Une expo­si­tion d’une quar­an­taine d’oeu­vres orig­i­nales de Zehra Doğan s’ou­vrait pour un mois à l’Opéra de Rennes. C’é­tait le 5 mars dernier.


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L’é­mo­tion de Joce­lyne Bougeard, la représen­tante de la munic­i­pal­ité n’é­tait pas feinte, tout comme celle de la cen­taine de per­son­nes présentes pour cette ouver­ture. Zehra a été remise enfin en lib­erté le 24 févri­er dernier. Elle n’en con­tin­ue pas moins de touch­er au plus pro­fond celles et ceux qui vien­nent vis­iter l’ex­po­si­tion de ses toiles et dessins où s’ac­croche le passé proche du Pays kurde en Turquie, les mas­sacres et les destruc­tions, comme aus­si la vie des femmes en prison.

Œuvres qui ne peu­vent laiss­er indif­férentEs sur l’his­toire qui s’écrit en let­tres de sang, aux portes de l’Europe.

Encore mer­ci à l’Opéra de Rennes. Ce n’est pas sou­vent la règle qu’un opéra ouvre ses portes de façon si accueil­lante à une artiste por­teuse de tels messages.

Le mes­sage de Zehra Doğan fut lu par une mem­bre des Ami­tiés Kur­des de Bre­tagne, ini­ti­atri­ces de cet événe­ment, qui s’in­scrit dans une semaine con­sacrée aux femmes, avec le sou­tien des insti­tu­tions locales.

Chers amiEs,

Dans ce lieu où vous êtes empris­on­née pour avoir exprimé libre­ment vos pen­sées, pour avoir écrit ou dess­iné, vous cherchez à tout instant, sur les murs, les failles pos­si­bles. Vous savez qu’arrivera ce moment où les rayons de lumière s’immisceront à l’intérieur, et vous l’attendez impatiemment.

Dans cette boîte empier­rée sur qua­tre côtés, qui vous enferme, chaque mes­sage de sou­tien aide la lumière à faire éclater ces murs gris et à apporter la vie à l’intérieur.
Dans cet endroit où j’étais emmurée, vos sou­tiens m’ont entourée, enlacée. Je me suis sen­tie comme au cœur de branch­es vertes d’un lierre. Vivre avec cette sen­sa­tion, dans un tel endroit, est le sen­ti­ment le plus beau au monde.
Grâce à cela, je fus forte, comme je ne l’ai jamais été à l’extérieur. Je vous remer­cie pour l’attention que vous avez portée à chaque phrase que j’ai écrite, et de votre sou­tien afin que je puisse faire enten­dre ma voix à l’extérieur.

J’ai été libérée de cette boîte qui me rete­nait prisonnière.

Mais, main­tenant, je me trou­ve dans une boîte plus grande.

Dans ce pays, après chaque épreuve, une nou­velle vous attend, tel un jeu de poupée russe. Avec des inter­dits, on décou­vre d’autres empêchements.

En Turquie, alors que la lib­erté d’expression est un droit con­sti­tu­tion­nel, hélas, chaque jour, des per­son­nes sont empris­on­nées seule­ment pour avoir exprimé leurs idées.

Actuelle­ment, les pris­ons de la Turquie débor­dent de jour­nal­istes, d’intellectuels, d’auteurs, d’artistes ou per­son­nes éclairées. De nom­breux auteurs voient leurs travaux écrits en geôle, con­fisqués, les artistes ne peu­vent accéder à leur matériel néces­saire pour créer.

Ici en Turquie, Ils s’ingénient à créer des citoyens uni­cel­lu­laires d’un pays monotype.

Il est ques­tion encore, dans les pris­ons, de tor­tures et de graves vio­la­tions de droits.

Dans les pris­ons turques : des bébés, des per­son­nes âgées, des malades
Des cen­taines de bébés et d’enfants en bas âge sont incar­cérés avec leur mère. Ces enfants ne savent pas ce que sig­ni­fie une fleur. Ils ne con­nais­sent ni le par­fum, ni la tex­ture de la terre. Ces bébés ne voient jamais le soleil.

Dans les pris­ons, des dizaines de per­son­nes âgées sont tou­jours incar­cérées. Ces anciens ne sont sou­vent pas capa­bles d’agir seuls, même pour leurs besoins quotidiens.

Des détenus malades per­dent la vie, après des dizaines d’années d’emprisonnement, sans avoir pu jamais revoir l’extérieur. Des familles ne cessent d’organiser les funérailles de leurs proches pris­on­niers malades.

Aujourd’hui, une grève de la faim ini­tiée par Ley­la Güven, députée, élue d’ailleurs en incar­céra­tion, se pour­suit avec la par­tic­i­pa­tion de cen­taines d’autres pris­on­niers et pris­on­nières. Utilis­er leur corps reste leur seul out­il, pour une action reven­dica­tive. Ces grévistes sont dans un état cri­tique. J’en suis con­va­in­cue, pour une vie égal­i­taire et libre, les auteurs, les artistes doivent de leur côté encore inten­si­fi­er leur combat.

