Füsun Üstel, historienne francophone, qui fut professeure à l’Université de Galatasaray à Istanbul, aujourd’hui en retraite, et signataire de l’appel “Universitaires pour la paix” avait été condamnée en avril 2018, pour “soutien à une organisation terroriste”, à un an et trois mois de prison, en même temps que Veli Polat. La sentence vient d’être confirmée en appel le 4 mars 2019 dernier.
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La peine de Füsun Üstel n’a pas été remise à plus tard au motif qu’elle n’a pas demandé l’ajournement de l’annonce du verdict et qu’elle n’a pas fait de “déclaration de pénitence”. Une requête peut être déposée à la Cour d’appel. Quant à la peine de prison imposée à l’Assoc. Dr. Polat, sa peine a été différée.
Toujours le 4 mars dernier, c’est à dire, plus de trois ans après la publication de l’appel, Nüket Esen, de l’Université du Bosphore, se présentait à sa première audience au Tribunal pénal de grande instance. En présentant sa défense, Nüket Esen a rejeté les accusations et la Cour a reporté la prochaine audience au 28 juin.
L’audience de Yasemin Gülsüm Acar a été également reportée, en raison de l’excuse de son avocat. La prochaine audience est pour le 12 avril prochain.
180 universitaires toujours en procès
Füsun Üstel et Veli Polat ne sont pas les seulEs universitaires trainéEs devant la justice, pour avoir “demandé la paix”… Les 1128 signataires de l’appel lancé le 5 janvier 2016, ont été insultéEs, intimidéEs, menacéEs, arrêtéEs… Ils-elles furent des centaines à être licenciéEs par des décrets en valeur de droit, promulgués sous état d’urgence. Ces femmes et hommes qui constituent la matière grise de la Turquie sont poursuiviEs, se retrouvent devant les tribunaux, et une partie d’entre elles-eux se sont de fait aujourd’hui exiléEs à l’étranger.
Un court historique
Le 10 mars 2016, Esra Mungan, Muzaffer Kaya, Kıvanç Ersoy et Meral Camcı avaient lu le communiqué concernant l’appel à la paix publié le 5 janvier 2016, lors d’une conférence de presse tenue au nom du groupe des universitaires pour la paix à Istanbul et relatant les faits nouveaux survenus depuis la première communication de la déclaration au public.
Trois de ces quatre universitaires ayant pris parole à la conférence de presse ont été arrêtés le 15 mars 2016 pour “propagande terroriste” et la dernière, Meral Camcı, qui était à l’étranger à l’époque, fut arrêtée le 31 mars, à son retour en Turquie. Les quatre universitaires ont été relâchés le 22 avril 2016 lors de leur première audience. Le procureur avait alors modifié les accusations portées contre les universitaires, avec des crimes régis par l’article 301 du code pénal turc : “insulte à la Turquie, à la nation turque ou aux Institutions gouvernementales turques” et avait demandé au ministère de la Justice l’autorisation de tenir le procès en vertu du nouvel article.
Un autre acte d’accusation a été préparé en octobre 2017 concernant au moins 148 universitaires ayant signé la déclaration. Les universitaires ont été accusés de “propagande pour organisations terroristes” au titre de l’article 7/2 de la loi antiterroriste turque (n ° 3713) dans l’acte d’accusation préparé par le procureur İsmet Bozkurt.
Les audiences à l’encontre des universitaires signataires avaient commencé le 5 décembre 2017. Le 4 avril 2018, 180 personnes connaissaient leur première audience, 30 d’entre elles avaient eu leur deuxième audience et un universitaire avait la troisième. Cinq universitaires ont été condamnés à un an et trois mois de prison et les peines ont été suspendues.
De nombreux soutien se sont organisés dès le départ autour des universitaires.
Les étudiants ont réagi tout de suite… (article du sendika.org, en turc), 2000 juristes signent un texte et soutiennent les universitaires (texte et signataires, en turc), les écrivains apportent leur soutien, publient un texte et signent “écrivains pour la Paix”, “Les photographes pour la paix” disent “Nous voulons être témoins de la paix !” (en turc). Plus de 50 maisons d’édition, ont annoncé d’une voix unanime qu’elles ne seront pas non plus “complice de ce crime”… Les cinéastes étaient plus de 400 à déclarer leur solidarité. Les féministes pour la paix appellent à la signature avec leur pétition (en turc). Et de nombreuses organisations de société civile progressistes et plateformes de lutte ont également rejoint “la horde de brouillons d’intellectuel, ignares et obscurs” comme dit Erdoğan, criminalisant les intellectuelLes.
La solidarité fut transnationale, plusieurs appels et pétitions ont été lancés pour soutenir les universitaires. Leurs consœurs et confrères exiléEs se sont également organiséEs dans les pays où ils-elles se trouvent et fondé le “Comité International des Universitaires”.
La Conférence des Présidents d’Université française (CPU) étant informée de la situation de Füsun Üstel, a exprimé sa totale réprobation contre toute condamnation pour la simple expression d’une opinion. Elle demande par un communiqué intitulé “La CPU solidaire des universitaires turcs poursuivis pour des faits d’opinion” à la communauté universitaire européenne de faire pression sur les autorités de Turquie pour arrêter ce type de persécutions pour fait d’opinion. Et elle affirme sa pleine solidarité à Füsun Üstel et demande instamment que sa condamnation ne soit pas exécutée.
Ce pan des “purges” d’opposantEs dans l’enseignement s’accompagne d’une prise en main des Universités et est le prélude à exode de jeunes qui refuseront ces mises au pas. Le mélange des genres entre purges et condamnation d’universitaires, et répression contre l’aile güleniste, alliée d’hier, doit être également dénoncé. Si les deux sont victimes du régime, les premiers luttaient pour la paix et un avenir ouvert pour la Turquie. C’est là une grande différence.
Au sein des Etats européens, la tâche d’accueil est grande, et en partie réalisée. Reste à s’assurer que les dossiers de réfugiés ne se perdent dans les dédales de procédure, et que les Chancelleries soient en permanence instruites de cette répression qui doit cesser.