Nous pub­lions ici la let­tre ouverte au Prési­dent de Turquie, de Kıvıl­cım Arat, mil­i­tante trans, avec l’e­sprit de la sol­i­dar­ité, et salu­ons Eren Keskin, avec respect.


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De la plume d’une trans 
Lettre ouverte au Président de la République
et hommage à Eren Keskin

Le témoignage

Alors que le mau­dit proces­sus de guerre dans laque­lle nous sommes entrés après l’at­ten­tat de Suruç éparpil­lait des dizaines de mil­liers de familles, la“persécution” avait réus­si à pren­dre sa place dans nos vies, dans les qua­tre coins du pays, des uni­ver­sités aux usines, des vil­lages aux métrop­o­les. Dans ce cli­mat où l’in­tim­i­da­tion, la déla­tion, et la trahi­son vadrouil­laient ; la main mise, le men­songe et le pil­lage deve­naient ordi­naires, là où la garde-à-vue, l’ar­resta­tion se sys­té­ma­ti­saient ; les images de tor­tures et d’exé­cu­tion étaient servies à la presse avec fierté, aucunE de nous n’é­tions désor­mais en sécurité.

Chaque matin d’une journée qui com­mence, se réveiller dans ce cli­mat, ne pas pou­voir pro­jeter quoi que ce soit, dévaste l’in­tégrité de chaque citoyenNe, et des blessures dif­fi­ciles a panser s’ou­vrent dans la mémoire sociale. Des blessures sem­blables à celles des Améni­enNes, peu­ple his­torique de l’Ana­tolie, dont les cica­tri­ces ont été dis­simulées par les gangs d’İtt­ih­at1

Cette His­toire obscure, ressen­tie aujour­d’hui comme un poids, par chaque per­son­ne dotée de rai­son et de con­science, a pour­suivi son évo­lu­tion, pen­dant 100 ans, en reni­ant et détru­isant, pour finale­ment, met­tre au monde un héri­ti­er qui lui ressem­ble, l’Is­lam poli­tique. La rai­son de la répéti­tion fut juste­ment l’ab­sence cen­te­naire d’une reconnaissance.

Ce goût aigre né il y a un siè­cle, sur la langue et dans l’e­sprit arménien, est aujour­d’hui sur nos langues, dans nos esprits. Cette boule de plomb âgée de cent ans, est aujour­d’hui dans la gorge de cha­cunE, comme si elle ne devait jamais disparaître.

L’aventure

Je peux dire que l’aven­ture de l’écri­t­ure de cette let­tre, a com­mencé au réveil, un matin, où ce goût aigre se fai­sait ressen­tir. Le jour­nal Özgür Gün­dem était perqui­si­tion­né, son per­son­nel était mis en garde-à-vue. Sur les car­rés d’im­ages tombés dans la presse, des jour­nal­istes menot­tés, épuisés, por­tant des vête­ments déchirés, se fai­saient accom­pa­g­n­er mon­tant dans les véhicules des équipes spé­ciales. En regar­dant des images, la colère, la tristesse et le dés­espoir fusant de mon esprit, se sont réu­nis et ont enlacé mon corps dans une sen­sa­tion inde­scriptible. Le domi­cile d’Eren Keskin, alors direc­trice générale d’édi­tion, perqui­si­tion­né par des policiers spé­ci­aux, des snipers, lour­de­ment armés. Vous auriez cru que cette mai­son perqui­si­tion­née n’ap­parte­nait pas à une avo­cate, une mem­bre du bar­reau, dont toute la vie s’est passée et con­tin­ue à se pass­er dans des palais de jus­tice, à une per­son­ne respec­tée et aimée par des dizaines de mil­liers. Mais serait-ce une mai­son de cel­lule des gangs de Daech ? Encore heureux, Eren Keskin n’é­tait pas chez-elle.

