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Dans la prison de Diyarbakır (Amed), Neza­hat partageait le même quarti­er que Zehra Doğan. Ensuite, elle aus­si a fait par­tie des 20 pris­on­nières trans­férées à la prison de Tarsus.

Zehra nous a par­lé de Neza­hat dès le départ de son incar­céra­tion en 2017… Et, petit à petit, nous nous sommes tant attachéEs à cette femme qui aime les chats.

Le 17 févri­er serait, dans cer­tains pays, la journée inter­na­tionale du chat. Au Kedis­tan, c’est tous les jours… Et quoi de plus nor­mal que de ren­dre un hom­mage à Neza­hat, pris­on­nière kurde, à  cette occa­sion. Voici donc la tra­duc­tion d’une let­tre qui en dit plus…

Chère Naz,

J’ai bien reçu la let­tre que tu m’avais envoyée, mais j’ai tardé pour te répon­dre. Ne m’en veux pas.

Pour que les per­son­nes s’ai­ment, elles n’ont pas besoin de se voir réelle­ment. Les amiEs com­munEs, les intérêts partagés réu­nis­sent les gens dans l’âme et les sentiments.

Naz, Zehra me par­le telle­ment de toi, qu’il est impos­si­ble de ne pas t’aimer. Ta sen­si­bil­ité aux gens, et à l’être humain éveille en moi l’ami­tié. Et avec ta pas­sion pour les chats, mon affec­tion et respect tapent au pla­fond ! J’e­spère que tu ne m’en veux pas, je te tutoie et m’adresse à toi par ton prénom. C’est parce que je te ressens comme très proche de moi…

J’ai vu la pho­to du car­net de san­té de ton dernier chat, que tu as nom­mé sym­bol­ique­ment de mon prénom et de celui de Zehra. Crois-moi, j’en ai été très heureuse. Je te remer­cie de lui avoir don­né nos prénoms.

Nezahat Zehra Chat

Neza­hat-Zehra alias “Zerê”

Zehra m’a mon­tré toutes les pho­tos de tes autres chats. Ils sont plus beaux les uns que les autres.

J’ai appris aus­si que tu as vécu de “l’ac­tion” lors de l’opéra­tion de sauve­tage du petit Neza­hat-Zehra. C’é­tait paraît-il une opéra­tion très remuante. J’e­spère que tu n’en vivras pas d’autres comme cela. Mais, comme tu portes un tel amour pour les chats, à mon avis, tu te trou­veras bien des fois dans les mêmes situations…

Je souhaite que toute ta vie, tu ne sois pas séparée de tes chats. Je le souhaite, parce que je sais ce que c’est, la douleur de la séparation.

Si tu veux bien, je voudrais te par­ler un peu de mes chats. Un d’en­tre eux ressem­blait au chat gris que tu portes dans tes bras sur une des pho­tos. L’autre était tout noir, et il y avait un autre noir et blanc. Ces trois chats venaient sur le mur qui séparait les deux quartiers [dans la prison de Diyarbakır]. Mal­gré la présence des bar­belés, ils réus­sis­saient le plus dif­fi­cile, et arrivaient jusqu’à la fenêtre du quarti­er. Bon, le devant de la fenêtre étant aus­si tis­sé de bar­belés, ils attendaient là.

Le chat noir et blanc était le plus patient et le plus téméraire. Il ne par­tait jamais sans avoir mangé. Il était aus­si égoïste et bagar­reur. Lorsque je don­nais la nour­ri­t­ure, il feu­lait, il empêchait les autres de manger. Alors je me fâchais, et en me voy­ant en colère il se fai­sait tout petit, et autori­sait enfin les autres de se nour­rir. Si tu avais vu comme il aimait jouer avec moi. Je pas­sais ma main dans les bar­belés, je le cares­sais. Com­bi­en de fois, mon bras éraflé par les piques des bar­belés a‑t-il saigné…

Le noir était très sage. Il attendait tou­jours, calme et silencieux.

La grise était une femelle. Quand son ven­tre a com­mencé à gon­fler, j’ai com­pris qu’elle attendait des petits. Et j’ai com­mencé à lui don­ner plus d’at­ten­tion. Quelques temps plus tard, j’ai vu qu’elle avait accouché. Et bien sûr, j’é­tais très curieuse de voir mes petits-enfants. La mère attra­pait la nour­ri­t­ure que je don­nais et elle la por­tait à ses petits.

Un jour, que vois-je ? Elle avait pris ses trois petits et les avait amenés sur le mur. Quand j’ai vu cela, je suis dev­enue folle. J’ai lancé des cris de joie. J’é­tais la per­son­ne la plus heureuse du monde.

