Une cen­taine de pris­on­niers, mem­bres de l’or­gan­i­sa­tion islamiste “Hizbul­lah”, con­damnés à de lour­des peines pour cer­taines de per­pé­tu­ité, vien­nent d’être libérés en Turquie. 


Français | English

Hizbullah, qu’est-ce que c’est ?

En turc Hizbul­lah. Le Hezbol­lah turc, n’a pas de rap­port direct avec le Hezbol­lah libanais chi­ite, même s’il s’ag­it égale­ment d’une organ­i­sa­tion islamiste sun­nite. Le Hizbul­lah est placé par les États-Unis et la Turquie elle-même, sur la liste des organ­i­sa­tions ter­ror­istes. Ce fut à l’o­rig­ine un mou­ve­ment islamiste sun­nite san­guinaire à majorité kurde et ultra-radical.

Leurs derniers atten­tats de 2003 furent des atten­tats sui­cides con­tre deux syn­a­gogues d’Is­tan­bul puis, cinq jours plus tard, con­tre la banque HSBC et le con­sulat bri­tan­nique, qui firent en tout 62 morts. 

Ayant l’ob­jec­tif d’établir par la vio­lence un Etat fondé sur la Charia, le Hizbul­lah est apparu en Turquie, dans les années 1980. Ini­tiée par Adnan Ersöz, dirigée par Hüseyin Velioğlu, l’or­gan­i­sa­tion a sévi durant plusieurs années en Turquie, aus­si bien dans les régions kur­des que dans les grandes métrop­o­les, et fut par­ti­c­ulière­ment vir­u­lente con­tre le mou­ve­ment de libéra­tion kurde à Amed.

L’or­gan­i­sa­tion, qui à ses débuts, recueil­lait par la force de l’ar­gent de la pop­u­la­tion, est dev­enue en 1990, une réelle men­ace con­tre le mou­ve­ment kurde, qui était alors dans une péri­ode ascen­dante. De nom­breux mil­i­tantEs, sym­pa­thisantes, jour­nal­istes, hommes d’af­faires, mais aus­si au delà de la pop­u­la­tion kurde, allant jusqu’aux femmes por­tant des mini-jupes, ou à ceux et celles qui con­som­maient de l’al­cool, furent sauvage­ment assas­s­inéEs dans les rues, ou encore enlevéEs, tor­turéEs, avant d’être tuéEs.

Soutiens 

L’or­gan­i­sa­tion était con­sti­tuée de plusieurs groupes. Deux d’en­tre eux, les plus con­nus, Ilim et Manzil, avaient noué des liens avec l’Iran. Ain­si, ils béné­fi­ci­aient d’une aide finan­cière et logis­tique, en échange de ren­seigne­ments sur les dis­si­dents iraniens réfugiés en Turquie ou sur les posi­tions mil­i­taires turques dans la région frontalière.

Par­al­lèle­ment, le Hizbul­lah, du fait de l’hos­til­ité com­mune envers la lutte kurde, a béné­fi­cié, en tant qu’or­gan­i­sa­tion armée con­tre révo­lu­tion­naire, du sou­tien offi­cieux des gou­verne­ments suc­ces­sifs turcs, de dif­férentes ten­dances poli­tiques. Par exem­ple Fikri Sağlar, député du Par­ti social-démoc­rate pop­u­laire (SHP), l’an­cien min­istre de la Cul­ture, a affir­mé lors d’une reportage, que l’ar­mée ne se sat­is­fai­sait pas d’u­tilis­er le Hizbul­lah, mais avait con­tribué à sa fon­da­tion et le soute­nait finan­cière­ment.1 Les con­nex­ions con­tin­ueraient d’ailleurs encore aujour­d’hui sous façade légale… Avec le Par­ti de la cause libre, Hüda-Par, le Hizbul­lah est passé de la clan­des­tinité à la représen­ta­tion légale. Fondé fin 2012, le Hüda-Par, a d’ailleurs soutenu les can­di­dats de l’AKP aux élec­tions générales du 24 juin.