Mal­gré le fait que l’in­for­ma­tion sur le fait qu’elle devrait se présen­ter au palais de jus­tice de Çağlayan pour y dépos­er son témoignage ne soit pas com­mu­niquée, et qu’au­cune pré­pa­ra­tion préal­able n’ait été faite, nous avions pu nous rassem­bler. Tout le monde était là. Des par­lemen­taires aux défenseurEs des droits, des Mères de la Paix aux juristes, des représen­tantEs des organ­i­sa­tions de société civile, par­tis poli­tiques, asso­ci­a­tions LGBTI+, aux objecteurs et objec­tri­ces de con­science… toutes les organ­i­sa­tions et per­son­nes qui avaient enten­du la nou­velle s’é­taient retrou­vées devant le palais de jus­tice. Après les procé­dures de dépo­si­tion d’Eren Keskin, notre vénérable pro­cureur qui ne recon­nait ni droits, ni jus­tice, a présen­té sa demande d’ar­resta­tion au tri­bunal et ain­si jeté la balle aux juges. Le couloir, qui en principe parait court, mais qui là, à nos yeux de per­son­nes aimantes se ral­longeait à l’in­fi­ni, réson­nait de slo­gans comme “coude à coude con­tre le fas­cisme !”, “Eren Keskin n’est pas seule !”. Les youy­ous se trans­for­maient dans le cœur de cha­cunE d’en­tre nous, en une perce-neige annonçant le print­emps. Nous atten­dions tous et toutes, la nou­velle qui sor­ti­rait de la salle d’audience.

Finale­ment… La déci­sion tom­ba. Eren allait être jugée en lib­erté provisoire !

La raison de la lettre

Aus­sitôt après l’opéra­tion poli­tique ciblant Özgür Gün­dem, les procès ont débuté. C’est à cette époque là, que j’ai voulu rédi­ger un texte pour Eren Keskin, en tant qu’une de ses clientEs. Même si je n’ai pas de dif­fi­culté pour exprimer à l’o­ral ou à l’écrit ce que j’ai sur le cœur, je n’ai pas pu le faire. Je n’ai pas pu le faire, parce que ni mon esprit ne voulait com­pos­er une seule phrase, ni ma plus l’écrire, ni ma langue porter les paroles à l’é­coute. Pour cette rai­son, un brouil­lon qui pour­rait don­ner vie à cinq textes dif­férents, a patien­té pen­dant des mois sur le côté gauche mon écran.

Le brouil­lon que j’avais pré­paré était conçu sous le titre “Let­tre ouverte au Prési­dent de la République, de la part d’une citoyenne non accept­able”. Penser, dans un pays où la lib­erté de penser et de s’ex­primer n’ex­iste pas, et ne se con­tentant pas de pen­sées, mais les les couchant sur papi­er, est une affaire dan­gereuse. Car, vous pou­vez attir­er le cour­roux du sou­verain et béné­fici­er de sa vio­lence. Si ce était que cela… Vous pou­vez être trans­féréE vite fait, de la prison de mon pays entouré de mers sur trois côtés et le qua­trième encer­clé de chars, vers une cel­lule à qua­tre murs en béton. Dans ces réal­ités, j’ai partagé mon brouil­lon seulE avec quelques amiEs proches. Au point de vue sécu­rité, leur réac­tion fut très vive. Pour qu’un texte des­tiné au pub­lic provoque une telle réac­tion, il devrait nor­male­ment avoir un con­tenu sex­iste, raciste, belliqueux, faisant l’apolo­gie du crime et de crim­inels… Pour­tant, dans ce brouil­lon, je par­lais de la faim ressen­tie pour des notions fon­da­men­tales, comme la lib­erté, l’é­gal­ité, la jus­tice, les droits, la lib­erté d’opin­ion et d’ex­pres­sion. Et je trans­met­tais mes inquié­tudes à une per­son­ne avec laque­lle je vivais dans le même pays, et à laque­lle j’é­tais liée par des liens de citoyen­neté… le Prési­dent de la République.

Pen­dant que mon texte, qui ne con­te­nait aucun élé­ment de crime, attendait dans un coin, le désir de partager la réal­ité pro­duite par mon esprit m’a mise à nou­veau en action. Cette fois, en prenant en compte les inquié­tudes de mes amiEs, j’ai com­mencé à feuil­leter toutes les vidéos de notre cher Reis, de l’époque où il était encore maire, par­ti­c­ulière­ment de la péri­ode où il était incar­céré. Mon objec­tif était de d’af­fich­er tout ce qui a été imposé, et fait subir, à ma per­son­ne, et à des mil­lions de citoyenNes, en me bas­ant sur ces vidéos.

Ne dis­ait-on pas dans ces ter­res, “la parole sor­tie de la bouche, devient attes­ta­tion” ? N’avions nous pas des expres­sions assim­ilées au fait d’être homme, comme “être un homme de parole” ?  Mais cette fic­tion était un rêve imma­ture. Les pra­tiques actuelles, le règne de l’hypocrisie, le sys­tème de jus­tice, et les prix payés par les amiEs partageant mes rêves à la recherche de droits, étaient toute autre chose. Et tout ce que je con­sid­érais pré­cau­tions de sécu­rités était foutaises.

