fameuse ran­don­née tra­di­tion­nelle pour enfant, “J’ai marché un peu, j’ai marché beau­coup. tra­ver­sé ruis­seaux, collines. Que vois-je en me retour­nant ?” ; j’é­tais devant l’Es­tancia Leleque… 4

Dans cette entrée de ville, qui ressem­ble à celles des vil­lages west­ern, je m’ar­rête juste devant le pan­neau précé­dant un petit pont et annonçant “Estancia Leleque”.

Je regarde autour de moi. A part les oiseaux qui m’ont suivi jusqu’i­ci, avec  leurs cris pas roman­tiques du tout, il y a une étrange déso­la­tion silen­cieuse, mys­térieuse et effrayante.

Cher lec­trice, lecteur, quelle sur­prise va advenir, pens­es-tu, de ces sen­sa­tions, de ces moments hasardeux que je tra­versent dans ce lieu, dont je ne con­nais encore ni l’his­toire, ni les détails ?

Chubut Patagonie Patagonya

Je déam­bule dans ce lieu, sans pour autant crois­er âme qui vive, et le soir arrive.

Il faudrait soit faire de l’au­tostop, pour essay­er d’aller dans un autre camp de Chubut, ou rester dans le coin, et faire bivouac dans un endroit adap­té. Pen­dant que je réfléchis­sais et que je mar­chais, je tombe, en sor­tie de ferme, sur un cou­ple mapuche, dans un véhicule. Je les salue, leur dis que je suis un pho­tographe en itinérance, et je leur demande de me dépos­er, si pos­si­ble dans un lieu où je puisse pos­er ma tente. Les deux per­son­nes aux regards fuyants et effrayés refusent ma demande. Ils sec­ouent leur tête et dis­ent silen­cieuse­ment, non… Mois qui étais heureux d’en­fin crois­er des gens locaux, je vois qu’ils ne sont de pas du même avis. Ils n’ont sans doute pas trou­vé très sym­pa le fait de crois­er, dans l’ob­scu­rité, un étranger bar­bu, por­tant cha­peau et un sac-à-dos…

Après cette his­toire d’au­tostop dés­espéré, j’a­vance vers la sor­tie par le pont. Proche du pont, je ren­con­tre une autre voiture. Je fais signe. Mais ils passent en me noy­ant dans leurs phares. Je me dis alors “Ok, j’ai com­pris. Ce sera jusqu’i­ci.” Je décide donc d’in­staller ma tente sous le pont, dans un coin discret.

Aux pre­mières heures du matin, je me réveille avec les reni­fle­ments des chevaux qui vien­nent au bord du ruis­seau pour boire. Je me pré­pare à manger. Au menu de ce pre­mier petit déje­uner au Chubut, des empadanas, patis­series  aux olives, achetées à Elbol­son, des gâteaux au caramel alfjores, et mon ther­mos à thé maté.

En déje­u­nant, je me régale du spec­ta­cle des chevaux qui se désaltèrent. Le brouil­lard mati­nal stagne étrange­ment au dessus de l’eau. Les chevaux sem­blent boire non pas l’eau, mais le brouillard…

Que me disent les oiseaux ?

Et voilà, les oiseaux piailleurs arrivent à nou­veau, trainant avec eux leur cris perçants. Ils se posent sur les branch­es des arbres qui entourent le ruis­seau. Pourquoi ces oiseaux cri­ent-ils ain­si ? Veu­lent-ils me racon­ter quelque chose, dans ce lieu qui m’est incon­nu ? Hélas, je ne par­le pas la langue d’oiseau !

J’avais lu sur le web, que les oiseaux ont une place par­ti­c­ulière dans la rela­tion forte que le peu­ple Mapuche entre­tient avec la nature et les animaux.

Les oiseaux don­nent aux Mapuch­es qui ont déchiffré leur langue, des signes pour les guider dans leur vie quo­ti­di­enne. Par exem­ple le van­neau, ther­gul dans la langue mapuche, vit près des maisons, appelées ruka, et ont des chants dif­férent pour des con­di­tions dif­férentes, et jouent ain­si le rôle d’un alarme…

Cher lec­trice, lecteur, pens­es-tu que ces oiseaux m’aver­tis­sent en chan­tant, en tour­nant autour de moi, depuis des jours ?

