Meral Zin Çiçek est co-présidente des relations extérieures du mouvement des femmes kurdes. A la veille du 8 mars, elle répond à nos questions sur les perspectives du mouvement des femmes et ses attentes vis-à-vis du mouvement de solidarité internationale.
L’interview a été légèrement modifiée pour en faciliter la lecture, sans altérer les idées de l’interviewée.
- Quel type de solidarité attend le mouvement des femmes kurdes des femmes autour du monde ?
Dans le monde entier les femmes du monde vivent une époque historique, car aujourd’hui, les conditions et les besoins vont leur permettre d’accomplir la libération des femmes au XXIe siècle. Dans son discours du 08 mars 1998, notre leader Abdullah Öcalan a dit que le 19ème siècle a été le siècle des partis bourgeois, le 20ème siècle a été celui des partis ouvriers et que le 21ème siècle allait être celui des partis plaçant la libération des femmes en leur centre. Nous pouvons voir aujourd’hui cette réalité devenir de plus en plus claire. La libération des femmes détermine la libération de toute la société et de toutes les parties de la vie. La contradiction entre les femmes et le système au pouvoir ou le système capitaliste patriarcal s’accentue, entraînant une résistance accrue où les femmes élèvent plus haut leur voix contre le système.
On observe cela également au centre du monde capitaliste. Par exemple, cette année en Europe, dans de nombreux pays, les femmes font une grève générale. C’est un développement très important si vous le comparez à la situation des femmes européennes il y a quelques années. Dans des endroits comme les États-Unis, souvent considérés comme le centre du capitalisme, des millions de femmes élèvent la voix contre Trump, affirmant qu’il n’est pas leur représentant. Les femmes noires s’organisent. C’est donc un fait que la lutte des femmes pour l’égalité est en train de monter dans le monde entier.
Mais le principal problème est que nous devons transformer ce potentiel important en une forme de lutte organisée. Des millions de femmes à travers le monde se battent pour leur libération contre le patriarcat, le sexisme, le capitalisme, l’exploitation et l’oppression sous des formes variées, mais ce n’est pas très bien organisé. Nous dirions que c’est le problème principal. Nous avons besoin de mécanismes commun, de développer des stratégies communes, des objectifs communs, des tactiques communes, également de nous rencontrer lors d’actions. Nous devons développer un nouveau type de culture politique des femmes. Et aussi une nouvelle compréhension de la sororité. Ainsi on peut parler de solidarité.
Nous pensons également qu’il est nécessaire de développer davantage cette notion et ce que nous entendons par celle-ci. On la voit souvent dans le contexte de la lutte de classe, de façon très marxiste-léniniste, comme la solidarité internationale ou, par exemple, l’unité des prolétaires du monde entier, pour la sororité et la fraternité de classe. Cette solidarité avait pour but une lutte commune. Mais dans la pratique, il n’en a pas été ainsi. Une des parties estime qu’elle est dans une meilleure position et a la possibilité de faire preuve de solidarité avec d’autres personnes moins bien loties. Il se crée donc une sorte de hiérarchie qui reproduit des relations de pouvoirs. Nous pensons que dans le monde d’aujourd’hui, aucune femme n’a le luxe de dire: “Je suis dans une meilleure situation que les autres”. Nous sommes toutes attaquées par le système patriarcal parce que ce système est en crise et tente de s’en sortir en accentuant ses attaques sur les femmes. Au Kurdistan, nous sommes confrontées à la forme de patriarcat la plus brutale, le fascisme turc, ou daesh, qui en est l’expression la plus cruelle. Nous devons lutter ensemble, nous devons unir nos forces pour pouvoir vaincre le système. Par conséquent, nous estimons qu’il est nécessaire de repenser le concept de solidarité et d’internationalisme, en particulier quand il s’agit des femmes. Nous devons nous rapprocher de la notion de lutte commune pour nous défendre les unes les autres et pas seulement pour nous montrer solidaires.
- Les femmes mènent la révolution au Rojava. Près de 7 ans après ses débuts, qu’a appris le mouvement des femmes de son expérience au Rojava?
