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Je suis dans le pays des ancêtres Mapuches, où le ciel bleu intense taquine les nuages et les oiseaux. Le soleil y récompense de sa lumière dorée les montagnes arides, les plaines et les rivières turquoises. Des chevaux à longues crinières satinées courent au galop vers une liberté sans frontières.
Je suis à Chubut, en Araucanie. La cordillère se tient en face de moi, et resplendit sous les rayons blonds du soleil…
Les Andes… Cette suite de cimes recouvertes de neige, qui commence en Colombie, et traverse tout au long de 7100 km, l’Equador, le Péru, la Bolivie, le Chili, l’Argentine et atteint enfin la Patagonie. C’est la chaîne de montagne la plus longue du monde, et la plus fascinante. Au pieds de ces montagnes, s’étendent des terres plates couvertes de buissons, avec une végétation qui offre sa pâture aux moutons, vaches et chevaux. Dans l’Araucanie du Chubut, que nous connaissons comme “Argentine du sud”, ces terres mystiques hébergent l’histoire écologique et sociale des peuples Mapuches, Tehuelche et Ranquel qui les arpentent depuis des siècles. Etymologiquement, ces peuples ne sont ni chiliens, ni argentins. Ils sont Araucaniens.
Le colonialisme espagnol, guidé par l’appétit d’explorateur de Magellan, et avec la force militaire d’un envahisseur comme Hurtado Mendoza, a mis le pied sur le continent. Ces peuples ont été rebaptisés, par la main des missionnaires évangélistes et catholiques, et ont reçu par la force et la fourberie, par le génocide et l’assimilation forcée, d’autres noms, d’autres identités et une autre Histoire. Mais cela n’a pas été si facile. Pendant trois siècles, ils ont montré une résistance extraordinaire, comme le raconte le légendaire Galvarino et le démontre la guerre des Lagunillas…
… Au dessus ma tête, un faucon déchire le ciel de la vallée et s’éloigne, laissant dans mes oreilles l’écho de son cri acéré. Résonne encore, derrière lui, la chanson interminable d’une révolte…
Puis, le vent. Puis, les nuages et les oiseaux… Puis, en songe, les combattants mapuches, tehuelches, Lonko Inacayal1et les trois mille guerriers, le son de leurs trutrutka,2leurs chevaux au galop, leurs flèches et lances, leurs étendards…
Les Tehuelches que Magellan surnommait “patagons aux gros pieds”, les vrais habitants de la région de Chubut. Ensuite Roca, le général génocidaire, colonel Villegas, les artilleurs et tous les autres voyous armés… Ensuite, chaos, feu, sang et mort…
… Puis, à Santa Cruz, une autre Patagonie qui nait de ses propres cendres. Une nouvelle étincelle à Esquel, avec Osvaldo Bayer. Plus tard, bien plus tard, la résistance interminable des Mapuches pour ne jamais perdre leur terre et la liberté, avec Santiago Maldonado.
Accompagnés par mon imagination, ces esprits qui volent, courent, chuchotent. Mes pieds fatigués m’amènent enfin au Musée de Leleque. Une petite bâtisse blanche posée dans un vaste jardin. Dans l’entrée du jardin, se trouvent quelques vestiges archéologiques. Dans les profondeurs, il y a un cimetière ; sur le même espace un canon ancien… Un des canons du général Roca, un de ces engins de mort qui ont grondé dans mon imagination au long du chemin qui m’a amené ici. Il apparaît comme un objet de mort, dans toute sa nudité. Ironique… Sous le froid visage pâle de la mort, j’avance vers la porte du musée. Elle me semble fermée. Le panneau des horaires annonce que le musée vient tout juste de fermer. Mais, la porte est encore ouverte. Je pose mon sac-à-dos et je prends quelques instantanés et vidéos à l’extérieur. Puis, j’entre-ouvre la porte et je jette un oeil. Le guichet est ouvert. Il n’y a personne. Une sonnette de style ancien y est posée. Je sonne et j’attends. Personne… La fenêtre accolée au guichet me montre la grande salle plongée dans la pénombre du musée. Des objets antiques à peine visibles, dans un silence mystique et troublant. J’y tourne mon objectif et fais quelques photos. Je dois partir.
Je prends encore quelques photos dans le jardin et je me repose un peu. Je me chapitre pour avoir marché autant et n’avoir pu visiter le musée. Mais ce n’est pas grave, je vais rester un moment dans la région, j’y reviendrai.
