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Le silence, l’ar­ro­gance et la vio­lence d’un régime valent-ils qu’on lui sac­ri­fie sa vie par sui­cide ? Celles et ceux qui, dans les pris­ons turques ont mis fin à leurs jours ne se sont pas posé la ques­tion ainsi.Ils ont mis fin à leur jour, comme le firent Mohamed Bouaz­izi en Tunisie, Jan Palach en Tché­coslo­vaquie, Quang Duc, en 1963, au Vietnam…

Le sui­cide con­stitue une modal­ité de fin de vie con­sen­tie qui laisse peu de place à l’indifférence des sur­vivants. Mais cepen­dant, qui se sou­vient des cen­taines d’im­mo­la­tions par le feu des dix dernières années recen­sées par le monde, et de leurs motivations ?
L’his­toire humaine ne retient qu’un con­texte et le catal­y­seur qu’y fut le sac­ri­fice d’une vie humaine, pour faire bas­culer le cours des choses.
En sera-t-il de même pour ces mar­tyres kur­des qui bas­cu­lent dans la mort ?
La grève de la faim et le sui­cide sont-elles des armes de lutte identiques ?

On sait que le mou­ve­ment kurde a tiré des leçons des jeûnes de la mort en prison des années 80 et 2000. Leur leader Öcalan lui même avait salué les sac­ri­fices, mais avait, pour les com­bat­tants, priv­ilégié la vie pour la lutte.

Ley­la Güven, ini­ti­atrice des grèves de la faim, salue respectueuse­ment celles et ceux qui se sont don­néEs la mort en prison, mais ne s’as­so­cie pas à ce qui sem­ble être des actes ultimes de désespérance.

Per­son­ne, en dehors d’elle, ne pou­vait lancer cet appel à ne pas mourir pour le plaisir du bourreau.

Leyla Güven au 137è jour de sa grève de la faim
a envoyé un message audio à la radio Dengê Welat

Pour rap­pel, à ce jour, trois jeunes per­son­nes ont mis fin à leur vie pour “bris­er l’isole­ment d’Ö­calan” : Zülküf Gezen le 17 mars dans la prison de Tekir­dağ, Ayten Beçet, le 23 mars dans la prison de Gebze et Zehra Sağlam, le 23 mars, dans la prison d’Oltu à Erzurum.

Le même traite­ment pour les funérailles des trois jeunes a été appliqué par le régime turc. La police a con­fisqué les dépouilles, encer­clé le cimetière. Seuls quelques mem­bres de familles ont été alors autorisés à être présents pour l’inhumation.

Par ailleurs en Alle­magne, Uğur Şakar, griève­ment blessé après avoir ten­té le 20 févri­er dernier de s’im­mol­er, n’a pas survécu à ses blessures et a per­du la vie le 22 mars. Encore en Alle­magne, Ümit Acar, s’é­tait égale­ment immolé le 27 sep­tem­bre 2018, pour pro­test­er con­tre l’isole­ment d’Ö­calan, à l’oc­ca­sion de l’ar­rivée d’Erdoğan.

Le 25 mars, la con­fir­ma­tion à Mardin, d’un nou­veau sui­cide (Medya Çınar) a été faite. Medya Çınar, qui fig­u­rait par­mi les per­son­nes arrêtées lors du cou­vre-feu de Nusay­bin en 2015, attendait un juge­ment défini­tif, avec 42 autres per­son­nes. Lors de cinq audi­ences, dans les médias, Medya avait exprimé les tor­tures qu’elle avait subies.

kurdes sacrifice vie

Le message de Leyla Güven :

Le peu­ple a exprimé encore une fois “nous n’ac­cep­tons pas la vie sous isole­ment. L’isole­ment pra­tiqué pour le leader du Peu­ple Kurde est un isole­ment qui nous cible” .

Les dom­i­nants ont vu les mil­lions de per­son­nes qui sont descen­dues sur les places de Newroz. Je suis con­va­in­cue à cent pour cent, qu’ils sont en train de cal­culer com­ment ils vont s’en sortir.

Ce n’est pas nous qui sommes en dif­fi­culté, qui sont sourds, qui sont sans solu­tion. Ceux qui ne savent pas quel pas il  faut faire, sont l’AKP et le MHP. Parce que devant eux, il y a des élec­tions. Pour cette rai­son, ils sont sans solu­tion et ne savent pas ce qu’ils doivent faire.