Nous avons appris beaucoup de choses. C’est toujours un processus en cours, et ce n’est pas sans problèmes. Nous ne pouvons pas le regarder à travers des lunettes roses.
Lorsque nous parlons du rôle d’avant-garde des femmes dans la révolution, cela ne veut pas n’est pas une question de nombre. Ce n’est pas une question de quantité mais de qualité. Il s’agit de transformer les rôles et les missions. Peut-être que par le nombre de femmes au Rojava ne sont pas en tête. Mais si vous regardez la qualité, elles sont à la pointe car elles donnent au processus du révolutionnaire une caractéristique féminine. Les femmes sont au centre de tous les développements. Elles participent et sont représentées de manière égale dans tous les processus décisionnels.
Mais ceci n’est pas fait par des individus isolés. Il s’agit vraiment de la représentation de la volonté collective du mouvement des femmes par le mouvement organisé. Je pense que c’est une question très importante. Vous n’êtes pas fort en tant qu’individu. Même si, en tant que personne, je suis émancipée, c’est parce que je fais partie d’une force autonome organisée. Je pense que c’est la leçon principale de la révolution Rojava pour nos soeurs dans le monde entier. Il ne peut y avoir de libération individuelle. Il doit toujours s’agir d’un processus collectif et d’une dialectique entre libération de l’individu et libération de la société. Je pense que la révolution du Rojava montre cela au monde entier.
Les femmes qui participent à toutes les structures mixtes de gouvernance, d’autodéfense, d’éducation, de toutes les parties de la vie, sont en même temps des membres naturelles du mouvement des femmes et leurs candidatures sont soutenues par celui-ci. Cela signifie que le mouvement des femmes décide de toutes les femmes qui seront candidates ou participeront à des structures mixtes. Donc, d’un côté, vous vous organisez de manière autonome et de l’autre, vous participez de manière égale à tous les développements et structures généraux. Cela nécessite un niveau très profond de conscience des femmes, de la conscience de genre. Et cela n’a pas été réalisé en un jour. Ce fut un très long processus qui se poursuit encore.
Il y a toujours une très forte réflexion entre les expériences pratiques et la théorie. Vous réfléchissez à ce qui se passe dans la pratique et vous essayez de développer une théorie à partir de cela. Et ensuite, vous développez votre idéologie et vous la mettez en pratique. Il y a tout le temps un parallèle entre théorie et pratique. En développant cela, nous avons toujours de nouvelles leçons à tirer du Rojava.
Ce n’est pas que pendant 40 ans, secrètement, le mouvement ait éduqué ou autonomisé les femmes, attendu ce moment révolutionnaire, puis dis à toutes les femmes de sortir et de jouer leur rôle. Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Ces femmes ne sont pas parfaites, elles ne sont pas des militantes, des révolutionnaires parfaites. Elles apprennent en faisant, elles réfléchissent tout le temps.
Il est important que les autres sachent que nous sommes confrontées à de nombreux problèmes. Créer une société communaliste, en particulier au Moyen-Orient et en particulier dans la société kurde qui est une société opprimée et asservie qui n’a pas pu pendant longtemps prendre ses propres décisions … à partir d’une telle société créer un système communaliste est un dur travail. Mais ce ne sont pas les problèmes eux-mêmes qui sont importants car toutes sortes de problèmes peuvent survenir pendant une révolution. Le point important est de savoir comment vous les gérez. Quelles sont vos solutions, votre attitude envers ces problèmes. Cela les résout-il vraiment cela ou les aggrave-t-il ? Je pense que l’ensemble du processus politique au Rojava, en dépit de ses difficultés, avance, car il développe également sa compréhension de la recherche de solutions aux problèmes. C’est aussi cela la révolution: trouver des solutions aux problèmes de la société.
- À propos du Rojava… pour le mouvement des femmes, quelles seraient les lignes rouges à ne pas franchir lors des négociations avec le régime ou d’autres puissances?