Il vaut mieux que je plie ma tente, et que j’es­saie de trou­ver des êtres vivants autres que les ani­maux, avec lesquels je puisse com­mu­ni­quer plus facile­ment si pos­si­ble. Il faut que je fasse une dernière ten­ta­tive pour crois­er quelques unEs, êtres vivantEs, dans ce camp de recy­clage améri­cain, mort, sans Mapuch­es, éten­du sans bruit et sans souf­fle tel un cer­cueil chic.

Je fais tout de même un rapi­de tour pho­tographique. Mais je suis sérieuse­ment dérangé de la balade que ce vil­lage “élite”, appelé du nom de l’ ”estancia”, offre, de son pro­fil étrange, vide d’habi­tants, sans Mapuch­es. Dans le même temps, je suis forte­ment curieux de trou­ver la source de cette sen­sa­tion dérangeante. Serait-ce la gêne qui serait la vraie rai­son qui me retient dans ce lieu, d’une façon étrange et insen­sée, et m’empêche de me pos­er la ques­tion “pourquoi suis-je encore ici ?”.

Chubut Patagonie Patagonya

Résis­tantEs mapuches

Où sont les gens ?

Les gens qui s’oc­cu­pent des mou­tons, des vach­es, des chevaux parsemés dans les pâturages entourés de clô­tures fait par la main de l’homme, celles et ceux qui les traient, les ton­dent, les abat­tent, les man­gent, les fou­et­tent, les char­gent, les vendent, les mènent, en résumé, les domi­nent ? Où sont-ils ? Et où sont donc les pro­prié­taires de ces fer­mes, et les esclaves rémunérés ?

J’au­rais aimé que cette ques­tion, comme sa réponse, ne puis­sent exis­ter, par amour d’une ami­tié sans fron­tières et libre.

J’a­vance en obser­vant autour de moi et je vois qu’un cav­a­lier se rap­proche du pont au galop. Ah, enfin un être humain qui se mon­tre. Je vais pour­voir com­mu­ni­quer. Je lève mon bras, pour lui deman­der de s’ar­rêter. Mais, pen­sant que je le salue, il me répond et disparait.Ce doit être un pale­fre­nier ou un cav­a­lier qui tra­vaille dans une des fer­mes proches.

Je reste là, devant l’église, bras en l’air.

J’aperçois en face de la route un com­plexe agri­cole qui s’é­tend der­rière un pan­neau annonçant “Sud­Land”.

Avec un dernier espoir, j’ori­ente mes pas vers la porte por­tant l’in­scrip­tion “office d’in­for­ma­tion”. Après avoir essayé la son­nette qui ne marche pas, j’en­tre. J’ac­cède à l’en­trée, puis à l’of­fice. J’ap­pelle… “Hola?”. Per­son­ne. Je quitte le lieu, on ne sait jamais. Je pose mon sac et je prends le pan­neau “Sud­Land” en pho­to. J’ai même le temps de me pren­dre en pho­to moi-même… Tou­jours personne…

Je me balade un peu. Il y a quelques ate­liers d’en­tre­tien, et des machines agri­coles devant. Ils feraient selon moi de l’él­e­vage et de l’a­gri­cul­ture inten­sive. Peu de temps après, enfin, un jeune homme arrive vers l’of­fice. On se salue rapi­de­ment. J’ap­prends qu’il est “office boy” au Sud­Land. Je lui explique que je ne par­le pas bien l’Es­pag­nol, et que je viens de France, que je suis un pho­tographe itinérant. Je lui dis que je m’in­téresse à la pop­u­la­tion locale, notam­ment aux Mapuch­es, que je ne con­nais pas bien la région et que je n’ar­rive à trou­ver per­son­ne pour m’in­former. Je lui demande de m’aider.