A par­tir de la deux­ième moitié des années 90, les gou­verne­ments suc­ces­sifs turcs ont pour­tant engagé une répres­sion con­tre le Hizbul­lah. Les autorités turques, engagées dans une volon­té de rap­proche­ment avec l’U­nion Européenne, voulaient main­tenir l’in­té­grisme à dis­tance et ouvrir un dia­logue côté kurde. Ceci expli­quant cela. Le leader hizbul­lah, Hüseyin Velioğlu, fut tué le 17 jan­vi­er 2000, à Beykoz, près d’Is­tan­bul, lors d’une opéra­tion poli­cière qui a duré 4h30 et dif­fusée en direct sur les télévisions… 

Plus d'infos : 
"Le hezbollah turc et les évenements de Beykoz" publié par l'OFPRA

Nombre de membres armés et sympathisants indéterminés

Selon cer­tains jour­nal­istes et le Cen­ter for Defense Infor­ma­tion (CDI) on a estimé en 2003, que l’or­gan­i­sa­tion aurait eu 20 milles mil­i­tants. Quant au rap­port inti­t­ulé “Pat­terns of Glob­al Ter­ror­ism” pub­lié en 2002 par Fed­er­a­tion of Amer­i­can Sci­en­tists (FAS), il estime leur nom­bre, à quelques cen­taines de mem­bres armés, et des mil­liers de sympathisants.

Les premières libérations en 2011

Des cen­taines de per­son­nes soupçon­nées d’en être mem­bres ont été jugées. Cer­tains mem­bres ont déclaré qu’ils avaient subi eux-mêmes tor­tures et mau­vais traite­ments. Leurs témoignages ont été doc­u­men­tés dans la caté­gorie de “Action alert” par Amnesty Inter­na­tion­al. “Le procès Hizbul­lah” s’est ter­miné en 2009. Les accusés ont été con­damnés à dif­férentes peines de prison, dont 16 à perpétuité.

Le 4 jan­vi­er 2011, 24 détenus, dont de hauts respon­s­ables de Hizbul­lah, ont été libérés sous con­trôle judi­ci­aire, suite aux réformes du Code pénal lim­i­tant la durée d’in­car­céra­tion à 10 ans. Ces per­son­nes qui con­sti­tu­aient le cerveau de l’or­gan­i­sa­tion, aus­sitôt libérées, se sont éva­porées dans la nature.

100 membres libérés récemment

Le 21 mai dernier Gökçer Tahin­cioğlu du T24, a pub­lié un arti­cle annonçant 8 ans plus tard, qu’en­core une cen­taine de mem­bres du Hizbul­lah venaient d’être libérés. La total­ité des per­son­nes con­sid­érées comme respon­s­ables au sein de l’or­gan­i­sa­tion et con­damnées à de peines lour­des sont désor­mais libres. Et cette dernière cen­taine a prob­a­ble­ment pris le même chemin que les précé­dents dis­parus, dans la nature…

C’est le résul­tat d’un enchaine­ment de déci­sions juridiques et de l’ap­pli­ca­tion arbi­traire des lois et des jurispru­dences… Abdul­lah Altun, un détenu con­damné à la per­pé­tu­ité, a sol­lic­ité la Cour européenne des droits humains. La CEDH a décidé que le tri­bunal ayant con­damné Altun, n’é­tait pas indépen­dant et qu’il devait être jugé à nou­veau. Suite à la demande con­cer­nant le cas de Abdul­lah Altun, le Tri­bunal Con­sti­tu­tion­nel turc a ren­du le 17 juil­let 2018 une déci­sion : “la présence de juges mil­i­taires par­mi le corps des juges est un motif pour un nou­veau juge­ment”. Cette déci­sion cri­tique per­met la libéra­tion des détenuEs con­damnéEs à des peines lourdes.

Une justice à la tête de client.

Suite à la déci­sion du Tri­bunal Con­sti­tu­tion­nel, de nom­breux pris­on­niers et pris­on­nières poli­tiques  sont con­cernéEs par cette déci­sion, et ont présen­té leurs requêtes. La total­ité des deman­des con­cer­nant les pris­on­niers et pris­on­nières con­damnéEs pour “appar­te­nance au PKK” furent refusées. Vis­i­ble­ment, la déci­sion du Tri­bunal Con­sti­tu­tion­nel n’est val­able que pour les mem­bres de l’or­gan­i­sa­tion islamiste, qui furent pour­tant con­damnés pour “ten­ta­tive de ren­verse­ment de l’or­dre con­sti­tu­tion­nel par la force armée, assas­si­nats et attentats”.