L’objectif de ces négociations serait d’un côté de créer un statut pour le peuple kurde et de l’autre côté, de l’instaurer dans un système démocratique pour l’ensemble de la Syrie, car il ne s’agit pas vraiment seulement d’une question kurde. Nous pouvons le voir ici maintenant [ndlr : au Kurdistan sud, en Irak]. Après 2003, ils ont créé ici un statut internationalement reconnu pour la région kurde, mais sans créer parallèlement un système démocratique pour l’ensemble de l’Irak. Nous avons donc encore des relations très problématiques entre les Kurdes et Bagdad. Vous ne pouvez pas créer de solutions sous forme d’îlots. Notre formule est la suivante: Rojava libre, Syrie démocratique. Et c’est la même chose pour toutes les régions du Kurdistan. Ce doit être un processus. Sans cela, vous ne pourriez protéger aucun de vos gains. C’est ce que nous avons vu ici après le référendum. Nous devons tirer des leçons de ces expériences.
Pour la Syrie, il ne s’agit pas seulement d’obtenir l’approbation de Damas disant “ok, vous pouvez avoir votre propre gouvernement là-bas”, ce n’est pas une question d’autonomie restreinte. Nous devons utiliser ce processus, ces négociations pour la démocratisation de l’ensemble de l’État afin de créer une Syrie démocratique où toutes les personnes qui vivent à l’intérieur de ses frontières soient capables de vivre ensemble et de se gouverner, d’exister de manière autonome, en se retrouvant ensemble dans ce qui pourrait être une sorte d’entente nationale supérieure regroupant toutes les composantes. En faisant cela, vous pouvez trouver une solution.
Quelles seraient les lignes rouges? Ce serait la volonté du peuple. Il n’y a pas de retour en arrière possible maintenant. Comment les habitants du nord de la Syrie, qui se gouvernent eux-mêmes, pourraient-ils accepter le retour au statu quo d’avant 2012? Cela semble être impossible non seulement pour les Kurdes mais aussi pour toutes les autres minorités vivant dans cette région. Donc, je dirais que la ligne rouge est vraiment l’autonomie. L’autonomie est la règle du peuple, c’est la forme organisée ou l’expression de la volonté du peuple. Sinon, je ne peux pas parler au nom des gens de là-bas, mais théoriquement, il pourrait y avoir coexistence si vous avez des solutions, si vous avez des négociations avec l’État et trouvez une solution commune. L’important est que les peuples dans un système démocratique puissent se gouverner eux-mêmes. Ce ne serait pas seulement un modèle pour toute la région, mais aussi pour vaincre partout le nationalisme et le sectarisme.
- Quelles sont les perspectives pour le mouvement des femmes?
C’est d’abord de renforcer notre organisation autonome pour pouvoir jouer notre rôle dans la révolution. Ce que nous vivons ressemble à une révolution à l’intérieur de la révolution. Quand j’ai dit que la révolution des femmes déterminait la libération de toute la société, il en va de même pour les relations entre le mouvement des femmes et le mouvement en général. Si le mouvement des femmes est fort, le mouvement général est fort. Si il est faible, alors toute la révolution sera faible. C’est comme ça. Pour cette raison, il est très important, en tant que mouvement des femmes, de nous renforcer sur les plans idéologique, pratique, politique … pour approfondir le niveau d’organisation autonome, de connaissance et de conscience, pour pouvoir jouer notre rôle historique au sein de notre mouvement de libération nationale et aussi universellement. Nous pensons que nous avons en quelque sorte un rôle historique vis-à-vis de nos sœurs dans le monde, que nous avons des responsabilités envers elles. Que nous avons aussi un rôle unique à jouer. Nous devons assumer ces responsabilités.