Cama­rades, nous sommes entréEs dans une nou­velle phase. Il reste très peu pour un résul­tat. Je vois et je dis avec toute ma sincérité  :  for­mons un cer­cle autour des grévistes, un cer­cle d’e­spoir et de volon­té. Parce que la vic­toire est proche, nous allons réus­sir à cent pour cent.

Je souhaite que nos cama­rades qui pour­suiv­ent leur grève dans des geôles puis­sent men­er leur action jusqu’au bout, avec moral, ent­hou­si­asme et sérénité. Celles et ceux qui ne sont pas en grève de la faim doivent se réu­nir autour d’eux et d’elles.

Je me prosterne avec respect devant les actions de nos amiEs Zülküf, Ayten et Uğur, qui ont voulu bris­er le silence, avec un esprit de sac­ri­fice. Mais je voudrais exprimer ceci : chaque cama­rade qui pose ces actes emporte une par­tie de mon corps, de mon esprit et de mon cœur.

Nous mon­trons notre respect devant ces actes. Mais je souhaite exprimer que nous avons déjà une action qui se pour­suit. Nous sommes déjà en action et nous nous rap­pro­chons du résul­tat. Nous devons pren­dre nos places autour des grévistes. Nous ne devons pas faire de “nou­velles actions”.

Les actions de sac­ri­fice sont très pré­cieuses, on ne peut les inter­préter, mais ce type d’ac­tions ont été prise en con­sid­éra­tion égale­ment par le leader du Peu­ple Kurde  à plusieurs repris­es : “Vous devez met­tre devant vous, non pas la mort mais la vie”, “Vous devez élever votre lutte pour une vie digne”, “vous devez élever la lutte non pas en met­tant fin à votre vie, mais par tous autres moyens”.

AmiEs, pour que ces grèves de la faim qui ont trou­vé écho partout au monde, pour que cette action qui est une pre­mière dans l’his­toire puisse obtenir un résul­tat, nous devons réu­nir nos forces. C’est cela, notre objec­tif. Pour cette rai­son, je pour­su­is mon action jusqu’à ce jour, avec moral et enthousiasme.

Encore plus impor­tant, nous devons nous soutenir avec nos cama­rades dans les geôles. Nous avons besoin de nous ren­forcer et de nous encour­ager. Pour cela je fais des efforts pour vivre, pour pou­voir con­tin­uer la vie, pour bris­er l’isole­ment tous ensem­ble. Célébrons ce jour ensemble.

Et pour cette rai­son, je fais atten­tion à moi, à ma vie. Je vous demande de vous réu­nir autour des actions de grèves de la faim et de ne pas réalis­er d’ac­tion de sac­ri­fice.  Cela me rend faible. Quoi que je fasse, ils m’at­teignent affec­tive­ment et alour­dis­sent mon poids . Je ne pour­rais pas avancer de cette façon. J’e­spère que mes cama­rades se com­porteront ain­si et que nous réussirons.

Le com­bat mené par le mou­ve­ment kurde, qui vient de dis­lo­quer la réal­ité organ­isée de l’E­tat islamique, et qui pour­tant se voit lâché par la dite “com­mu­nauté inter­na­tionale”, nous con­cerne. Nous avons salué toutes et tous l’héroïsme de leur com­bat­tantEs, tombéEs con­tre les bar­bares de Daesh, et prin­ci­pale­ment pour défendre un pro­jet d’avenir. Nous avons toutes et tous suivi par procu­ra­tion l’en­gage­ment des volon­taires inter­na­tionaux, même en petit nom­bre, à leurs côtés. Du fond de nos mal­gré tout con­fort­a­bles Etats, dits démoc­ra­tiques, nous avons suivi la nais­sance d’un proces­sus poli­tique démoc­ra­tique au Roja­va, mis en péril aujour­d’hui dans le con­texte géopoli­tique de la région. Nous n’ig­norons pas que le dilemme kurde, face aux trahisons inter­na­tionales et aux men­aces du régime turc, sera de choisir la vie des Peu­ples du Nord Syrie, dans des négo­ci­a­tions biaisées…

Mais cela ne nous donne aucun droit de juger des actes de sui­cide pour une cause. Nous n’avons qu’une parole d’amiEs du Peu­ple kurde, qui a, nous sem­ble-t-il, tou­jours com­bat­tu les forces de la mort, pour faire naître le feu de la vie.


Image à la une : Ley­la Güven par Zehra Doğan

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