Je continue à marcher vers l’estancia3Leleque. Je peux peut être trouver une échappée vers la rivière Chubut. Mais avant, je dois trouver une habitation mapuche quelque part dans le coin. Cependant, il me parait compliqué de trouver les familles mapuches, qui vivent dispersées dans cette région aride de la province Chubut.
Après avoir marché encore un peu, l’apparence aride de mon itinéraire change tout à coup, sans transition, comme dans un film. Les seules choses qui persistent sont les oiseaux criards qui battent des ailes sur ma tête. dont l’un, avec une stridence insistante. Tout au long de ma route, des deux côtés s’étendent désormais derrière de hautes clôtures très sécurisées, des pâturages fertiles sans fin, dans lesquels paissent des animaux.
Une rencontre fortuite
Un vent léger sur mon front ; je m’arrête devant les clôtures et je m’allonge sur les herbes dorées. Me laissant aller dans la chaleur de l’herbe et de la terre, je porte mes yeux sur les nuages blancs, dans le bleu pur du ciel. Puis, un groupe d’oiseaux migrateurs en partance… Ils dessinent un arc et s’éloignent à coup d’ailes à contre sens du voyage des nuages.
J’ai du m’endormir un moment… J’ouvre les yeux… dans les yeux d’un tatou. Il se tient à un mètre, totalement immobile, fixant mon regard, sans cligner ses yeux d’olives noires ombrés de longs cils. On s’est regardé comme cela, trente, quarante secondes, jusqu’à ce que chacun s’habitue à l’autre. J’ai voulu le prendre en photo. Pour cela, je devais bouger. J’ai tendu la main, tout doucement, vers mon appareil qui était d’ailleurs tout près. Lui, suivait tous mes gestes. J’ai réussi à saisir l’appareil… Alors que j’étais en train de tourner l’objectif vers lui, l’animal est parti comme un éclair et a disparu dans les herbes. Mes quelques appuis sur le déclencheur n’ont rien donné d’autre que des photo d’herbes…
Je ne savais pas que j’allais rencontrer un jour, en Patagonie, un de ces adorables vivants blindés, qui ne vivent que sur le continent américain, et se déclinent en 20 espèces… Je n’ai pas pu fixer cette rencontre sur le papier, mais il restera dans ma mémoire.
J’ai marché un peu, j’ai marché beaucoup
Comme le dit la fameuse randonnée traditionnelle pour enfant, “J’ai marché un peu, j’ai marché beaucoup. traversé ruisseaux, collines. Que vois-je en me retournant ?” ; j’étais devant l’Estancia Leleque… 4
Dans cette entrée de ville, qui ressemble à celles des villages western, je m’arrête juste devant le panneau précédant un petit pont et annonçant “Estancia Leleque”.
Je regarde autour de moi. A part les oiseaux qui m’ont suivi jusqu’ici, avec leurs cris pas romantiques du tout, il y a une étrange désolation silencieuse, mystérieuse et effrayante.
Cher lectrice, lecteur, quelle surprise va advenir, penses-tu, de ces sensations, de ces moments hasardeux que je traversent dans ce lieu, dont je ne connais encore ni l’histoire, ni les détails ?
Je déambule dans ce lieu, sans pour autant croiser âme qui vive, et le soir arrive.
Il faudrait soit faire de l’autostop, pour essayer d’aller dans un autre camp de Chubut, ou rester dans le coin, et faire bivouac dans un endroit adapté. Pendant que je réfléchissais et que je marchais, je tombe, en sortie de ferme, sur un couple mapuche, dans un véhicule. Je les salue, leur dis que je suis un photographe en itinérance, et je leur demande de me déposer, si possible dans un lieu où je puisse poser ma tente. Les deux personnes aux regards fuyants et effrayés refusent ma demande. Ils secouent leur tête et disent silencieusement, non… Mois qui étais heureux d’enfin croiser des gens locaux, je vois qu’ils ne sont de pas du même avis. Ils n’ont sans doute pas trouvé très sympa le fait de croiser, dans l’obscurité, un étranger barbu, portant chapeau et un sac-à-dos…
Après cette histoire d’autostop désespéré, j’avance vers la sortie par le pont. Proche du pont, je rencontre une autre voiture. Je fais signe. Mais ils passent en me noyant dans leurs phares. Je me dis alors “Ok, j’ai compris. Ce sera jusqu’ici.” Je décide donc d’installer ma tente sous le pont, dans un coin discret.
