Kedis­tan vous offre le jour­nal de bord de Joseph, alias Jüse Idiart, un gars du Pays-Basque, par­ti à la décou­verte du Kur­dis­tan Sud, en com­pag­nie de son ami Ercan Aktaş, auteur de notre web­magazine, en vis­ite familiale…

Vous trou­verez la total­ité de ce jour­nal en suiv­ant le lien “Le goût de l’ex­il


Un dimanche très… bureaucratique

Dimanche. Je som­nole depuis 4h du matin après avoir été sor­ti de mon som­meil par l’appel à la prière du lev­ée du jour. J’abandonne l’idée d’une grasse mat­inée. Ercan, lui, à l’air de dormir comme un bébé. Vers 8h, la maison­née se réveille et rebe­lote : méga petit-dej avec fro­mages, miel, olives, yaourts, pains ori­en­taux et un bon thé bien noir elbette ! (bien-sûr !)

Après ces agapes nous pen­sions pass­er un week-end à paress­er, à se balad­er ensem­ble avec Des­ti­na et Sidar (son mari) mais Ercan me dit : “J’avais com­plète­ment oublié, mais ici, nous sommes en pays musul­man ; le seul jour de repos est le ven­dre­di, pas de week-end”. Moi non plus, je n’y avais pas du tout pensé…

Des­ti­na et Sidar par­tent au tra­vail ; ils sont tous deux salariés de la chaine télé “Kur­d­Max”. Nous restons à bouquin­er et comater tran­quille­ment sur les canapés, nous avouant d’avance vain­cus par la chaleur qui con­tin­ue de brûler tran­quille­ment le peu qu’il reste de ver­dure sur les nom­breux ter­rains vagues qui entourent notre building.

A midi, Des­ti­na ren­tre à l’appartement et nous invite à la suiv­re, nous sor­tant mal­gré nous de la tor­peur involon­taire qui nous aimante cha­cun à notre canapé. “Prenez vos passe­ports” c’est tout ce que j’ai com­pris. Alors c’était ça la dis­cus­sion ani­mée au petit déje­uner : il faut que nous allions nous faire “enreg­istr­er”. Je vous avoue que ma nature anar­chiste n’était absol­u­ment pas embal­lée quant à l’idée de me faire “enreg­istr­er”. J’avais déjà large­ment écarté le fait de me faire con­naître auprès de la base de don­née “Ari­ane” pour les français par­tis en voy­age dans une “zone sen­si­ble”, dans notre cas classée “zone décon­seil­lée sauf rai­son impérative”.

Kurdistan Irak carte

Carte sur “Con­seil aux voyageurs” sur le site de France Diplomatie

Nous par­tons donc, con­duits par un jeune homme (dont je com­pre­nais plus tard qu’il est le chauf­feur de “Kur­d­Max”). Zigza­gs sur des routes par moment com­plète­ment défon­cées, fes­ti­vals de dos d’ânes et autres gen­darmes couchés, chi­canes en tous genre, voitures sur­gis­sant de tous les cotés… Bref, une plongée dans les méan­dres d’une cir­cu­la­tion aléa­toire­ment et chao­tique­ment par­faite­ment orchestrée. Je bataille à essay­er de com­pren­dre pourquoi nous faisons ça. Ercan me répond “pour tran­quil­lis­er ma sœur, c’est plus sûr au cas où il nous arrive un prob­lème”.

Nous arrivons au bout d’une impasse coupée en deux par une chi­cane de blocs de béton dis­posés pêle-mêle. À gauche et droite des frich­es de chardons au sol, car­bon­isés. Nous pas­sons la chi­cane et entrons dans un pré­fab­riqué ou un vieil homme dernière un bureau nous demande nos télé­phones et fouille nos sacs avant de con­sign­er tout appareil sus­pect dans un petit casi­er de bois peint en blanc.

