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Zehra Doğan a remercié par une lettre les artistes Ai Weiwei et Banksy qui lui ont offert leurs soutiens. Une correspondance, bien que difficile, avait été amorcée entre les deux célèbres artistes et Zehra, durant son incarcération, et certaines de ces lettres avaient été publiées par le PEN International, ou sur le compte Instagram de Banksy, et dans les médias.
Cette fois, la lettre adressée à Banksy restera confidentielle, car il jugera des moyens pour la communiquer, mais Zehra nous a envoyé celle qu’elle a fait parvenir à Ai Weiwei. En voici une traduction intégrale.
Cher Ai Weiwei,
Je te remercie pour le soutien que tu as montré depuis mon arrestation, et tout au long de mon emprisonnement.
Comme tu l’exprimes, le droit le plus fondamental est la liberté d’expression et d’identité. Mais, malheureusement, le fait de revendiquer la démocratie sur des terres qui, concernant les droits humains, sont les dernières de la classe, et où tout est fait pour dénaturer le monde et le transformer en un univers d’armes et de guerre, équivaut à la mort. Et, ce qui est singulier, celle et celui qui le revendique, est déclaréE traître à la Patrie, considéréE comme “terroriste”, et envoyéE tout droit en prison. Je t’écris tout cela, en ne sachant pas si je serai à nouveau envoyée en prison. Je ne parviens pas à deviner. Dans des pays qui n’appliquent pas leur propres lois, ce genre de questionnement est ordinaire. Car, le fait que vous soyez considéréE comme “terroriste”, ne se repose pas sur les lois, mais sur le degré d’égo des dirigeants.
Dans les terres où je vis, il y a un problème d’identité. Ici, nous habitons ces terres, Arméniens, Syriaques, ChaldéenNEs, Mhallamis, Lazes et d’autres peuples encore, ensemble, depuis des millénaires. Or, exprimer cela, et revendiquer de vivre sur ses propres terres, avec sa propre identité et sa langue, est présenté comme “désir de diviser le pays”. Pour cela, actuellement, des milliers de personnes sont dans des prisons. Des milliers d’enfants, malades et personnes âgées sont dans les prisons. Des politiques, artistes, défenseurEs de droits, journalistes, auteurEs sont dans les prisons. Aujourd’hui, une grève de la faim débutée à l’initiative de Leyla Güven [élue députée en prison] rejointe par des milliers de prisonnierEs se poursuit. Nous vivons encore une période où le corps devient outil de lutte. Des centaines de mes amiEs ont mis leur corps à l’épreuve, et je réitère leur revendication.
A l’intérieur, il est question d’une forte persécution. Par ailleurs, les oppressions à l’encontre des artistes continuent. Ils confisquent les dessins, les cahiers de poésies, les brouillons de roman des auteurEs. Cela se passe actuellement. De nombreux artistes subissent ces oppressions. Malgré tout, nous avons pu transformer la prison en un atelier d’art. Et nous réussissons cela avec le soutien de plusieurs personnes, comme vous, Ai Weiwei. Cela peut se réaliser grâce à la lutte collective.
Cher Ai Weiwei, le pays où tu es né, est aussi un pays oppresseur du point de vue des droits humains. Pour cela, je suis convaincue que tu comprends très bien ce je que je voudrais exprimer. Toi non plus, tu n’as jamais baissé les bras. Si, dans un endroit, la persécution existe, il existe aussi, et toujours, une dynamique contre elle. Et la plus belle de ces dynamiques est l’art. J’essaie de respirer avec cette conviction.
Je te remercie encore pour ton soutien.
Zehra Doğan
14 mars 2019
Zehra tient parole et ne se tait pas. La promesse qu’elle a faite à ses co-détenues de faire connaître leur sort, et celui des enfants, n’est pourtant pas exempte de dangers pour elle même, comme elle l’exprime dans cette lettre.
La vigilance et la solidarité doivent donc rester pleines et entières.
Pour rappel, une quarantaine d’oeuvres originales de Zehra Doğan, dont un bon nombre de prison, sont visibles jusqu’à la fin mars en France, à l’Opéra de Rennes.
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