On a par­lé, à pro­pos de James Bald­win, d’ex­il lit­téraire. On voulait dire, je crois, son départ de New-York pour un voy­age sans fin qui l’a mené de la France à la Turquie. 


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Un voy­age pour trou­ver un endroit où il se sen­tait libre.1C’est sans doute là, que s’an­cre le désir, pour moi, d’écrire sur lui. Mais ce n’est pas la même his­toire, ce n’est jamais la même his­toire. J’au­rais été la jeune fille blonde de Green­which vil­lage,2sans doute. Quoique, elle aus­si – une autre his­toire, sans doute. Je pars du rejet de l’e­space où il a gran­di : Harlem, New-York, de l’é­touf­fe­ment, du dan­ger de mort et in fine, de la dif­fi­culté d’écrire et de s’adress­er à son monde new-yorkais. L’at­trac­tion de Paris et son ébul­li­tion créa­tive. Ici, collision :

- Paris est anci­enne, elle est de nom­breux siè­cles. On ressent, à Paris, tout le temps passé. Ce n’est pas ce qu’on ressent à New-York. J’ai dit. Il souri­ait. J’ai cessé de parler.

- Qu’est-ce qu’on ressent à New-York? Il a demandé.

- Peut-être qu’on ressent, j’ai répon­du, tout le temps à venir. C’est si puis­sant là-bas, tout est en mou­ve­ment. On ne peut pas s’empêcher de se deman­der com­ment ce sera dans plusieurs années.3

Je me demande ce que ça voulait dire d’ar­riv­er à Paris en 1948. À la même époque, plus d’une branche de ma famille s’ex­i­lait pour les Etats-Unis. Iels pen­saient qu’on ne les jugerait pas là-bas, iels pen­saient qu’on ne les tuerait pas. Peut-être qu’il y avait de ça, le poids de la créa­tion en plus. Le héros de La Cham­bre de Gio­van­ni me laisse à penser que tous les exils ont à voir avec l’ex­péri­ence de l’His­toire — cer­tains vers un nou­veau départ et d’autres, vers une con­fronta­tion. Sen­tir l’His­toire qui nous noue, nous infuse, nous appar­tient sans qu’on puisse la retenir. La sen­tir depuis un autre endroit.

Plus tard, dans les années 1960, on a demandé à James Bald­win, “Pourquoi Istan­bul?” Il a dit : “C’est un lieu ou je peux redé­cou­vrir qui je suis et ce que je dois faire. Un lieu où je peux m’ar­rêter et ne rien faire afin de recom­mencer, encore”

En tant qu’artistes, on se retrou­ve dans les voix, les itinéraires des autres. D’autres his­toires, d’autres épo­ques, qui pour­tant, réson­nent. Et comme notre envi­ron­nement façonne notre lan­gage, notre con­science de nous-même, notre vie sociale, beau­coup veu­lent le faire éclater.

À Istan­bul, James Bald­win fait éclater son espace nar­ratif, le recréé. C’est là qu’il ter­mine trois ouvrages : La Prochaine Fois le feu, Un Autre Pays, et Pas de Nom dans la Rue, comme si Istan­bul lui avait per­mis l’e­space d’achève­ment, la dis­tance nécessaire.

En tant que per­son­nes ‑morales, sen­si­bles, poli­tiques- on se détache des voix qui nous rangent, caté­gorisent, dis­crim­i­nent. Est-ce que la lib­erté de James Bald­win, à Paris et à Istan­bul, s’ex­pri­mait aus­si dans la redéf­i­ni­tion des ses ami­tiés ? “Je suis ter­ri­fié par l’apathie morale – la mort du cœur – que j’observe dans mon pays“4con­fie James Bald­win dans une inter­view. Quand je vois des pho­tos de lui, main dans la main avec Engin Cez­zar et Gül­riz Sururi, je ne peux m’empêcher de me racon­ter leur ami­tié, de l’imag­in­er comme ce qui lui a aus­si per­mis d’écrire là-bas, de redéfinir sa lib­erté dans les pro­jets partagés, dans l’e­space de la ville, dans les ren­con­tres for­tu­ites et de lut­ter, coûte que coûte, con­tre cette ter­ri­fi­ante apathie.

À Istan­bul et à Paris, les com­bats de James Bald­win se redessi­nent. Des héros new-yorkais ‑fic­tifs ou réels- écrit depuis d’autres pays. Je ne suis pas capa­ble de trans­met­tre la force de ces textes, le désir de vie qui s’en dégage, l’ur­gence à les écrire, l’im­pul­sion d’e­spoir et de courage, la con­science de l’His­toire. Il faut les lire.

Oui, si on ques­tionne la capac­ité des artistes à être poli­tiques, à s’ar­racher de leurs con­sid­éra­tions matérielles, à faire réson­ner les com­bats ou tout sim­ple­ment, à être sol­idaires, il faut les lire. Se rap­pel­er de ce que ça peut vouloir dire un exil littéraire.

Jaz Ezra Kleo

A suiv­re…


Image à la Une par Jaz Ezra Kleo
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