Mer­ci à Azad Ziya Eren, pour avoir con­fié à Kedis­tan ces poèmes inédits en français, traduits par Jacques Char­cos­set et lui-même. Poèmes illus­trés par une de ses créa­tions artistiques.

A l’heure où en Turquie l’habi­tude est plutôt à la phrase con­nue “Poète, vos papiers” qui en a con­duit plus d’unE der­rière des bar­reaux de prison ces derniers mois, nous nous per­me­t­tons de dédi­er égale­ment ces textes à un autre jour­nal­iste et poète Ned­im Tür­fent, répon­dant à notre manière à la cam­pagne du PEN inter­na­tion­al pour sa libération.

Infi­ni Mal Merité*

Les ter­res de l’âme som­brent dans les pro­fondeurs des racines du cœur

pas de récon­fort pour la souf­france du passé
pas de temps pour repass­er les plis du langage
pas une seule page ne peut effac­er le par­fum du cœur
naph­taline, pris en note au calepin des plaies et médicaments

comme un mou­choir nous avons plié notre langue mater­nelle exha­lant la naphtaline
atten­dant d’être écrits au calepin les migra­tions dans la poche intérieure de l’exil
des fleurs séchées dans les larmes
nous atten­dions de naître, à l’âge de ceux qui ne recon­nais­sent aucun interdit
le son des ailes du langage
est, sans aucun doute, plus claire­ment enten­du à l’aube de l’amour
l’extase de cils s’élançant les uns vers les autres
ne peut que rompre les anneaux du fer des langues sur le tronc du cyprès

tout ce que je dis jail­lit des migrations
privé de sens de souf­fle comme le déracin­e­ment d’un arbre
le cœur des ténèbres sent qu’il a droit au mal infini

ce cœur n’a même pas ce soir une bougie d’allumée.

*en français dans le texte

 

L’infini Tur­bu­lent *

Mort ; tache de nais­sance de notre âme
Qui s’étale au cours du temps

Je peux déjà me voir déchiré
avant que le nom du voy­age ne meurt
une page évanouie dans la mémoire du monde
con­stam­ment effacé, amenée à exis­ter sous les pelures de la gomme
et je n’existe même pas
Dans  l’ombre des gens et des choses

Je me réveille comme une chose pourvue de racines de glace
lais­sé couché sans avoir reçu d’invitation
Je ne peux pas aban­don­ner mon ombre
et une tête de lit faite de faucilles
sculp­tant des peurs pour en abor­der d’autres

nous con­tin­uons à sor­tir d’une mai­son où nous ne pou­vons rester sans pouss­er un soupir
soli­tude meublée de meubles nou­veaux, les précé­dents ne nous sont même pas connus
une mai­son dont les puits d’émeraude est acces­si­ble en fran­chissant cèdres et cyprès.

Esquisse alliages et eau forte
hublots d’observation des règles
mor­phine et somnambules
et dans la céré­monie d’euthanasie et de funérailles nocturnes
cerfs crucifiés
immo­biles et vivant au-delà du verre
comme des ban­nières faites d’yeux
le sang giclant comme des sabots d’argent

dans l’âme de cette tur­bu­lence infinie
brûle un feu de fête
et repose un cou­ple de morts aux pieds nus

*en français dans le texte

 

Emul­sion de l’Enfer*

En regar­dant Anselm Kiefer…

Ils pavent une nou­velle rue de la réal­ité avec un coeur réduit en cen­dres, ils sor­tent des livres non lus du lacis des briques, ils penchent des échelles sans usages sur le lacis, ils con­nais­sent la gueule des pier­res comme ils con­nais­sent des vis­ages non retournés comme une fenêtre peut con­naître la courbe de la branche, ils con­nais­sent les let­tres cramoisies des pavés de cen­dre, ils con­nais­sent les reven­deurs d’acide et les fos­soyeurs des bar­bares, leur témoignage est sus­pendu au champ de la mort comme un vête­ment à l’abandon, et décroché dans la camp, vête­ments cou­verts de giclures de sang, leur amour et leur douleur s’appartenant l’un l’autre, la nuit ne déserte pas les ombres de l’exécution…

L’espace donne un coup de cha­peau au virage, ramène à la rive la doc­trine la doc­trine du vide par la bouche bée, loin des pris­on­niers qui gri­ma­cent à la lumière du virage, ain­si toute forme de folie est attaché à la jambe de son pan­talon, aux poches intérieures des tabliers ensanglan­tées des bouch­ers, avec sur ses épaules un esclave-galérien bouf­fi et mélan­col­ique qui élève des oiseaux dans les espaces publics de villes loin­taines, qui a été fon­du dans des mers ouvertes, des mil­liers d’entre eux respirent sur ses épaules, la nuit ne déserte pas les ombres de l’exécution…

Nous enten­dons les ailes bat­tre dans l’abîme, nous tenons à la boucle d’une riv­ière, les lèvres de l’amour et de la mort dans la boucle d’une riv­ière, avec ses paumes et ses épaules qui ont vu le ciel, temps, les cen­dres du nomade les cen­dres chaudes et sanglantes de son vent, une jarre de sang dans un monde en rup­ture, il l’oublie au niveau de l’atlas cer­vi­cale du vent, l’esprit de cette let­tre con­tient plus de mer­cure, il n’oublie jamais, il n’oublie jamais, la soli­tude est tou­jours le vestibule de l’attente dans le ven­tre des hor­loges, la nuit ne déserte pas les ombres de l’exécution…

Quand il se met à boire lui-même la nuit, là où les pier­res et les champs d’opium, là où les os et la putré­fac­tion, là où l’état a bandé les yeux de panse­ments goudron­nés, là où sont cen­dres et ter­reau, là où des lam­beaux de cris et de totale soli­tude ont enflam­mé le ciel de leurs corps, ont enflam­mé le ciel de leurs esprits, ont enflam­més le ciel de leur res­pi­ra­tion, ils retrou­vent la voix des vies sac­ri­fiées aux poteaux d’exécution et la calme expan­sion du soleil du matin qui attend la calme expan­sion de la mort, dans les bois les reflets ombreux des exé­cu­tions et la calme expan­sion du soleil du matin qui attend la calme expan­sion de la mort, dans le bois les reflets ombreux des exé­cu­tions sur les plages du lende­main, l’impossible oubli ne déserte pas la mémoire…

*en français dans le texte

azad ziya eren


Image à la une : Détail de l’oeu­vre de Azad Ziya Eren

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