Même si lorsque je prononce le mot Mapuche, une expres­sion som­bre tra­verse son vis­age, le jeune me répond,  me prenant pour un touriste, “dites-moi où vous voulez aller, je vous aide”. J’an­nonce alors, que je voudrais aller au camp Mapuche le plus proche. Il m’in­forme “Le lieu mapuche le plus proche est la ferme San­ta Rosa, à 8 km d’i­ci, sur la route d’Esquel. Je peux vous don­ner un plan imprimé, vous trou­verez plus facile­ment”. Nous entrons dans le bureau. Pen­dant qu’il imprime le plan, je lui demande ce qu’il fait comme tra­vail. L’of­fice boy répond à ma ques­tion au plus court pos­si­ble. “Ici, c’est une affaire très anci­enne. Et main­tenant elle est active un peu comme un club de com­mu­ni­ca­tion, un musée”. Pen­dant qu’il me tend le plan imprimé, un homme de 35, 40 ans entre dans le bureau. Il est vêtu d’habits orig­in­aux, authen­tiques, por­tant un large cha­peau et des lunettes de soleil, chaussé de bottes de cav­a­lier. Il retire des lunettes et me salue avec un regard ques­tion­nant. “Hola ! Buenos…?”. Après les salu­ta­tions, l’of­fice boy, en s’adres­sant à l’homme comme “Jefe” (chef), lui explique le peu qu’il sait de moi. Lorsqu’il ajoute que je veux aller à San­ta Rosa, le chef fronce les sour­cils et pose un regard grave dans mes yeux, comme s’il dis­ait “Allons bon !”. Je com­prends alors à ce moment là qu’ils ne sont pas heureux de par­ler des Mapuch­es et de cette ferme San­ta Rosa. Il doit y avoir un prob­lème. Le ton de ce dia­logue ne me plait pas. Je dois partir.

En prenant la porte, après des remer­ciements, le chef lance dans mon dos, d’une voix de roquet, un sar­donique “good like !”. Je mar­que un arrêt pen­dant une frac­tion de sec­onde. Je sors sans répon­dre. Dehors, il y a un 4x4 pro­fes­sion­nel qui est garé à l’om­bre des arbres. Le chef a du venir dans ce véhicule, accom­pa­g­né de trois per­son­nes. Je les salue et je me mets en route.

Voilà, je suis tou­jours sur cette même longue route qui mène au musée de Leleque. Les mêmes oiseaux cri­ards m’y retrou­vent. Ils m’ac­com­pa­g­nent un bout de temps, et dis­parais­sent soudain. Bien­tôt, le 4 X 4 du Sud­Land m’at­trape, me dépasse, et s’éloigne en m’en­velop­pant dans un nuage de pous­sière. Je les maud­is, bouche et yeux rem­plis de poussière…

… A peine à cinquante mètres du musée, je ren­con­tre un jeune homme mapuche, por­tant un sac à dos. C’est le troisième Mapuche que je croise, après le cou­ple crain­tif de la soirée de la veille. Nos pas fatigués nous ont réu­nis sur cette route pous­siéreuse de Leleque ; nous étions deux marcheurs étrangers de con­ti­nents loin­tains, mais comme deux amis réu­nis par la route. Moitié mots, moitié gestes, nous nous sommes salués, nous avons fait con­nais­sance, puis nous sommes dit adieu.

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La visite du musée

J’ar­rive de mes pas fatigués, encore une fois, devant la porte du musée. J’y entre. A l’in­térieur, se trou­vent deux per­son­nes, une femme et un homme d’âge moyen. Nous faisons con­nais­sance avec la phrase la plus chaleureuse, comme dans toutes les langues, “Hola!Buenos Dias!”.

Le cou­ple s’oc­cupe de tout le fonc­tion­nement du musée, de la con­ser­va­tion au café restau­rant, et vit avec leur petite fille, dans le loge­ment attenant. Pen­dant notre con­ver­sa­tion, j’ob­serve un état d’être gêné chez les deux per­son­nes. Elles sont pour­tant accueil­lantes et polies. En apprenant que je viens de France et que je suis pho­tographe, ils me trait­ent avec un cer­tain respect, un peu trop même.

Tout dans le café restau­rant, le bar, les tables, la bib­lio­thèque, la cui­sine, même les toi­lettes, fait par­tie inté­grante du musée. Des objets d’a­gri­cul­ture et d’él­e­vage, d’hi­er et d’au­jour­d’hui, sont trans­for­més ou recy­clés pour une util­i­sa­tion dans cet endroit. Des out­ils locaux, his­toriques, font par­tie du fonc­tion­nement rou­tinier du café et leur s répliques récentes sont pro­posées comme objets de souvenir.