Elles l’é­taient, parce que ce que nous avions en face, était un pou­voir qui était capa­ble de dire blanc pour ce qu’il con­sid­érait noir hier, de renier le soir, ce qu’il avait déclaré le matin, et qui voy­ait la moitié du pays comme ter­ror­istes, et l’autre moitié comme un trou­peau de mou­ton à mener.

L’Atlas des contradictions, ou l’orchestre des contraires

La Turquie est un tel pays, qu’elle a la puis­sance de faire coex­is­ter des con­tra­dic­tions qui seraient impos­si­bles à tenir côte à côte. S’il faut don­ner quelques petits exem­ples… La plus forte des thès­es mis­es en avant pour argu­menter le fait que l’i­den­tité trans­sex­uelle doit être sous oppres­sion, est la reli­gion. Les trans vivent dans un très grand pêché, et vendent leur âme au dia­ble et leur corps aux hommes. Comme Allah a crée l’être humain, de la façon la plus par­faite, les opéra­tions chirur­gi­cales effec­tuées par soucis esthé­tiques sont pêchés. Ces-là con­sis­tent à ne pas se con­tenter de la créa­tion du dieu, et à se révolter con­tre lui. Si vous descen­dez dans la rue et posez la ques­tion, c’est la réponse que vous obtien­drez d’unE musul­manE moyenNE. C’est à dire que ceTTE musul­manE moyenNE, déclarant la per­son­ne trans comme pêcheur ou pêcher­esse, sa thèse fon­da­men­tale sera la reli­gion. Le ou la trans, est dans le pêch­er pour ne pas s’être con­tentéE de ce que le dieu a crée, et qu’il inter­vient sur cette création.

Lorsque ceTTE citoyenNE moyenNe, se rend à l’urne pour vot­er, ce qui défini­ra la couleur de son bul­letin est encore la reli­gion. C’est à dire, la rela­tion du par­ti pour lequel ille votera, avec la reli­gion. Voilà la con­tra­dic­tion. De nom­breux électeurs et élec­tri­ces qui votent pour l’AKP, déclar­ent les trans dans le pêché, mais ne voient, et ne déclar­ent rien sur les femmes des lead­ers poli­tiques qui sont botoxées de partout. Les trans se rebel­lent con­tre le dieu, mais les femmes des poli­tiques, même si elles ont des pro­thès­es mam­maires, il ne s’ag­it pas de révolte, et les bul­letins coulent dans l’urne.

Une autre ? Lorsque le sou­verain, lors de sa vis­ite en Alle­magne en 2010 prononce la phrase “l’as­sim­i­la­tion est un crime con­tre l’hu­man­ité“2 et ren­force ses paroles avec la pré­ci­sion que cette con­sid­éra­tion n’est pas la sienne, mais provient de la Sci­ence. Cela recueille des appré­ci­a­tions. Mais unE Kurde, peut être lynchéE ou pass­er sa vie dans une cel­lule, pour avoir par­lé sa langue, sur ses ter­res. Et ce avec l’ap­pré­ci­a­tion, la con­fir­ma­tion des mass­es, ou sous leur silence…

Lorsque le sujet est l’Is­lam poli­tique, et le type d’être humain qu’il crée, il est qua­si impos­si­ble de ne pas ren­con­tr­er ce genre de con­tra­dic­tions. Ceux qui ont dirigé le pays hier avec Fetul­lah Gülen [aujour­d’hui déclaré enne­mi], peu­vent empris­on­ner des per­son­nes qui ont passé leur vie à com­bat­tre Gülen, ou autres organ­i­sa­tions sem­blables,  crim­i­nalisent aujour­d’hui les insti­tu­tions, asso­ci­a­tions en leur inven­tant des liens invraisem­blables avec Gülen, avec une créa­tiv­ité qui ne laisse pas désir­er des scé­nar­ios hol­ly­woo­d­i­ens. Le mag­nifique scé­nario pub­lié par le tor­chon inti­t­ulé Takvim, qui explique le lien des asso­ci­a­tions LGBTI+ avec Gülen, est un des meilleurs exemples.