Nous ne traitons pas le Kurdistan comme une île, comme si ce qui se passe autour de nous ne nous importait pas. Nous devons remplir notre rôle au Moyen-Orient et, ce faisant, pour les femmes du monde entier. Maintenant, pour les quatre parties du Kurdistan, il est important de renforcer le rôle d’avant-garde des femmes dans la révolution, non seulement au Rojava, mais également au Kurdistan Nord dans la lutte contre le fascisme, car nous pensons également que le rôle des femmes dans celle est très important, unique. L’une des principales caractéristiques du fascisme est qu’il est l’ennemi des femmes. Si nous regardons ce qui s’est passé dans les années 1930 en Espagne, en Allemagne et en Italie, nous avons des exemples très concrets montrant que la première chose que le fascisme a faite a été de forcer les femmes à reprendre leurs rôles traditionnels. Ils ont traité les femmes comme des mères, des machines à fabriquer de nouveaux soldats fascistes pour le régime. Dans la nature du fascisme, vous pouvez voir la misogynie. Pour cette raison, en Turquie et dans le nord du Kurdistan, le mouvement des femmes est la force la plus importante et la plus dynamique. Ce n’est pas seulement le mouvement des femmes kurdes. Le mouvement féministe turc est également très fort. Mais maintenant, il est important pour nous de nous unir, de former un front féminin pour pouvoir vaincre le régime fasciste qui est vraiment anti-femmes.
Au Kurdistan Sud, nous vivons une crise profonde. Il est très important d’y renforcer l’autonomisation des femmes, car si vous regardez les racines de la crise elle-même, vous constaterez qu’elle a été créée par des hommes. Malheureusement, la représentation des femmes en politique n’est pas forte. Par exemple, il y a eu beaucoup de discussions politiques la semaine dernière en vue de la formation du gouvernement. Mais vous il n’y avait pas une femme assise à la table. Que des hommes. La manière dont la politique est faite dans au Kurdistan Sud est très masculine, elle n’apporte pas de solutions aux problèmes que nous avons mais les approfondit. Nous pensons qu’ici le changement n’est possible qu’en développant une culture politique démocratique. Et que cela ne peut pas être fait par les hommes. Cela ne peut être fait que par les femmes, les exclues, les marginalisées.
Les problèmes profondément enracinés auxquels nous sommes confrontés sont également présents de façon plus générale en Irak, un État qui n’est pas naturel, qui ne correspond pas à la réalité culturelle, ethnique ou religieuse de la région et qui produit sans cesse de nouvelles crises, conflits et contradictions entre les sectes et les religions, les ethnies. Dans cette zone en ébullition permanente, il est donc très facile pour des forces extérieures de gouverner, de contrôler toute la région. Pour pouvoir surmonter cette situation qui se répète depuis un siècle déjà, il est très important d’établir et de renforcer la position de leader des femmes. C’est le besoin principal ici. Je dirais la même chose pour l’Iran et le Kurdistan Est, car ils sont également dans un processus historique. Il y a beaucoup de possibilités. La dernière fois que les femmes en Iran ont pu célébrer le 8 mars, c’était il y a 40 ans, en 1979. Quarante ans après cette dernière grande fête, nous voyons que même dans le Kurdistan Est et dans le pays, en dépit de toutes les formes d’oppression, de dictature … je veux dire, on sait à quel point c’est difficile là bas pour les femmes… tant de femmes sont en prison et risquent la peine de mort. C’est très risqué là-bas. Mais nous voyons que de plus en plus de femmes élèvent la voix, qu’elles protestent et disent qu’elles ne sont pas d’accord avec ce système. Cela donne de l’espoir.
Nous avons donc des développements importants dans toutes les parties du Kurdistan. Les États qui occupent ces régions du Kurdistan mettent nos vies en danger, car ces régimes masculins fascistes veulent assurer leur pouvoir. Mais vous voyez partout que les femmes sont le principal espoir, déterminant la lutte dans tous les domaines. Pour cela, je dirais que le 8 mars de cette année, nous avons aussi beaucoup de raisons d’être optimistes.
- Peut-on dire que le mouvement des femmes est en quelque sorte garant de la ligne idéologique du mouvement en général ?
Pourquoi la libération des femmes est-elle si centrale pour le PKK? Cela n’a pas commencé avec le changement de paradigme. À la fin des années 80, Abdullah Öcalan a commencé sa propre analyse sur cette question. Une des principales dynamiques qui a conduit à cela est son mariage avec Fatma — nom de guerre. Elle était également membre fondateur du PKK et, en 1986, elle a quitté le mouvement. Elle a été envoyée en Europe après le 3ème congrès du PKK pour y organiser le mouvement. Quelque temps après son arrivée là-bas, elle a quitté le mouvement. Depuis lors, il n’y a eu aucun contact avec elle. Ce n’était pas un mariage habituel, il y avait beaucoup de conflits. C’était aussi un mariage d’amour. Pendant longtemps il a été décrit comme quelque chose de différent, comme si elle était un agent envoyé par l’état turc pour contrôler le PKK et des choses du genre. Öcalan a écrit plus tard à ce sujet et déclaré qu’il l’aimait vraiment, mais que ça avait été très conflictuel et que ce conflit l’avait amené à réfléchir à la question de la libération des femmes. Il y est venu de sa propre expérience pratique.