Après des expli­ca­tions sur ces out­ils et objets anciens, je demande au cou­ple, l’au­tori­sa­tion de pren­dre des pho­tos. Je peux pho­togra­phi­er tout, sans flash… Je les remer­cie et je passe avec le Señor dans la par­tie prin­ci­pale du musée. Il me mon­tre le sens de la vis­ite, me rap­pelle l’in­ter­dic­tion de flash et me laisse tra­vailler, en se reti­rant cour­toise­ment, “si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis à la cafétéria”.

Voilà, je suis en tête à tête avec toute une Histoire

Ce ren­dez-vous avec cette His­toire spé­ciale qui porte les traces du passé séden­taire du Chubut en Patag­o­nie, y com­pris celui de l’Ere Néolithique, éveille en moi des sen­sa­tions mys­tiques et politiques.

Je ne sais pas du tout dans quelle mesure les travaux archéologique et anthro­pologique menés jusqu’à aujour­d’hui se reflè­tent cette His­toire dans ce musée, mais je sais ceci : les voy­ous qui sont étrangers et enne­mis des Peu­ples his­toriques de cette région, con­tin­u­ent encore aujour­d’hui, à con­fis­quer, piller, détru­ire ici, les richess­es, la nature, la sueur humaine et l’an­i­mal par des “tem­pêtes de désert”.

L’é­clairage doré dans les salles du musée, les musiques mapuch­es, les effets sonores à bouche nue, qui la com­plè­tent, réu­nis­sent les vis­i­teurEs avec les objets his­toriques, dans une impres­sion réal­iste et impres­sion­nante. Je pho­togra­phie tous les objets qui con­tent la résis­tance des ancêtres mapuch­es con­tre le général Roca et son armée géno­cidaire, le com­bat d’I­nayakal. J’ar­pente toutes les salles du musée Leleque, en vis­i­tant avec une per­cep­tion his­torique, intel­lectuelle et à la fois émotionnelle.

Cher lec­trice, lecteur, n’est-ce pas ironique, le fait que l’His­toire d’un Peu­ple, dont les ter­res et la cul­ture sont pil­lées depuis des siè­cles, soit réu­nie en musée, sur les ter­res où il a été mas­sacré, par l’E­tat argentin qui est le respon­s­able direct de ce géno­cide ? Quel est l’ob­jec­tif exacte­ment ? Est-ce ce que ce musée est une “réc­on­cil­i­a­tion” avec le passé ? Si oui, com­ment expli­quer alors, les oppres­sions pra­tiquées par les voy­ous, encore aujour­d’hui dans la province de Chubut ? S’il s’ag­it d’établir une mémoire his­torique, dans quelle mémoire devons-nous inscrire les souf­frances actuelles ?

Avant de quit­ter les lieux, je pose ces ques­tions au cou­ple employé du musée… Ils ne dis­ent rien d’autre que “vous avez rai­son”, d’un air gêné. Je les remer­cie et je pars. Quelques pas à peine fait sur le chemin, une voix de femme me hèle “Hey ! Señor ! “. Je me retourne. La femme du musée me rat­trape en courant. “J’ai pen­sé que vous auriez peut être besoin de ces choses” dit-elle, en me ten­dant la brochure du musée et un petit sac. Je les prends. Dans le sac, se trou­ve un jus de fruit et un gâteau. En rangeant ces cadeaux chaleureux, je la remer­cie. “Muchas Gra­cias Seño­ra! Adiós!”

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La Patagonie peinte en rouge sang par le prince des couleurs

En marchant, je sors la brochure de mon sac et je com­mence à la feuil­leter. Lorsque je tourne la dernière page et que mes yeux se posent sur la phrase en anglais au dos, je reste cloué sur la route.

En 1966, Korch­e­news­ki a fait don de sa col­lec­tion à la Fon­da­tion Amegh­i­no, en s’a­mu­sant avec l’an­thro­po­logue Rodol­fo Casamiquela, qui était aus­si son ami proche. Plus tard, il a fait la con­nais­sance de M. Car­lo BENETTON qui s’é­tait instal­lé dans la région. C’est ain­si qu’a été créé le Cen­tre d’In­ves­ti­ga­tions Sci­en­tifiques “Les Hommes Patag­o­niens et son Envi­ron­nement”.5

Cher lec­trice, lecteur, com­prends-tu la même chose que moi ?