De la pensée à la parole, de la parole à l’acte :
Lettre ouverte au Président de la République

Cher Prési­dent de la République,

La rédac­tion de cette let­tre cor­re­spond à un proces­sus un peu douloureux et com­pliqué. Même si elle a tra­ver­sé des embûch­es, l’idée d’adress­er une let­tre au nou­veau Prési­dent de la nou­velle Turquie, aboutit. Chaque fois que j’ai par­lé à quelqu’unE que j’al­lais écrire une let­tre, j’ai ren­con­tré des regards inqui­ets. Mes amiEs n’ont pas arrêté de m’ex­pli­quer en me démon­trant par des exem­ples, que cet acte attir­erait l’at­ten­tion sur moi, et qu’un enchaîne­ment se ter­mi­nant par une arresta­tion serait bâti.

Mon­sieur le Prési­dent, je voudrais avant tout vous par­ler de qui je suis. Bien que vos unités de ren­seigne­ments puis­sent vous dessin­er mon pro­fil,  je ne pense pas que vous pou­vez vous y fier. Pour cette rai­son, je pense qu’il serait impor­tant que vous m’é­coutiez par­ler de moi même, pour que je puisse me faire com­pren­dre. Mon prénom est Kıvıl­cım. Même si pour moi cela n’a pas une grande impor­tance, je pos­sède un qual­i­fi­catif qui dépasse mon prénom : trans femme.

Mon aven­ture de vie de 31 ans, (dont plus de moitié s’est déroulée sous votre direc­tion), s’est passée à lut­ter con­tre la cul­ture de vio­lence, qui est le béné­fice du qual­i­fi­catif qui me définit, comme mar­qué au fer rouge.

Si je peux me per­me­t­tre de détailler par quelques petits exemples :

Au 15 juil­let [2016], pen­dant que vous rem­plissiez les places, avec l’en­t­hou­si­asme de débuter une péri­ode dis­tin­guée, que vous appelez démoc­ra­tie, moi, votre sujet, dans mon quarti­er décoré des cita­tions de Sedat Peker, j’ai per­du mon espace de vie, suite aux attaques d’un groupe qui vous suivait.

Pen­dant que vous mon­triez la fierté avec les pris­ons qui ne désem­plis­sent pas, et que vous ouvri­iez des appels d’of­fre pour en con­stru­ire de nou­velles, moi, votre sujet, ai ren­con­tré l’in­dif­férence du pro­cureur que j’ai sol­lic­ité pour qu’il demande le compte de ma gorge coupée à coup de bis­touri, “dans des péri­odes où la con­ti­nu­ité de l’E­tat est en ques­tion, il n’y aura pas de temps pour ce genre d’af­faires”, m’a-t-il dit.

Pen­dant que vous répondiez aux cri­tiques de médias soci­aux à votre pro­pos, par des perqui­si­tions de nuit, et jetiez les pro­prié­taires des cri­tiques entre qua­tre murs, moi, votre sujet, ai observé qu’il a man­qué juste l’at­tri­bu­tion d’une médaille au pro­prié­taire des 6 balles qui ont quit­té le fusil à pompe et plu sur moi.

Pen­dant que vous déclar­iez que vous adop­tiez comme principe la sourate Al-Ma’i­da*, moi, votre sujet, étais en tête à tête avec les cadavres de mes amies, vio­lées et mis­es en morceaux. Et encore, pen­dant que vous par­liez de la jus­tice du dieu, moi, je fus témoin du fait que votre jus­tice récom­pen­sait nos assassins.

Al-Ma’ida :  “La récompense de ceux qui font la guerre contre Dieu et Son messager, et qui s’efforcent de semer la corruption sur la terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leurs jambes opposées, ou qu’ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l’ignominie ici-bas ; et dans l’au-delà, il y aura pour eux un énorme châtiment.”

Cher Prési­dent,

Lorsqu’il est ques­tion de per­sé­cu­tion, les exem­ples “Vous et moi votre sujet”, peu­vent se ral­longer. Je voudrais vous par­ler plutôt d’une belle per­son­ne qui préoc­cupe mon cœur et que vous con­nais­sez très bien, vous aus­si : chère Eren Keskin.

En tant que trans, notre ren­con­tre avec Eren Keskin remonte aux années 90. Ces années que vous-même et votre mou­ve­ment avez cri­tiquées durant toute la péri­ode de paix, et même par­fois en pleu­rant, indiquent pour les trans aus­si, une péri­ode dif­fi­cile, une His­toire lourde d’héritage.

