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Trouver un article de commentaire sur la visite du Pape en Irak sur Kedistan vous surprendra peut être, mais cela nous a semblé important de fournir un autre point de vue que celui des défenseurs habituels ici des “Chrétiens d’Orient”, qui sont d’ordinaire plutôt du genre “Croisés” que bons chrétiens.
En effet, beaucoup des commentaires médiatiques à partir de l’Europe, autres que ceux factuels et pourvus d’images, sont venus de celles et ceux qui pourfendent souvent l’Islam et les populations issues de l’immigration, assignées à la religion musulmane. La mise en avant bien sentie des “Chrétiens d’Orient massacrés au nom de l’Islam” durant ces dernières années en Irak et au Moyen-Orient est récurrente au sein des droites et extrêmes droites xénophobes. Et s’il faut même pour cela amalgamer honteusement les populations Èzidies comme étant “chrétiennes”, ces commentateurs n’hésiteront pas une seconde, pour pouvoir parler de “génocide contre les chrétiens” et de “menace islamique”.
Il nous a semblé également utile de commenter cette visite du Pape François en Irak, au delà de son “œcuménisme pour la paix”, qui fut la tonalité mainstream.
Sur place, cette visite “officielle”, a trouvé écho davantage dans les populations, kurdes en particulier, qu’au niveau de l’Etat irakien. Cet Etat, en réalité, bien que dominé par la partie pro-iranienne, n’est que l’ombre de lui-même. Il est confronté à la ruine économique autant qu’aux milices pro-iraniennes et/ou nationalistes qui s’affrontent dans l’exercice du pouvoir. La rue n’est pas en reste contre lui, la manne du pétrole alimentant la corruption et la misère sociale. Dans ce contexte, où l’insécurité s’ajoute aux risques de pandémie, le gouvernement a réduit à la diplomatie les fastes d’une visite papale. Et il est donc paradoxal que cette visite ait été plus ample dans les territoires qui ne sont pas ceux directement sous administration gouvernementale, si l’on met de côté la cérémonie dans la cathédrale chaldéenne de Bagdad.
Le vocable Kurdistan a été prononcé, comme une sorte de “reconnaissance”. C’est du moins l’interprétation qu’en font les Kurdes d’Irak, allant jusqu’à suggérer dans leurs commentaires que le Pape François serait pourvoyeur d’une “nouvelle vision occidentale”, dans le contexte du changement à la Maison Blanche.
Deux symboliques propres au Vatican, en l’occurence le “dialogue inter-religieux”, cette fois avec la partie chiite, et la “paix et la reconstruction”, occupèrent une majeure partie des rencontres, là aussi réduites officiellement pour des raisons de sécurité. L’image de deux vieillards, l’ayatollah Ali Al-Sistani, et le Pape François est d’ailleurs saisissante face à la jeunesse de la population en Irak, lorsque ceux-ci prétendent parler d’avenir.
Il y a eu cependant quelques moments “populaires”, qui ne relevaient pas de la simple mobilisation de foules convenue et préparée, malgré la “haute sécurité”. Et les phrases “officielles” de reconnaissance des “souffrances”, “meurtres”, “viols”, “esclavage”, prononcées, sont pour ces populations des phrases “nouvelles”, puisque les autorités gouvernementales ne les prononcent pas elles-mêmes, en permanence dans les divisions politiques et la répression de la contestation. Ces émois d’un Pape ne peuvent qu’être interprétés que comme une reconnaissance “occidentale” et ne seront pourtant pas suivis d’effets. Et ces éléments de langage, bien sûr, concernent ce qui restait encore de Chrétiens en Irak, que Daech fit assassiner, comme “mécréants”.
Pour le Kurdistan irakien, il se mêle là, cette perception populaire, avec les ambitions du clan Barzani, au pouvoir aujourd’hui dans l’entité irakienne.
C’est donc un aspect politique, et non religieux qui ressort de ce ressenti général. Et c’est forcément la lecture des manques qui est importante.
Notre amie Zehra Doğan, au Kurdistan en ce moment, intervenait hier justement à ce propos, répondant aux questions d’une télévision.
Reprenant son statut de journaliste, elle décrivait très bien cet intérêt populaire pour cette visite du Pape, et la façon dont le clan Barzani s’en est attribué la gloire, alors même que ce clan politique est fauteur de misère sociale et de division. Elle dénonçait aussi la façon dont ce même clan énonçait ses contre vérités sur l’aide et le sauvetage des populations Èzidies. “Comment une aussi haute ‘autorité internationale’ comme un Pape, informé comme il est, peut-il accepter qu’on cache encore l’abandon par les Peshmergas de ces populations devant l’avancée de Daech, et les abominations qui suivirent de fait ? Comment ne pas être allé au Sinjar même pour en parler et rencontrer les témoignages, dire qui, vraiment a volé à leurs secours ? Quelles véritables pressions ont fait qu’il ne s’y est pas rendu ?”
Ce questionnement illustre à la fois l’instrumentalisation de cette visite par le clan nationaliste kurde Barzani, pour qui Kurdistan ne rime guère avec unité politique des Kurdes et exemple d’une vie multiculturelle et multi-religieuse. Et Zehra pose la question de l’absence du Rojava dans l’évocation d’un territoire de paix.
On l’aura compris, l’abandon politique des Kurdes par la dite “communauté internationale” sera à peine effleuré par cette visite papale. Mais les illusions qu’elle peut véhiculer elles, serviront la cause nationaliste, qui aujourd’hui compose toujours avec la Turquie et demande sa place en Syrie Nord, contre l’unité kurde.
Il n’y a donc aucun message subliminal à lire dans la visite du chef du Vatican. Les aspects politiques qui y dominent relèvent effectivement de ce que pourrait être en pointillé un infléchissement de la politique américaine, son regard plus appuyé sur la présence iranienne et de possibles négociations pour la reconstruction et, bien sûr les questions de contrôle des énergies fossiles.
Si la partie kurde s’est sentie reconnue, il suffit pourtant de prendre un peu de recul, pour constater comment les forces démocratiques syriennes, en Syrie Nord, sont trahies et isolées, et pour voir comment les paillettes papales retombent au sol, à peine l’avion re-décollé.