Cela a commencé à la fin des années 80. Puis, au début des années 90, lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, il a de plus en plus mis la question des femmes au centre du socialisme, en donnant au socialisme aussi des caractéristiques féminines, en y apportant des réponses et en protégeant également l’héritage du socialisme sous cette forme. Quand il critique Marx, il dit aussi qu’il ne le rejette pas, mais essaie de faire un nouveau pas en avant. Dans les années 90, après l’effondrement du système soviétique, il a beaucoup analysé le socialisme démocratique. De l’importance de mener une lutte démocratique au sein du mouvement révolutionnaire pour le démocratiser, car vous ne pouvez pas être socialiste si vous n’êtes pas démocrate. Il analyse l’effondrement de l’union soviétique par le manque de démocratie. Il y avait un manque de liberté, il n’y avait pas de femmes. C’est ainsi qu’il en est arrivé au changement de paradigme. C’est plus tard, on peut dire 2005 ou même plus tôt, lorsque le livre Defending people a été publié en 2004. Mais ensuite, en 2005, le congrès a commencé à s’organiser selon le confédéralisme démocratique, qui a été adopté comme structure pour l’organisation. Le changement de paradigme a commencé plus tôt, mais c’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à le mettre en pratique. C’était l’époque où tous les militants du PKK lisaient Murray Bookchin pour mieux le comprendre. Abdullah Öcalan communiquait avec les militants lors de ses entretiens avec ses avocats. Il disait quel livre il lisait et tout le monde devait le lire. Je me souviens qu’il avait parlé de l’écologie de la liberté en 2002 ou en 2003. C’était à ce moment-là que les gens commençaient à lire sur l’écologie et des choses du genre.
Pourquoi pouvons-nous appeler le mouvement des femmes le gardien de l’idéologie ? Le paradigme lui-même place la libération des femmes au centre de ses préoccupations. Comme je vous l’ai dit, cela ne peut être réalisé que par le rôle d’avant-garde des femmes. Elles doivent être les sujets du processus révolutionnaire. Elles s’organisent aussi selon ce paradigme. Et ce sont elles aussi qui réalisent ce paradigme par eux-mêmes. Cela leur donne ce rôle historique. Et cela a toujours été comme ça parce qu’elles sont les opprimées, elles sont les marginalisées. Elles luttent avec leurs camarades, mais à la fin, ce sont des femmes, ce qui les différencie et leur confère un rôle particulier dans la révolution.
- Etes-vous en contact avec d’autres organisations de femmes au Moyen-Orient ? Ont-elles appris de vous, avez-vous appris d’elles ?
Oui depuis le début. Il est important de garder à l’esprit que le PKK a pu commencer sa guérilla grâce de la solidarité et à l’internationalisme des peuples au Moyen-Orient. En juillet 1979 Abdullah Öcalan traversa la frontière pour se rendre à Kobané, avec une fausse pièce d’identité. Il se rendit en Syrie et prit contact avec les mouvements révolutionnaires libanais et palestiniens. À cette époque, le PKK n’était pas connu. Un grand nombre de leaders avaient été emprisonnés dans la prison d’Amed et le coup d’État militaire du 12 septembre allait avoir lieu. Ainsi, dans ces conditions très difficiles, sans connaître l’arabe, sans aucune possibilité matérielle, grâce à la notion de fraternité, il leur a été possible de créer le terrain pour le 15 août 1984, date à laquelle ils commencèrent la guérilla, grâce aux mouvements révolutionnaires. au moyen orient. C’est ainsi qu’ils se sont d’abord rendus dans les camps militaires du mouvement de libération palestinien. Plus tard, ils ont pu créer leur propre camp où ils donnaient une formation militaire, politique et idéologique et formaient les cadros du mouvement. Ils n’avaient pas d’argent dans leurs poches. Un grand nombre de militants du PKK sont morts également dans la lutte contre les attaques israéliennes, par solidarité avec les Palestinien.ne.s.