Nous sor­tons de la dépen­dance de plas­tique pour entr­er en face, dans une espèce de vil­la où nous sommes con­trôlés par un homme en treil­lis et kalach­nikov à l’épaule. Je n’ai tou­jours pas tout à fait com­pris où nous sommes, mais vu l’ambiance, je ne demande pas. Je suis docile­ment Des­ti­na, Ercan et notre jeune chauf­feur. Nous arrivons à l’accueil. Je remar­que le mobili­er en plas­tique et les vieux fau­teuils au cuir pelé. Un ven­ti­la­teur cylin­drique, dont le bruit cou­vre presque les voix, nous envoie une bour­rasque dans la figure.

Nous atten­dons notre tour. J’ai l’impression que tout le monde nous dévis­age. Un autre bidasse nous con­duit au bureau de celui que j’identifie comme “patron”. Le por­trait du général Barzani, encadré d’acajou, nous regarde d’un œil pater­nel. L’homme écoute Des­ti­na d’un air cir­con­spect. Nous présen­tons nos passe­ports. J’entends “pênc” cinq en kurde. Nous par­tons donc en direc­tion du bureau nº5. Déjà je ne com­prends pas vrai­ment le Kur­man­ji mais alors là, je ne com­prends rien des dis­cus­sions ani­mées qui démar­rent logique­ment en Sorani (le dialecte kurde offi­ciel localement).

Nous grim­pons les escaliers vers un autre bureau. Dis­cus­sions ani­mées encore, je n’écoute pas vrai­ment. Il fait une chaleur écras­ante. Je regarde les mouch­es vol­er et détaille de mes yeux la pièce dans laque­lle nous sommes. Murs d’un blanc crème mac­ulé de tach­es, fils élec­triques pen­dant au pla­fond, rideaux à moitié déchirés, chais­es de jardin en plas­tique comme mobili­er… je me demande vrai­ment où nous sommes. J’interroge Ercan à demie voix pen­dant que la dis­cus­sion con­tin­ue entre Des­ti­na et le fonc­tion­naire. Il me répond briève­ment “jan­dar­ma” (gen­darmes en turc). L’homme nous envoie vers un autre bureau. Grâce à une brève expli­ca­tion d’Ercan et au con­texte, je com­prends que le prob­lème ne vient pas de nous mais de Des­ti­na : elle est absente de la base de données.

Dans le nou­veau bureau, notre inter­locu­teur, le gen­darme donc, n’as pas l’air très con­ciliant et même un peu menaçant. Je retrou­ve le petit air con­de­scen­dant que cer­tains agents admin­is­tratif français abhor­rent quand ils veu­lent vous faire com­pren­dre qu’il sont en posi­tion de force. Des­ti­na explique, Ercan me traduit “Mais enfin ça fait trois ans que j’habite ce quarti­er, c’est pas pos­si­ble que vous ne m’ayez pas sur les fichiers !”. Je laisse libre cours à mes pen­sées. Avec Ercan, nous remar­quons dans le couloir adja­cent au bureau une hiron­delle, sor­tant la tête de son nid, une pen­sion­naire du lieu qui s’en fout pas mal des his­toires de papiers… Son seul laiss­er pass­er c’est le trou dans le cadre PVC de la fenêtre. Les murs sont con­stel­lés de fientes. Je pense “une vie libre à chi­er sur les flics” et je ris intérieure­ment de ma bêtise.

Des­ti­na a fait encore un ou deux bureaux. Nous atten­dions à l’accueil en ten­tant de nous habituer à la canicule. Deux heures ! Nous sommes restés deux heures dans ces bureaux délabrés. Pour rien… Si ce n’est causer des ennuis admin­is­trat­ifs à Des­ti­na, qui a dû faire actu­alis­er son dossier dans quelque admin­is­tra­tion nationale, le lende­main. Bref, rien de bon à ajouter à mon dégoût des administrations.

Heureuse­ment, la journée s’est ter­minée par une salade kur­do-périgour­dine et des patates erbi­lo-sar­ladais­es suiv­ies d’une bal­lade noc­turne en famille dans un superbe parc. Des­ti­na a bien voulu nous laiss­er aux fourneaux ; on lui devait bien ça non ?

Jüse Idiart

à suiv­re…


 

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