C’est grâce à votre sou­tien que je suis aujourd’hui une nou­velle Zehra, plus insis­tante dans ses pro­pos, et qui parvient à trans­met­tre sa pro­pre dynamique de lutte.

Je remer­cie infin­i­ment le PEN inter­na­tion­al, toute la famille PEN dis­per­sée partout au monde, toutes les organ­i­sa­tions, asso­ci­a­tions et per­son­nes, des artistes et auteurs, pour leur pré­cieux sou­tien. Et par­ti­c­ulière­ment celles et ceux qui ont con­tribué à l’organisation de cette expo­si­tion à Rennes.

Je leur fais la promesse de tenir mon cray­on d’une main encore plus assurée.

Zehra Doğan, Istan­bul, le 2 mars 2019

Cette expo­si­tion fait déjà par­ler d’elle, y com­pris dans une petite par­tie de la presse turque encore en sur­sis, et c’est tant mieux.

Zehra Doğan ain­si, comme elle le fait depuis tou­jours, ne par­le pas d’elle, mais de l’his­toire sin­gulière des femmes kur­des, empris­on­nées ou résis­tantes. Sa parole est col­lec­tive, et, par le vecteur de l’art, touche mille fois plus que bien des dis­cours et des défilés.

Un livre, qui con­tien­dra une bonne par­tie de sa cor­re­spon­dance de prison, sera pub­lié dans le courant de cette année 2019, en tra­duc­tion française, aux Edi­tions des Femmes. Zehra vous donne donc ren­dez-vous dans quelques mois à peine.

Et puisque vous vouliez sans doute pos­er la ques­tion, voici la réponse… Oui, elle se remet bien de cette libéra­tion dans cette Turquie de semi lib­erté. Et vous n’avez pas fini d’en­ten­dre et de lire sa parole col­lec­tive, ou de vis­iter ses expo­si­tions… Elle vous en fait la promesse.

Programme

L’ex­po­si­tion sera ouverte du mar­di au same­di de 13h à 19h. 

Des per­ma­nences seront assurées tous les mer­cre­dis de 14h à 18h. Ceux et celles qui souhait­ent en savoir plus sur l’ex­pres­sion et le témoignage de Zehra, sont chaleureuse­ment conviéEs.

Cette expo­si­tion, invi­ta­tion à enten­dre le cri silen­cieux dont Zehra se fait passeuse, sera égale­ment l’épi­cen­tre d’autres initiatives.

• Une con­férence débat est pro­posée le 10 mars, à 18h30, à la Mai­son Inter­na­tionale, au 7 quai Châteaubriand.

avec la par­tic­i­pa­tion de

  • Jacques Massey, jour­nal­iste indépen­dant, auteur et ex audi­teur auprès de IHESI. Il a tra­vail­lé sur les assas­si­nats des trois mil­i­tantes kur­des, Rojbin, Sakine et Fidan à Paris, en 2013.
  • Haz­al, mem­bre active du Mou­ve­ment des femmes kur­des, organ­i­sa­tion réu­nis­sant les femmes kur­des (ou non), ayant comme objec­tif l’é­man­ci­pa­tion des femmes partout au monde, par le com­bat con­tre le patri­ar­cat non pas seule­ment sur le front mais aus­si dans la vie quo­ti­di­enne. (Voir “la jinéolo­gie”)
  • Duygu Erol, jour­nal­iste kurde en exil, cor­re­spon­dante de Jin­ha, l’a­gence d’in­for­ma­tion fémi­nine et fémin­iste, dont Zehra est une des fon­da­trice. Cette agence à été inter­dite et fer­mée par décret en 2016. Et depuis, elle renait de ses cen­dres sous d’autres noms, à nou­veau, chaque fois qu’elle est muselée, fer­mée par l’Etat.
  • André Metay­er, le fon­da­teur et pré­cieux doyen de l’as­so­ci­a­tion Ami­tiés Kur­des de Bre­tagne.

• Un con­cert le 15 mars 20h30 (atten­tion la date ini­tiale du 16 mars est changée) au Bar Baba Zula, au 182, avenue Général Pat­ton Rennes
Immer­sion totale dans les univers col­orés du groupe Yıldız, qui puise son inspi­ra­tion dans le monde ori­en­tal, sa diver­sité musi­cale et la richesse de ses langues, le Kurde, l’Ar­ménien, le Turc…

Pour en savoir plus sur Zehra Doğan : 
Vous pouvez consulter son site web zehradogan.net  
et le dossier spécial Zehra Doğan sur Kedistan

Image à la une : Gael Le Ny

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