Aux premières heures du matin, je me réveille avec les reniflements des chevaux qui viennent au bord du ruisseau pour boire. Je me prépare à manger. Au menu de ce premier petit déjeuner au Chubut, des empadanas, patisseries aux olives, achetées à Elbolson, des gâteaux au caramel alfjores, et mon thermos à thé maté.
En déjeunant, je me régale du spectacle des chevaux qui se désaltèrent. Le brouillard matinal stagne étrangement au dessus de l’eau. Les chevaux semblent boire non pas l’eau, mais le brouillard…
Que me disent les oiseaux ?
Et voilà, les oiseaux piailleurs arrivent à nouveau, trainant avec eux leur cris perçants. Ils se posent sur les branches des arbres qui entourent le ruisseau. Pourquoi ces oiseaux crient-ils ainsi ? Veulent-ils me raconter quelque chose, dans ce lieu qui m’est inconnu ? Hélas, je ne parle pas la langue d’oiseau !
J’avais lu sur le web, que les oiseaux ont une place particulière dans la relation forte que le peuple Mapuche entretient avec la nature et les animaux.
Les oiseaux donnent aux Mapuches qui ont déchiffré leur langue, des signes pour les guider dans leur vie quotidienne. Par exemple le vanneau, thergul dans la langue mapuche, vit près des maisons, appelées ruka, et ont des chants différent pour des conditions différentes, et jouent ainsi le rôle d’un alarme…
Cher lectrice, lecteur, penses-tu que ces oiseaux m’avertissent en chantant, en tournant autour de moi, depuis des jours ?
Il vaut mieux que je plie ma tente, et que j’essaie de trouver des êtres vivants autres que les animaux, avec lesquels je puisse communiquer plus facilement si possible. Il faut que je fasse une dernière tentative pour croiser quelques unEs, êtres vivantEs, dans ce camp de recyclage américain, mort, sans Mapuches, étendu sans bruit et sans souffle tel un cercueil chic.
Je fais tout de même un rapide tour photographique. Mais je suis sérieusement dérangé de la balade que ce village “élite”, appelé du nom de l’ ”estancia”, offre, de son profil étrange, vide d’habitants, sans Mapuches. Dans le même temps, je suis fortement curieux de trouver la source de cette sensation dérangeante. Serait-ce la gêne qui serait la vraie raison qui me retient dans ce lieu, d’une façon étrange et insensée, et m’empêche de me poser la question “pourquoi suis-je encore ici ?”.
Où sont les gens ?
Les gens qui s’occupent des moutons, des vaches, des chevaux parsemés dans les pâturages entourés de clôtures fait par la main de l’homme, celles et ceux qui les traient, les tondent, les abattent, les mangent, les fouettent, les chargent, les vendent, les mènent, en résumé, les dominent ? Où sont-ils ? Et où sont donc les propriétaires de ces fermes, et les esclaves rémunérés ?
J’aurais aimé que cette question, comme sa réponse, ne puissent exister, par amour d’une amitié sans frontières et libre.
J’avance en observant autour de moi et je vois qu’un cavalier se rapproche du pont au galop. Ah, enfin un être humain qui se montre. Je vais pourvoir communiquer. Je lève mon bras, pour lui demander de s’arrêter. Mais, pensant que je le salue, il me répond et disparait.Ce doit être un palefrenier ou un cavalier qui travaille dans une des fermes proches.
Je reste là, devant l’église, bras en l’air.
J’aperçois en face de la route un complexe agricole qui s’étend derrière un panneau annonçant “SudLand”.
Avec un dernier espoir, j’oriente mes pas vers la porte portant l’inscription “office d’information”. Après avoir essayé la sonnette qui ne marche pas, j’entre. J’accède à l’entrée, puis à l’office. J’appelle… “Hola?”. Personne. Je quitte le lieu, on ne sait jamais. Je pose mon sac et je prends le panneau “SudLand” en photo. J’ai même le temps de me prendre en photo moi-même… Toujours personne…
Je me balade un peu. Il y a quelques ateliers d’entretien, et des machines agricoles devant. Ils feraient selon moi de l’élevage et de l’agriculture intensive. Peu de temps après, enfin, un jeune homme arrive vers l’office. On se salue rapidement. J’apprends qu’il est “office boy” au SudLand. Je lui explique que je ne parle pas bien l’Espagnol, et que je viens de France, que je suis un photographe itinérant. Je lui dis que je m’intéresse à la population locale, notamment aux Mapuches, que je ne connais pas bien la région et que je n’arrive à trouver personne pour m’informer. Je lui demande de m’aider.