On avait ten­té d’empaler les trans, sur l’or­dre de Süley­man Ulu­soy, alias “Süley­man le tuyau”, chef des patrouilles de Bey­oğlu, déclaré par le pou­voir de l’époque “patri­ote”, mais qui est inscrit dans l’His­toire par les crimes con­tre l’hu­man­ité qu’il a com­mis. Epuisées, elles son­nent à la porte de l’I­HD [Asso­ci­a­tion des droits humains, dont Eren Keskin est prési­dente]. Quelques avo­catEs sou­ti­en­nent alors les trans aux­quelles tout le monde reste indifférent.

Une d’en­tre eux-elles, jeune et belle, prend par la main toutes ces vic­times de tor­tures, et se plante en face de Süley­man le tuyau. Pour la pra­tique de tor­ture d’empalement, Süley­man lui rétorque “vous défend­ez les ter­ror­istes, bon, on a com­pris ça, mais pourquoi vous défend­ez donc ceux-là ? Ceux ‑là ne sont même pas des humains”.

Savez-vous qui est cette avocate ?

Eren Keskin…

Oui, Mon­sieur le Président !

Elle est un juriste, une défenseure des droits, une com­pagne de route, une amie, qui explique à tout le monde l’im­por­tance d’être sol­idaire avec les trans que vous maud­is­sez dans le sys­tème que vous avez crée, qui résiste avec nous, des garde-à-vues, aux com­mis­sari­ats, des salles de tor­tures aux salles d’au­di­ence, des hôpi­taux légaux jusqu’aux ter­rains de résis­tance où nous subis­sons la vio­lence de vos forces de l’or­dre, et qui fait tout cela sans aucune attente finan­cière. Elle est celle qui nous a appris et fait adopter le principe “L’hu­main est humain, seule­ment avec ses droits. Les droits humains sont pour tout le monde”.

Oui, Mon­sieur le Président !

Le sys­tème que vous représen­tez, pour nous punir, nous les trans, utilise la famille, la plus petite unité de la société, comme un moyen d’op­pres­sion, et nous con­damne à un isole­ment, en brisant nos liens famil­iales. Toutes les con­nais­sances que nous avons acquis­es, nos com­pé­tences per­son­nelles, nos rela­tions sociales, nos liens famil­i­aux, et même nos diplômes qui sont le fruit des dizaines d’an­nées d’é­tudes, nous sont con­fisqués. C’est pour cela que nous sommes des êtres humains invis­i­bles. Nous sor­tons la nuit. Lorsque vous, fatigués des bien­faits du jour et du soleil, quit­tez l’ob­scu­rité inquié­tante, et vous retirez dans vos apparte­ments famil­i­aux, Mon­sieur le Prési­dent… Nous les trans, dans cette vie qu’on nous donne, nous con­sid­érons le chien, le chat, l’oiseau, l’in­secte, comme famille. La plu­part d’en­tre nous les con­sid­ère comme enfants. C’est pour cela que nos rela­tions sont tou­jours bonnes avec les espèces autres que l’hu­main. Nous avons cer­tains liens aux­quels nous don­nons beau­coup d’im­por­tance. Ces liens ne se con­stru­isent pas en venant de l’utérus d’une même mère, ou en provenant des ovules fécondées par le sperme d’un même père. Et ces liens ne se croisent pas spé­ciale­ment par le sang d’une généra­tion à l’autre. Parce qu’on ne peut pas choisir la soeur, le frère et les parents.

Voilà, Mon­sieur le Prési­dent, Eren Keskin, représente pour nous les trans, un tel lien.

Elle n’est pas une con­nais­seuse de Droit qui défend ses clientEs, elle est amie, et encore grande sœur. Quand il faut, elle est voix pour le cri que nous lançons con­tre la vio­lence que vous exercez. Elle est une des veines vitales qui irriguent notre résis­tance. Elle est la main qui se tend, vers celles et ceux, qui comme moi, per­dent la force à chaque dilemme, ou qui ne trou­vent pas la force pour résis­ter à votre per­sé­cu­tion, et qui dérivent vers le néant. Elle est notre rai­son de survie.

Main­tenant, Mon­sieur le Prési­dent, le sys­tème de jus­tice que vous avez crée, tente de taire cette voix pré­cieuse, de la met­tre au car­reau, et nous laiss­er sans soeur, sans amie, sans com­pagne de route, sans avo­cate. Le silence est comme une spi­rale. Une pen­sée con­va­in­cue d’être minori­taire ne s’ex­prime pas, la spi­rale s’élar­git jusqu’au jour où un fou se mon­tre et exprime cette pen­sée. Ain­si, se forme l’ét­in­celle qui trans­forme la spi­rale silen­cieuse en un cri. Eren Keskin est cette étin­celle.

