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Entre­tien télé­phonique avec Aslı Erdoğan, pub­lié sur Yeni Özgür Poli­ti­ka ce 16 mai 2019.

Les appels pour que les reven­di­ca­tions des par­tic­i­pantEs aux grèves de la faim ini­tiées par Ley­la Güven soient enten­dues, pour dénon­cer l’isole­ment sévère sur le leader du peu­ple kurde Abdul­lah Öcalan, se mul­ti­plient.  L’au­teure Aslı Erdoğan exprime à son tour cette néces­sité que les reven­di­ca­tions des grévistes aboutis­sent le plus rapi­de­ment pos­si­ble, et  appelle l’opin­ion publique à la con­science. Elle souligne que son amie Zozan Çiçek, codétenue du quarti­er car­céral où elle séjour­na, est égale­ment en grève, aujour­d’hui trans­for­mée en jeûne de la mort [sans absorp­tion de for­ti­fi­ants]. Aslı Erdoğan salue tous les pris­on­nières et prisonniers.

Voici son message :

Jamais il n’y a eu une période aussi terrifiante

Le fait que 7000 per­son­nes mènent une grève de la faim est un événe­ment sans précé­dent. Cela peut avoir des con­séquences très sérieuses et graves. Mon amie du quarti­er [prison de Bakırköy — Istan­bul] est actuelle­ment en jeûne de la mort. Une amie si jeune. Pour cette rai­son, ma réac­tion devant ces grèves de la faim et les jeûnes de la mort est encore plus affec­tive. Devant ce qui se passe, et par­ti­c­ulière­ment le silence, je ressens encore plus de douleur. Dans la péri­ode où j’é­tais incar­cérée, les con­di­tions étaient, bien que ter­ri­bles, un brin mieux. Je sai­sis très bien les per­sé­cu­tions que ceux et celles qui sont en grève de la faim ou en jeûne de la mort peu­vent subir.

L’ab­sence de Droit en Turquie a atteint un niveau qui provoque la ter­reur. Jamais une telle péri­ode n’a été vécue, y com­pris  sous les épo­ques des coups d’E­tat. Les gens sont con­damnés à des peines hor­ri­fiques comme 30 ans de prison, sans aucune preuve, avec des réquisi­toires sans aucune base juridique, étab­lis sur des pro­pos de ‘témoins secrets’. Il existe de nom­breux cas de fig­ure que je con­nais, ou je lis. De toutes façons, les pris­ons arriveront sur le point d’ex­plos­er… En voy­ant les manchettes, j’ai peur que nous soyons témoins de faits encore plus tragiques.” 

En Turquie la conscience est totalement tuée

La reven­di­ca­tion des grévistes est une demande  légitime, tout à fait juste d’un point de vue légal,  humaine et poli­tique. Cette reven­di­ca­tion qui appelle l’E­tat à respecter ses pro­pres lois, con­tient une fin qui est bonne pour tout le monde. Par ailleurs, c’est une reven­di­ca­tion facile à sat­is­faire. Le fait qu’on ne réponde à cela que par un silence absolu est très ter­ri­fi­ant. Cela démon­tre que l’E­tat n’a désor­mais rien à voir avec la démoc­ra­tie, le Droit, la con­science et l’hu­man­ité. C’est cela qui est effrayant.

Photos par Zeynep Kuray

En Turquie, la con­science est totale­ment anéantie. C’est l’E­tat qui a com­mencé cette tuerie, et elle s’est éten­due sur la société. Le fait que les mères soient molestées, le traite­ment qu’on leur fait subir, mon­trent par­ti­c­ulière­ment qu’en Turquie tous les seuils moraux ont été fran­chis. Il n’y a plus de respect envers les morts. Il n’y a plus de respect pour les mères, à ceux et celles qui ont rai­son. Autrement dit, il n’y a plus de respect pour la vie humaine. Cette société, ce pays, peut désor­mais tout faire. Dans un pays qui a per­du la con­science, tout peut arriver. 

A vrai dire, je n’ar­rive pas à com­pren­dre pourquoi dif­férents milieux, tout comme les intel­lectuelLEs ne voient pas la sit­u­a­tion et restent prostrés dans le silence. Je sup­pose que le tabou sur le nom d’Ö­calan leur fait peur et qu’illes se dis­ent “je ne vais pas me mêler à cette affaire”. Dans quelle mesure tous ces milieux s’au­torisent-ils à oubli­er que Öcalan a, comme tout être, des droits humains et con­sti­tu­tion­nels ? Ou bien, sont-ils seule­ment préoc­cupés par l’il­lé­gal­ité des élec­tions ? Je ne sais pas. Mais ce silence, va à la fin, nous tuer touTEs. 

Il faut que ce silence soit brisé le plus rapi­de­ment pos­si­ble et que les regards se tour­nent vers les pris­ons. Je n’at­tends pas de l’opin­ion publique qu’elle sou­ti­enne les grèves de la faim. Mais, si 7000 per­son­nes ont cessé de manger, et s’ap­prochent pas à pas, de jour en jour, de la mort, il faut se pos­er une ques­tion ; “que peut-on faire ?”. Quel que soit votre opin­ion poli­tique, vous ne pou­vez pas rester indif­férentEs à cette tragédie poli­tique. Les mères, les enfants, les pères, les sœurs et frères, les proches de 7000 per­son­nes sont dans les rues,  et essayent de faire enten­dre leurs voix. J’ap­pelle l’opin­ion publique à une sensibilisation.