Même si lorsque je prononce le mot Mapuche, une expression sombre traverse son visage, le jeune me répond, me prenant pour un touriste, “dites-moi où vous voulez aller, je vous aide”. J’annonce alors, que je voudrais aller au camp Mapuche le plus proche. Il m’informe “Le lieu mapuche le plus proche est la ferme Santa Rosa, à 8 km d’ici, sur la route d’Esquel. Je peux vous donner un plan imprimé, vous trouverez plus facilement”. Nous entrons dans le bureau. Pendant qu’il imprime le plan, je lui demande ce qu’il fait comme travail. L’office boy répond à ma question au plus court possible. “Ici, c’est une affaire très ancienne. Et maintenant elle est active un peu comme un club de communication, un musée”. Pendant qu’il me tend le plan imprimé, un homme de 35, 40 ans entre dans le bureau. Il est vêtu d’habits originaux, authentiques, portant un large chapeau et des lunettes de soleil, chaussé de bottes de cavalier. Il retire des lunettes et me salue avec un regard questionnant. “Hola ! Buenos…?”. Après les salutations, l’office boy, en s’adressant à l’homme comme “Jefe” (chef), lui explique le peu qu’il sait de moi. Lorsqu’il ajoute que je veux aller à Santa Rosa, le chef fronce les sourcils et pose un regard grave dans mes yeux, comme s’il disait “Allons bon !”. Je comprends alors à ce moment là qu’ils ne sont pas heureux de parler des Mapuches et de cette ferme Santa Rosa. Il doit y avoir un problème. Le ton de ce dialogue ne me plait pas. Je dois partir.
En prenant la porte, après des remerciements, le chef lance dans mon dos, d’une voix de roquet, un sardonique “good like !”. Je marque un arrêt pendant une fraction de seconde. Je sors sans répondre. Dehors, il y a un 4x4 professionnel qui est garé à l’ombre des arbres. Le chef a du venir dans ce véhicule, accompagné de trois personnes. Je les salue et je me mets en route.
Voilà, je suis toujours sur cette même longue route qui mène au musée de Leleque. Les mêmes oiseaux criards m’y retrouvent. Ils m’accompagnent un bout de temps, et disparaissent soudain. Bientôt, le 4 X 4 du SudLand m’attrape, me dépasse, et s’éloigne en m’enveloppant dans un nuage de poussière. Je les maudis, bouche et yeux remplis de poussière…
… A peine à cinquante mètres du musée, je rencontre un jeune homme mapuche, portant un sac à dos. C’est le troisième Mapuche que je croise, après le couple craintif de la soirée de la veille. Nos pas fatigués nous ont réunis sur cette route poussiéreuse de Leleque ; nous étions deux marcheurs étrangers de continents lointains, mais comme deux amis réunis par la route. Moitié mots, moitié gestes, nous nous sommes salués, nous avons fait connaissance, puis nous sommes dit adieu.
La visite du musée
J’arrive de mes pas fatigués, encore une fois, devant la porte du musée. J’y entre. A l’intérieur, se trouvent deux personnes, une femme et un homme d’âge moyen. Nous faisons connaissance avec la phrase la plus chaleureuse, comme dans toutes les langues, “Hola!Buenos Dias!”.
Le couple s’occupe de tout le fonctionnement du musée, de la conservation au café restaurant, et vit avec leur petite fille, dans le logement attenant. Pendant notre conversation, j’observe un état d’être gêné chez les deux personnes. Elles sont pourtant accueillantes et polies. En apprenant que je viens de France et que je suis photographe, ils me traitent avec un certain respect, un peu trop même.
Tout dans le café restaurant, le bar, les tables, la bibliothèque, la cuisine, même les toilettes, fait partie intégrante du musée. Des objets d’agriculture et d’élevage, d’hier et d’aujourd’hui, sont transformés ou recyclés pour une utilisation dans cet endroit. Des outils locaux, historiques, font partie du fonctionnement routinier du café et leur s répliques récentes sont proposées comme objets de souvenir.
Après des explications sur ces outils et objets anciens, je demande au couple, l’autorisation de prendre des photos. Je peux photographier tout, sans flash… Je les remercie et je passe avec le Señor dans la partie principale du musée. Il me montre le sens de la visite, me rappelle l’interdiction de flash et me laisse travailler, en se retirant courtoisement, “si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis à la cafétéria”.