Oui, Mon­sieur le Prési­dent, il est pos­si­ble qu’avec mon iden­tité et mes pen­sées, qui tour­nent dans mon esprit, j’ai éveil­lé en vous, une impres­sion néga­tive, comme c’est sou­vent le cas dans la société actuelle, mais pensez y, je par­le d’une femme qui a pu touch­er le cœur d’une per­son­ne si dis­crim­inée et non accept­able, et je par­le d’une oppres­sion qui la cible. En plus, pen­dant que des têtes touchent le sol devant vous, en proster­na­tion, je me mets en face de vous, avec une con­science qui pense et pro­duit sans cesse.

J’ai de l’e­spoir. Mais cet espoir exis­tant n’est pas la con­vic­tion que vous vous ren­driez compte de cer­taines choses, et  les corrigiez.

Savez-vous en quoi j’ai de l’e­spoir Mon­sieur le Président ?

Si vous ne le savez pas, je vais vous le dire.

J’ai espoir dans le bureau d’Eren Keskin.

Si, une mère de Hakkari qui a per­du son enfant, un étu­di­ant dont on a con­fisqué le droit d’é­tudes, une femme vio­len­tée par son mari, la vieille tra­vailleuse du sexe blessée de deux coups de couteau, le non musul­man dont le tem­ple a été pil­lé, et une trans virée de son quarti­er… peu­vent se retrou­ver dans le même bureau, cela veut dire qu’il y a encore de l’e­spoir. Cela veut dire que l’e­spoir est encore debout, tout droit. Cela veut dire qu’une vie ensem­ble n’est pas une utopie.

Mon­sieur Erdoğan, le Prési­dent de l’AKP, il est ques­tion d’une juriste dont le trône se trou­ve dans le palais du coeur des oppriméEs.  La rela­tion dialec­tique entre l’op­priméE et sa malé­dic­tion, et une réal­ité sci­en­tifique, comme vous aimez l’u­tilis­er de temps à autre pour  ren­forcer vos pro­pos. Allez, renon­cez à vous occu­per de notre Eren qui n’a com­mis aucune faute et à qui les oppriméEs don­nent une valeur com­mune. La réal­ité du présent peut être défor­mée mais le temps l’ex­primera et l’His­toire l’écrira tou­jours. Je vous dis au revoir avec une phrase pronon­cée par des dizaines de mil­liers de per­son­nes et je souhaite de tout cœur que vous attein­drez ce qui est juste.

Nous sommes les eye-lin­er d’Eren !*

* Référence au slogan des kémalistes “Nous sommes les soldats de Mustafa Kemal”.

Kıvıl­cım Arat, la non acceptable.

*

Dernier propos

Cette let­tre est un cri lancé dans l’ob­scu­rité des temps, et un appel hon­or­able à des mil­lions de per­son­nes qui sen­tent le couteau sur la peau. D’un côté les pages de déla­tion, de l’in­tim­i­da­tion, et même de la honte sont rem­plies, de l’autre coté, des aven­turi­erEs pétris­sent la pâte de vivre ensem­ble. Soit nous dis­paraitrons tous ensem­ble, soit nous accueillerons des lende­mains lumineux en tant que citoyenNEs libres, en défen­dant la lib­erté, la jus­tice et la sou­veraineté du Droit, face aux Sul­tans Cré­sus. Ils sont une poignée, nous sommes des mil­lions. Et il est large­ment le temps de rap­pel­er cela à celles et ceux qui l’ont oublié. Alors rap­pelons les vers de Bertolt Brecht :

La jus­tice est le pain du peuple…
Aus­si indis­pens­able que le pain quotidien
Et comme le pain de tous les jours
Le pain de la jus­tice c’est le peu­ple qui doit le cuire

Le pain du peu­ple n’est pas une utopie, et il n’est pas loin. Regardez les pan­neaux au bord de la route qui assou­vi­ra notre faim de jus­tice. Nous ne sommes pas seulEs ! Et au com­mence­ment de cette route, des mil­liers de Eren nous atten­dent. Avec sur leurs mains, les traces de la pâte, encore fraîche !

Pour plus d’infos sur Eren Keskin suivez ce lien


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