Voici d’où ils viennent, cela s’est passé il y a 40 ans. Ce n’est donc pas par la suite que le PKK s’est impliqué à l’échelle du Moyen-Orient. Dès le début, ça a été un mouvement du Moyen-Orient avec une très bonne compréhension de l’internationalisme, ce qui l’a empêché de devenir un mouvement nationaliste. Ca a été comme ça pendant 40 ans, donc ce n’est pas histoire que le mouvement général ou le mouvement des femmes soit en train d’établir des relations ou qu’il ait commencé après la révolution de Rojava, après Kobane. Il y a toujours eu des bureaux ou des représentant.e.s selon l’occasion, ou tout autre outil de coopération, pour une lutte solidaire, commune.
Mais pour le mouvement des femmes en particulier, il est très important d’améliorer les relations avec les mouvements de femmes au Moyen-Orient. Ou disons des organisations de femmes parce que si nous examinons la situation actuelle, il y a le mouvement des femmes kurdes mais nous ne pouvons pas parler d’autres grands mouvements de femmes. C’est aussi un problème que nous devons analyser, pourquoi c’est comme ça. Mais nous voyons beaucoup de luttes de femmes au Liban, en Palestine, en Égypte, où les femmes ont joué un rôle très important contre le régime de Moubarak, bien qu’elles aient été victimes d’agressions sexuelles, d’attaques, etc., dans des endroits comme la Tunisie où les femmes ont pu gagner beaucoup. Je parlais de l’Iran et de l’Afghanistan, de nos sœurs qui se trouvaient là malgré toutes les attaques des chefs de guerre et des impérialistes, elles s’organisent, ce qui représente un très grand potentiel.
Pour le mouvement kurde, l’Histoire a toujours été un élément très important et nous pensons que le Moyen-Orient, le lieu où nous vivons actuellement, a déjà été le terreau de la première révolution sociale, la révolution néolithique. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les gens ont commencé à s’installer, à vivre en société et cela a également été dirigé par des femmes. Ce dont nous parlons maintenant, c’est de jeter les bases d’une deuxième grande révolution des femmes au Moyen-Orient parce que nous pensons que c’est la seule possibilité de trouver une solution pour y mettre aux crises, malgré toutes les guerres et tous les conflits en cours, et de créer une vraie démocratie et la liberté. Cela ne peut être fait que par la révolution des femmes. C’est pourquoi c’est d’une importance stratégique majeure pour nous — pas pragmatique, nous sommes pas dans une recherche pragmatique — d’améliorer nos relations avec nos sœurs dans le monde et au moyen-Orient. Et en agissant de la sorte, lutter efficacement contre la modernité capitaliste.
Nous avons toujours pensé que cela ne pouvait se faire que sous l’impulsion des femmes, car la modernité capitaliste, ou disons le système capitaliste, tente de s’organiser au Moyen-Orient, en particulier au cours des cent dernières années, depuis partir de la 1ère guerre mondiale. Ces frontières que nous avons aujourd’hui ne sont pas naturelles. Elles ont été créées par lui. Ces états ne correspondent pas à la réalité ici. Ils reproduisent continuellement les conflits, les guerres, les crises au profit du système de des États capitalistes. Pour cela, ils utilisent trois outils principaux: le nationalisme ou le chauvinisme, le sectarisme et le sexisme. Ce sont des questions qui divisent vraiment les gens, les empêchant de s’unir. Si vous regardez la réalité kurde, elle est divisée par le nationalisme par exemple. Si nous voulons vraiment trouver une solution aux problèmes que nous avons ici, nous devons vaincre le nationalisme, le sectarisme et le sexisme. Et cela ne peut être fait que par les femmes. Par conséquent, il est si important pour nous de créer quelque chose qui ressemble à une union de femmes du Moyen-Orient, non pas selon des lignes nationalistes, ethniques ou sectaires, mais uniquement en tant que femmes. En tant que femmes, nous avons amplement de raisons de nous réunir.