Voilà, je suis en tête à tête avec toute une Histoire
Ce rendez-vous avec cette Histoire spéciale qui porte les traces du passé sédentaire du Chubut en Patagonie, y compris celui de l’Ere Néolithique, éveille en moi des sensations mystiques et politiques.
Je ne sais pas du tout dans quelle mesure les travaux archéologique et anthropologique menés jusqu’à aujourd’hui se reflètent cette Histoire dans ce musée, mais je sais ceci : les voyous qui sont étrangers et ennemis des Peuples historiques de cette région, continuent encore aujourd’hui, à confisquer, piller, détruire ici, les richesses, la nature, la sueur humaine et l’animal par des “tempêtes de désert”.
L’éclairage doré dans les salles du musée, les musiques mapuches, les effets sonores à bouche nue, qui la complètent, réunissent les visiteurEs avec les objets historiques, dans une impression réaliste et impressionnante. Je photographie tous les objets qui content la résistance des ancêtres mapuches contre le général Roca et son armée génocidaire, le combat d’Inayakal. J’arpente toutes les salles du musée Leleque, en visitant avec une perception historique, intellectuelle et à la fois émotionnelle.
Cher lectrice, lecteur, n’est-ce pas ironique, le fait que l’Histoire d’un Peuple, dont les terres et la culture sont pillées depuis des siècles, soit réunie en musée, sur les terres où il a été massacré, par l’Etat argentin qui est le responsable direct de ce génocide ? Quel est l’objectif exactement ? Est-ce ce que ce musée est une “réconciliation” avec le passé ? Si oui, comment expliquer alors, les oppressions pratiquées par les voyous, encore aujourd’hui dans la province de Chubut ? S’il s’agit d’établir une mémoire historique, dans quelle mémoire devons-nous inscrire les souffrances actuelles ?
Avant de quitter les lieux, je pose ces questions au couple employé du musée… Ils ne disent rien d’autre que “vous avez raison”, d’un air gêné. Je les remercie et je pars. Quelques pas à peine fait sur le chemin, une voix de femme me hèle “Hey ! Señor ! “. Je me retourne. La femme du musée me rattrape en courant. “J’ai pensé que vous auriez peut être besoin de ces choses” dit-elle, en me tendant la brochure du musée et un petit sac. Je les prends. Dans le sac, se trouve un jus de fruit et un gâteau. En rangeant ces cadeaux chaleureux, je la remercie. “Muchas Gracias Señora! Adiós!”
La Patagonie peinte en rouge sang par le prince des couleurs
En marchant, je sors la brochure de mon sac et je commence à la feuilleter. Lorsque je tourne la dernière page et que mes yeux se posent sur la phrase en anglais au dos, je reste cloué sur la route.
“En 1966, Korchenewski a fait don de sa collection à la Fondation Ameghino, en s’amusant avec l’anthropologue Rodolfo Casamiquela, qui était aussi son ami proche. Plus tard, il a fait la connaissance de M. Carlo BENETTON qui s’était installé dans la région. C’est ainsi qu’a été créé le Centre d’Investigations Scientifiques “Les Hommes Patagoniens et son Environnement”.5
Cher lectrice, lecteur, comprends-tu la même chose que moi ?
Je m’assois là, sur le bord de la route. Je rembobine rapidement tout ce que j’ai vécu ces derniers deux jours. Je revis autrement, tous les moments où j’avais l’impression que quelque chose m’échappait. Cette surprise choc est pour moi comme une gifle.
Je me ressaisis, sors de la lourdeur de cette révélation maudite, et je reprends la marche vers le camp de Santa Rosa, à 5km sur la route d’Esquel. Les oiseaux messagers qui m’ont accompagné depuis deux jours reviennent. Ils planent une dernière fois sur ma tête, en jacassant comme toujours. Ensuite ils s’éloignent vers l’estancia Leleque. Leur cris stridents résonnent comme un souvenir d’adieu.
Je suis enfin à la sortie de l’estancia, devant un grand panneau du musée. En regardant l’image géante d’un mapuche, je soupire. Comme c’est tragique, l’héritage d’un peuple qui vivait libre sur ces terres, et qui faisait exister ces terres, et qui est transformé en “propriété” dans les mains de ceux qui les ont confisquées, devenu un héritage pris en otage…
Extrait d’un livre en cours de rédaction
EXPOSITION
“Voyage en Patagonie, sur les traces de Santiago”
du 4 au 15 octobre
au bar culturel Le Pas Sage 77 rue Curiol, 13001 Marseille
Evénement FB