Je m’as­sois là, sur le bord de la route. Je rem­bobine rapi­de­ment tout ce que j’ai vécu ces derniers deux jours. Je revis autrement, tous les moments où j’avais l’im­pres­sion que quelque chose m’échap­pait. Cette sur­prise choc est pour moi comme une gifle.

Je me res­sai­sis, sors de la lour­deur de cette révéla­tion mau­dite, et je reprends la marche vers le camp de San­ta Rosa, à 5km sur la route d’Esquel. Les oiseaux mes­sagers qui m’ont accom­pa­g­né depuis deux jours revi­en­nent. Ils pla­nent une dernière fois sur ma tête, en jacas­sant comme tou­jours. Ensuite ils s’éloignent vers l’es­tancia Leleque. Leur cris stri­dents réson­nent comme un sou­venir d’adieu.

Je suis enfin à la sor­tie de l’es­tancia, devant un grand pan­neau du musée. En regar­dant l’im­age géante d’un mapuche, je soupire. Comme c’est trag­ique, l’héritage d’un peu­ple qui vivait libre sur ces ter­res, et qui fai­sait exis­ter ces ter­res, et qui est trans­for­mé en “pro­priété” dans les mains de ceux qui les ont con­fisquées, devenu un héritage pris en otage…

Extrait d’un livre en cours de rédaction


EXPOSITION
“Voyage en Patagonie, sur les traces de Santiago”

du 4 au 15 octobre
au bar cul­turel Le Pas Sage 77 rue Curi­ol, 13001 Marseille
Evéne­ment FB

Activiste, photographe et journaliste, Sadık Çelik est né le 5 février 1964 à Çorum en Turquie. Il fut un des “prisonniers politiques adolescents” issu de la chasse aux sorcières menée dans la période dictatoriale précédant le coup d’Etat militaire de 1980. En 1987, au “passage à la démocratie”, il fut libéré, après 8 ans d’emprisonnement.
Suite aux conditions sévères de persécution et censures, il a demandé asile en France. Actuellement il est habitant de la ZAD NDdL, et membre du CGT-SNJ / FIJ. Il poursuit ses publications sur Kedistan et Gaia Dergisur les sujets environnementaux, réfugiés, écologie sociale.
En 2017, Sadık Çelik, voulant attirer l’attention sur le problème de l’eau dans le monde, a entamé un long voyage solitaire en canoë, de Bordeaux à Marseille, et y a déposé au Conseil de l’Eau, “La déclaration du droit à l’eau”, cosignée par de nombreux groupes, organisations et défenseur-e‑s du droit à la vie mondiaux.
Il est rentré en mars dernier d’un voyage de trois mois en Patagonie, où il a réalisé une marche en hommage à l’éco-activiste Santiago Maldonado, jusqu’à Chubut Pu Lof, sa maison. Santiago Maldonado a été “supprimé” le 1er août 2017, puis jeté par la gendarmerie argentine dans la rivière Chubut, en Patagonie.  Ces voyages militants sont fondés sur un principe de solidarité active tant au niveau de la préparation, collecte d’information, et rencontres sur les lieux visités.
“Voyage en Patagonie, sur les traces de Santiago” est donc sa première exposition en France.
Sadık Çelik repart à la fin du mois d’octobre pour l’Equateur, dans la région de Sarayaku (Amazonie) où il rencontrera les défenseu.r.e.s de l’eau contre l’exploitation pétrolière et minière (organisation Amazonia Mujeres). Par la suite le voyage se poursuivra vers la Bolivie toujours en région amazonienne (Santacruz), pour un reportage concernant la forêt décimée par les incendies.
La vente des photographie est à prix libre conscient et permettra à Sadık de repartir fin octobre.

Chubut Patagonie Patagonya


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Sadık Çelik
REDACTION | Journaliste 
Pho­tographe activiste, lib­er­taire, habi­tant de la ZAD Nddl et d’ailleurs. Aktivist fotoğrafçı, lib­ert­er, Notre Dame de Lan­des otonom ZAD böl­gesinde yaşıy­or, ve diğer otonom bölge ve mekan­lar­da bulunuyor.