- Un dernier mot?
On peut parler pendant des heures, ce n’est pas un problème, dit Meral en souriant.
Comme vous venez de France, je dirai que notre compréhension de la solidarité internationale devrait également consister à rechercher de nouvelles idées. Nous devons établir un mécanisme avec lequel nous pourrions élaborer une stratégie, une tactique ou, disons, un langage commun, une culture commune, quels sont nos principes pour les femmes, quels principes pouvons-nous trouver ensemble, et ainsi de suite. Nous avons besoin d’une production théorique et intellectuelle et cela devrait être fait ensemble.
C’est un problème très important pour les femmes en France car je pense qu’il y a un très gros manque en ce moment. Si vous comparez cela à une époque antérieure, disons la production socialiste ou même le féminisme, on l’impression d’un film coupé en France. Peut-être que je me trompe mais nous ne voyons rien venir de France pour le moment. Donc, je pense que pour les Français.e.s, il est très important de repenser certains concepts tels que le socialisme, ce que nous entendons par internationalisme, qu’est-ce que le féminisme, ce qu’est la libération des femmes, le libéralisme, l’idéologie de la classe moyenne ou la compréhension de ce qui nous enlève la radicalité de notre lutte et la rendent libérale. Je pense que quelque chose comme cela pourrait se produire en France si vous regardez le potentiel de la France, et je parle du peuple, pas de l’État. Un tel potentiel et une position si faible maintenant. Cela semble être une contradiction pour nous car il y a une tradition si importante, un grand héritage, à cause de la Commune de Paris notamment non ? Aujourd’hui, les gens devraient protéger les révolutions partout dans le monde. Protéger les acquis des révolutionnaires et leur héritage en France contre les attaques idéologiques et politiques, notamment après l’élection de Macron. Je pense que actuellement beaucoup de choses changent. Parfois, le système capitaliste le fait d’une manière très fine. Ce n’est qu’après qu’il est agit que nous comprenons ce qui s’est passé et je pense que la France ayant été radicale dans de nombreux domaines, il est important de protéger cela, de le défendre contre toutes sortes d’attaques, en particulier les attaques idéologiques qui absorbent notre conscience.
Si je reviens à votre première question lorsque vous avez demandé ce que les gens peuvent faire s’ils veulent faire preuve de solidarité, je pense qu’ils devraient avant tout protéger leurs propres acquis révolutionnaires. Ils devraient le défendre, parce que s’ils le défendent en France, ils défendent la révolution au Rojava en même temps. Si le mouvement radical des femmes protège ses 250 ans de lutte pour la libération des femmes, il apporte la contribution la plus précieuse à notre lutte et à la lutte internationale des femmes. Ce n’est pas tellement que nous devons seulement sortir dehors et montrer notre soutien. Nous devons le faire de manière dialectique. Le défendre à la maison mais aussi le défendre à l’extérieur. Si on le fait ensemble, je pense que cela pourrait être la solidarité du 21ème siècle. Si on regarde l’Histoire, en commençant par exemple avec la révolution française et la marche des femmes, pas seulement Olympes de Gouges mais aussi beaucoup d’autres femmes radicales qui ont été tuées à cause de leurs positions radicales, puis plus tard, le rôle de premier plan des femmes dans la Commune de Paris, il s’agit d’un très grand héritage. Nous savons que les femmes ont toujours lutté contre leurs camarades masculins également parce qu’au sein du mouvement socialiste français et de la gauche, nous savons que le patriarcat a toujours été très fort. Ils ne penseraient peut-être pas de même, mais je pense que c’est aussi une raison importante pour laquelle les révolutions ont échoué, souvent à cause de l’approche des soi-disant hommes socialistes ou révolutionnaires masculins envers leurs camarades femmes, ces approches féodalistes très patriarcales. Nous devrions tirer ces leçons de l’histoire et aujourd’hui, je pense que le mouvement en France pourrait ainsi jouer un rôle important dans la lutte internationale pour la libération des femmes.