Si je ne peux pas danser, ce n’est pas ma révolution”*

(*) Cette phrase est souvent attribuée à Emma Goldman. Même si elle ne l’a en fait jamais dit, nous revendiquons sans problème l’émotion qu’elle véhicule. Autrement, elle a dit : “Je veux la liberté, le droit à l’expression, le droit de chacune et chacun à de belles choses rayonnantes.”

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Ce 23 mars, la Fédéra­tion Démoc­ra­tique de Syrie du Nord a annon­cé que l’Etat Islamique au Lev­ant était vain­cu. Après des années de luttes aux con­séquences lour­des, les libéra­tions héroïques de Kobané, Raqqa et Der ez-Zor, et des mois d’attente pour l’annonce finale (le groupe éta­tique théo­fas­ciste ne défen­dant plus qu’une petite poche depuis quelques mois déjà), les Forces Démoc­ra­tiques Syri­ennes nous ont libéré-es, nous êtres vivants à la sur­face de la Terre, de ce can­cer, soutenu ouverte­ment par les Etats-nations mon­di­aux à tra­vers l’Etat fas­ciste de Turquie.

Alors, pour fêter cela, aux quatre coins de la Fédération,
nous avons dansé…

Nous, cama­rades inter­na­tion­al­istes, avons rejoint les Com­mu­nard-es de Derik pour partager un moment de célébra­tion avec elleux. Timide­ment d’abord, nous avons dit bon­jour et nous sommes approché-es des petits cer­cles de danse puis, la musique aidant (un remix élec­tron­ique des clas­siques de la guéril­la, par un DJ local venu avec son camion et ses enceintes), nous nous sommes sen­ti-es plus à l’aise, bran­dis­sant les dra­peaux des YPJ et YPG comme nos cama­rades, et alors la magie a com­mencé à opérer…

Com­ment décrire une con­nex­ion avec l’instant si forte, de celles qu’on n’attend pas, qui nous sur­prend car tout à coup on s’en rend compte qu’elle est là, tout sim­ple­ment. Quand la beauté est là, que la révo­lu­tion est là, que l’humanité est là, nos gestes sont emplis de sens…

Une par un, nous nous sommes ajouté-es au cer­cle, cer­tain-es par appé­tence pour la danse, d’autres parce que trop timides pour par­ler directe­ment aux cama­rades locales (vive­ment les prochains cours de kur­mancî !). Un sim­ple pas de côté, un pied levé à gauche, un pied levé à droite, et on recom­mence. D’une sim­plic­ité enfan­tine, ce petit mou­ve­ment per­met d’inviter tout le monde à entr­er dans la danse, novices comme ini­tié-es, jeunes et moins jeunes.

Petit à petit, la ban­de­role humaine s’étend. Ce ne sont plus 20, 30, mais 80 paires de pieds qui s’agitent en rythme. Relié-es par nos petits doigts, nos mains décrivant de petits cer­cles dynamiques, une con­fu­sion s’installe alors : les mains et pieds de cette human­ité emmêlée pro­duisent une illu­sion optique des plus fab­uleuses, ce sont main­tenant 150 indi­vid­u­al­ités qui suiv­ent le même tem­po, et leurs gestes coor­don­nés pro­duisent un effet qua­si-psy­chédélique. Un moment durant, c’est bien une transe que nous vivons, et si la musique est endi­a­blée, notre activ­ité cor­porelle est bien calme. La magie est là cepen­dant, à notre grande sur­prise, pour nous qui venons d’expériences exta­tiques qui sont habituelle­ment plus deman­dantes, plus consommantes.

On se regarde, les yeux plis­sés de bien­veil­lance. C’est la démoc­ra­tie qui prend forme, en face-à-face, dans cet espace-temps de convivialité.

Et quel spec­ta­cle de diver­sité, dans cette faran­dole. Une pléi­ade de faciès, de gen­res, de lib­ertés. Aux habits de cam­ou­flage ou civils, mésopotamiens ou occi­den­taux, aux dra­peaux var­iés, l’expression de cha­cun est la bien­v­enue, et bien présente. Témoin de cette plu­ral­ité, notre esprit prend un élan de créa­tiv­ité et se met à penser qu’il y a là de l’unité-dans-la-diversité, de l’anarcho-communisme incar­né (par l’individualité anar­chiste exaltée, par le nom­bre et la coor­di­na­tion com­mu­niste). Aus­si, ce car­rousel serait-il une allé­gorie du mou­ve­ment, ini­tié par quelques pio­nnier-es de la danse, et rejoint par tant d’autres, pour ne finir par faire qu’un avec la société ?

Mais après une bonne demi-heure de pas com­mu­niés, la musique finit par s’arrêter. La chaîne se rompt, et c’est une autre mélodie, plus ryth­mée encore, qui prend le relais. Des lignes se refor­ment alors, mais pas aus­si longues que la pre­mière. La danse est main­tenant bien plus mou­vante, néces­si­tant un bon jeu de jambes, nous avons donc lais­sé quelques cama­rades de côté, tout aus­si enjoué-es à nous regarder. En bout de file, les pre­mier-es de cordée se per­me­t­tent quelques impro­vi­sa­tions libres sur les pas de base. Illes se regar­dent avec plus d’intensité, faisant que la tête de lignée se recro­queville sur elle-même, décrivant une spi­rale qui se plie et se déplie.

Pro­gres­sive­ment, de chant en chant, la célébra­tion s’en va ter­mi­nant. Notre délé­ga­tion reprend son chemin.

En bonus, deux jolies pièces d’archives du 2008, quelque part en Kurdistan…

Lougar Rayn­marth

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