Zozan Çiçek grèves de la faim turquie

Zozan Çiçek

Pas une bouchée ne passe par ma gorge

Ce qui se passe dans les pris­ons turques doit être porté dans l’ac­tu­al­ité européenne. Nous en sommes à un point où on ne peut plus par­ler d’opin­ion publique dans le pays. Il n’y a plus de presse, il n’y a plus de Droit. A min­i­ma, l’opin­ion publique européenne doit se retourn­er et regarder ce qui se passe dans les pris­ons turques. Par ailleurs, je ne com­prends pas non plus le silence des pays européens. Cela ne peut pas être con­sid­éré comme un prob­lème interne à la Turquie. 

L’opin­ion publique mon­tre par­fois de l’in­térêt pour cer­tains noms, mais fait sem­blant de ne pas voir des cen­taines de mil­liers de per­son­nes dans les pris­ons. Il y a des dizaines de mil­liers de pris­on­niEres incar­cérées illé­gale­ment. Aucun son, depuis l’Eu­rope. Depuis longtemps il n’y a plus de réac­tion. Le fait que tout arrive à ce niveau, prend source du silence de l’Europe.

Le couteau a main­tenant atteint l’os. Ces grèves de la faim sont un tel cri. Elles veu­lent dire “Dans ces con­di­tions, nous n’ar­rivons plus à vivre”. Avant d’en arriv­er là, il aurait été pos­si­ble de faire de nom­breuses choses pour garder la Turquie sur la ligne du Droit. Mais, cela n’a pas été fait, et cela ne se fait tou­jours pas.

A tra­vers Zozan, je salue touTEs les amiES. Si je dis­ais “je m’at­triste” ce serait démoral­isant. Mais je ne peux m’empêcher de penser à elles, à eux. Pas une seule bouchée ne peut tra­vers­er ma gorge. Je répète encore une fois ; leur reven­di­ca­tion est une demande qui peut trou­ver facile­ment réponse, réponse qui serait bonne pour tout le monde en Turquie. 

C’est une reven­di­ca­tion légitime, du point de vue poli­tique, légal et humain.”


Ley­la Güven, Élue députée de Hakkari pour HDP pen­dant son incar­céra­tion, a entamé une grève de la faim le  8 novem­bre 2018, ini­tiant ain­si une large vague auprès de mil­liers de pris­on­niers et pris­on­nières poli­tiques, ain­si que vers des mil­i­tantEs à l’extérieur, qui ont rejoint sa lutte. A ce jour, comme Aslı Erdoğan le souligne, aujourd’hui 7000 grévistes pour­suiv­ent leur grève dans les pris­ons. Le 15 avril, 15 d’entre elles-eux ont endur­ci leur action vers un jeûne de la mort, en arrê­tant toute absorp­tion de for­ti­fi­ant. Le 10 mai dernier, leur nom­bre a atteint les 30.

Quant à Stras­bourg, 14 femmes et hommes y sont en grève depuis le 151 jours.

Il n’est sans doute pas utile de pré­cis­er qu’au­jour­d’hui, le 190è jour de grève de la faim pour Ley­la Güven, l’état des grévistes est extrême­ment critique…

Pour soutenir Zozan, l’amie dont par­le Aslı Erdoğan, et lui envoy­er vos let­tres et cartes de sou­tien voici son adresse :

Zozan Çiçek
Bakırköy Kadın Kapalı Ceza­e­vi
Zuhu­rat­ba­ba Mah.Lepra Has­tane­si Yanı
34158 Bakırköy/İSTANBUL TURQUIE


Dernière minute le 16 mai :

Au 190ème jour de la grève de la faim initiée par la Députée Leyla Güven, le ministère de la justice turc vient d’annoncer la levée des mesures d’isolement.

Les mesures de restric­tions con­cer­nant les vis­ites des avo­cats d’Öcalan ont été lev­ées”,  déclare aujourd’hui le Min­istre turc de la Jus­tice Abdul­hamit Gül par con­férence de presse. 

Les médias turcs pro-gou­verne­men­taux com­mentent cette déc­la­ra­tion en écrivant qu’elle fait suite à une vis­ite que le Comité européen pour la Préven­tion de la Tor­ture (CPT) aurait effec­tuée le 7 mai sur l’île-prison d’Imralı où sont détenus le leader kurde Abdul­lah Öcalan et trois autres pris­on­niers poli­tiques kur­des et à la vis­ite de deux avo­cats récemment. 

Newroz Uysal, un des avo­cats d’Öcalan annonce quant à lui, qu’ils avaient déjà reçu le 22 avril, une noti­fi­ca­tion con­cer­nant l’interdiction d’entretiens. “Pour cette rai­son, le seul entre­tien que nous ayons pu faire [le 2 mai] à ce jour, était donc con­sid­éré comme un entre­tien ordi­naire… Bien qu’il n’é­tait donc plus ques­tion d’interdiction, les entre­tiens étaient mal­gré tout empêchés. Le fait que le min­istère fasse aujour­d’hui cette déc­la­ra­tion par la bouche du min­istre même, est pour nous impor­tant par rap­port aux reven­di­ca­tions des grévistes”.

 

Pour plus d’in­fo
Lisez la déc­la­ra­tion des avo­cats d’Ö­calan sur ROJ Info :
Les avo­cats d’Öcalan appel­lent les autorités turques à traduire leurs paroles par des actes

 

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