Bon, tout d’un coup, le nom­bre de mes chats avait grim­pé à six. Ce n’é­tait pas si facile de les nour­rir. [A la prison de Diyarbakır] on nous don­nait deux fois par semaine du poulet, une fois des escalopes de veau, et une fois des boulettes. Et chaque fois, je me met­tais à la tête de mes amies, par­fois je pre­nais leur viande qua­si­ment par force, par­fois en sup­pli­ant, comme pour la char­ité. Mais, quoi qu’il arrive, je réus­sis­sais à leur en piquer chaque fois. Zehra me dis­ait “Vas‑y prends prends, tes yeux sont dans mon assi­ette, si je ne te donne pas, ça va rester dans ma gorge” et elle m’en donnait.

Naz, j’au­rais telle­ment voulu que tu les vois…

Nous étions 40 amies [dans le quarti­er], mais, dans la prom­e­nade, mes chats me recon­nais­saient entre toutes. Dès qu’ils entendaient ma voix, ils com­mençaient à miauler.

Par­fois, ils restaient assis sur le toit, qua­tre cinq quartiers plus loin. Mais ils venaient à mon appel. Je ne les appelais pas comme tout le monde en dis­ant “pisi pisi pisi”, je dis­ais “tchik­ti­ka tchik­tik tcha­ka tchik­tik” et il faut voir com­ment ils cour­raient vers la fenêtre…

Naz, si tu savais comme je les aime. Les amies se fâchaient tou­jours en me dis­ant “Neza­hat tu aimes les chats plus que nous”. Il n’y a que toi qui peux com­pren­dre ça. Les chats appor­taient du sens à ma vie…

Cet amour de chat, je l’avais déjà enfant. Nous nour­ris­sions tou­jours des chats à la maison.

[A la prison de Diyarbakır] j’ai eu des dia­logues d’un telle pro­fondeur avec eux. Je leur racon­tais mes soucis, tou­jours à eux. Crois-moi, celui qui était noir et blanc, me comprenait.

Zehra Doğan & Nezahat Şingez

Zehra Doğan & Neza­hat Şingez, à la prison de Tar­sus, Févri­er 2019

Ils m’ont fait vivre la plus grande dépres­sion de ma vie. En apprenant que j’al­lais être trans­férée de force à Tar­sus, le monde s’est écroulé sur ma tête. J’al­lais être séparée de mes chats, pour tou­jours. Tous les six…

Je ne savais pas quoi faire. J’é­tais dés­espérée. Que fait une per­son­ne dés­espérée ? J’ai fait cela. Je me suis mise à pleur­er à gros sanglots.

Les amies qui devaient rester [à Diyarbakır] me con­so­laient. Mais à quoi bon, ma poitrine brûlait. “Ne t’in­quiète pas, nous pren­drons soin d’eux, ne pleure pas”… Elle pour­raient les nour­rir, mais ne pour­raient jamais aimer comme moi.

L’heure de la sépa­ra­tion était arrivée. Il était six heures du matin. Il fai­sait encore noir. Qu’ai-je vu ? Le noir et blanc, mon préféré était là, il était venu à la fenêtre. Je me suis effon­drée en larmes.

Ce fut la dernière fois que je les ai vu.

Ils sont encore dans mes pen­sées. Mes amies [de Diyarbakır] m’ont écrit une let­tre. Elles dis­ent qu’elles les nour­ris­sent et que les cha­tons ont bien grandi.

Je n’ai même pas une pho­to avec eux.

Naz, dans la prison de Tar­sus, il n’y a pas de chat. Mais il y a des oiseaux. Il parait qu’il n’y avait même pas d’oiseau avant. Ils auraient com­mencé à venir, après notre arrivée. Ce sont tous des moineaux. Tous les matins on se réveille avec leur chanson.

Que veux-tu ? Je n’y peux rien. Si un jour je sors, j’e­spère que je me retrou­verai avec des animaux.

Chère Naz, heureuse­ment que j’ai con­nu Zehra, et que, grâce à elle, j’ai fait ta con­nais­sance. J’e­spère qu’on con­tin­uera à s’écrire, quand Zehra sera libérée.

Je t’embrasse de tout coeur, toi et tes chats. Prends soin de toi et de tes chats. Que tout se passe comme ton cœur le souhaite.

Neza­hat
Prison de Tarsus
Décem­bre 2018

Avec l’aimable autorisation de Nezahat.

Et maintenant,

lec­tri­ces et lecteurs, si vous envoyiez à Neza­hat une pho­to de votre chat dans vos bras, ou une carte postale illus­trée de chats ?
C’est aus­si une excel­lente occa­sion pour saluer ses amies codétenues et les pris­on­nières en grèves de la faim dans la prison de Tarsus.

Et en recopiant le petit mot suivant :
Merhaba Nezahat, 
Diyarbakır’daki kedilerin, ve benim kedim .….…. sana sevgilerini yolluyor.
Traduction :
Bonjour Nezahat,
Tes chats de Diyarbakır et mon chat qui s’appelle .….….. t’envoient tout leur amour
.

Voici l’adresse :


Mise à jour du 10 avril 2021

Après avoir fini sa peine, Neza­hat a été libérée aujourd’hui.


LISEZ AUSSI La réponse de Neza­hat, à vous toutes et tous.… 

 

Neza­hat-Zehra, née le 5 mai 2018


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.