Par ailleurs, le Tri­bunal de Van ne s’est pas arrêté à la déci­sion du Tri­bunal con­sti­tu­tion­nel et, pré­tex­tant le licen­ciement pour appar­te­nance à l’or­gan­i­sa­tion de Fetul­lah Gülen, dite FETÖ, de juges du tri­bunal ayant autre­fois con­damné les mem­bres, et déci­dant d’un nou­veau juge­ment néces­saire, a ouvert le chemin de la lib­erté à tous les mem­bres de Hizbullah.

Là aus­si, l’ap­pli­ca­tion du Droit est arbi­traire… De nom­breux procès ini­tiés par des pro­cureurs et juges liés au FETÖ, qui furent eux-mêmes jugés par la suite, se pour­suiv­ent sans états d’âme, par l’en­trem­ise de leurs con­frères au ser­vice d’Er­doğan. Le cas du procès d’Ankara con­cer­nant 19  uni­ver­si­taires sig­nataires de l’appel de paix du jan­vi­er 2015, en est seule­ment un exem­ple par­mi d’autres, et qui illus­tre bien la Jus­tice de la Turquie d’aujourd’hui… 

Cette libéra­tion com­porte bien des avan­tages pour le régime Erdoğan.

Con­forter une aile religieuse rad­i­cale ne peut pas faire de mal pour la nou­velle élec­tion d’Istanbul.

Par ailleurs, elle per­met d’ap­porter un sem­blant de démen­ti, dans un moment où l’UE mon­tre du doigt la manip­u­la­tion anti-démoc­ra­tique du code élec­toral  juste­ment à Istan­bul, et où les com­men­taires inter­na­tionaux sur la Turquie, décrite comme “anti démoc­ra­tie” ou démoc­ra­ture, se véri­fient à l’œil nu. Erdoğan, au coeur des dif­fi­cultés économiques, se doit de con­forter une aile du libéral­isme européen et mon­di­al, en pour­suiv­ant le mythe du respect de cette façade insti­tu­tion­nelle démoc­ra­tique. Il pour­rait à cet égard peut-être égale­ment con­céder quelques miettes au mou­ve­ment kurde, comme l’as­sou­plisse­ment des con­di­tions de vis­ites d’Ö­calan l’augure…

Mine de rien, une poussée anti-Turquie, de gauche et de droite, lors des prochains remaniements européens, pour­rait le priv­er d’aides sub­stantielles, tant diplo­ma­tiques que son­nantes et trébuchantes. Erdoğan n’a pas oublié que la carte UE libérale l’a aidé pour accéder au pou­voir, et que la jeter, alors que le chan­tage aux migrants se fait moins effi­cace, et que son pro­jet “ottoman” pour le Moyen-Ori­ent bat de l’aile, serait une faute poli­tique et une erreur économique.


 

Vous pou­vez utilis­er, partager les arti­cles et les tra­duc­tions de Kedis­tan en pré­cisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le tra­vail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Mer­ci. Kedistan’ın tüm yayın­larını, yazar ve çevir­men­lerin emeğine saygı göster­erek, kay­nak ve link ver­erek pay­laşa­bilirsiniz. Teşekkür­ler. Ji kere­ma xwere dema hun nivîsên Kedis­tanê parve dikin, ji bo rêz­girti­na maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas.  You may use and share Kedistan’s arti­cles and trans­la­tions, spec­i­fy­ing the source and adding a link in order to respect the writer(s) and translator(s) work. Thank you. • Por respeto hacia la labor de las autoras y tra­duc­toras, puedes uti­lizar y com­par­tir los artícu­los y las tra­duc­ciones de Kedis­tan citan­do la fuente y aña­di­en­do el enlace. Gracias.

KEDISTAN on EmailKEDISTAN on FacebookKEDISTAN on TwitterKEDISTAN on Youtube
KEDISTAN
Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.