Les renoncules comprennent un ensemble très complexe de 800 taxons, ce qui forme une taxonomie très difficile à établir, surtout pour un non botaniste.
Je m’attacherai donc à tenter de décrire celles des ronds points, préférant laisser de côté une variété propre aux pavés parisiens des Champs Elysée, très particulière, où se mêlent des hybrides aux couleurs brunâtres caractéristiques d’une dégénérescence de l’espèce.
Il est un nom que tout le monde connaît : le bouton d’or.
Qui n’a jamais porté celui sous le menton d’unE camarade, enfant, en disant “tu aimes le beurre ?”
Parlons donc du beurre, et même de l’argent du beurre.
Si j’ai fait ce détour par l’écologie des campagnes, c’est pour être dans l’air du temps, et parce que je ne voulais pas, avec des phrases sentencieuses, copier les discours lus et entendus depuis une quinzaine. Tous ne sont pas sans intérêt, bien loin de là, mais beaucoup sont là seulement pour nous faire admirer sans recul le populisme ambiant, dont on connait les résultats de par le monde. Alors, le coup de la renoncule sous le menton, et de l’affirmation “tu aimes les gilets jaunes”, j’éviterai.
Comme j’éviterai de mélanger deux titres de Gainsbourg, gravés à l’époque sur le même vinyl, celui de “Lola Rastaquouère”, où il est question de renoncules, et celui d’ ”Aux armes et cætera”, qui donne le nom de l’album. Tous les mélanges avec la Marseillaise devraient être déconseillés, surtout pour faire chanter le Peuple.
Haa le Peuple ! Le cœur de cible des partis électoralistes qui lui donnent des taxons du genre “citoyens”, “peuple central”, “couches moyennes” “périphériques”… je ne vais pas les faire tous. En face, on entend “classes laborieuses”, comme en écho sarcastique à classe prolétaire, devenue gros mot politique.
Sur ce terrain d’un Peuple fantasmé justement, se dispute un âpre combat politicien entre populistes souverainistes, identitaires ou “république à numéros”. Et les mêmes concourent depuis des décennies à la désespérance politique qui finit par se confondre avec l’aliénation ordinaire, et donner envie de vêtir un gilet tellement moche et d’une couleur tellement improbable qu’un publicitaire même talentueux n’y aurait pas songé. Les mêmes nous ronronnent le bienfait de la Nation.
Pour ce gilet, le rapport avec la bagnole, je le vois très bien. Avec l’essence et le gaz oil, je suis toujours, mais pour moi jusqu’ici le jaune était resté la couleur des non grévistes et des cocus. Bon, c’est le nouveau monde, je veux bien. Si les gilets remplacent les faucilles et les marteaux, trop connotés, je m’y ferais donc. Mais ne me demandez pas d’en mettre un à mon chat noir.
Le Peuple, à priori, j’en fais partie. Tout comme depuis cinquante ans je me suis refusé aux gilets costume trois pièces avec cravate, juste par rapide prise de conscience que j’étais né sur cette terre, dans un système totalement inégalitaire, où une poignée de propriétaires faisait pour son profit travailler le plus grand nombre en faisant crever la planète. C’est même il y a plus de cinquante ans que j’ai pris conscience de cela, en entendant gueuler un père à chaque retour d’exploitation. Et le récit des conquêtes coloniales entendu à l’école de Jules Ferry, qui résonnait avec les slogans OAS qui fleurissaient alors sur les murs, me firent comprendre que le problème n’était pas non plus hexagonal et franchouillard. Franchouillard rimait avec torture à l’époque, et la Marseillaise avec le racisme anti-arabe. L’ancien monde quoi ! Mitterrand était ministre et prônait la guerre coloniale, et les Renault trimaient pour sortir les 4 chevaux. L’exploitation battait son plein et s’appelait les trente glorieuses. L’immigration y était laborieuse. Alors oui, quelque part, cela m’avait fait devenir gilet rouge, et anti capitaliste.
Je suis revenu sur cela, non pour raconter ma life, mais pour pouvoir affirmer que les réalités économiques et sociales, le temps, les combats de classe perdus ou gagnés, les rapports de forces politiques et les trahisons politiciennes, participent toujours de l’émergence de la couleur du gilet…
Et le jaune est bien celui des trompéEs de l’Histoire. C’était donc pas si mal trouvé que cela.
Ces renoncules ont poussé sur le fumier des trahisons, des luttes perdues, des illusions de réforme, des effondrements de systèmes oppresseurs au nom du Peuple, des chutes de murs et des croissances mondialisées du capitalisme, des victoires libérales et financiarisées, de la mort des “idéologies” et de la pensée politique avec… Comment donc décrire ces graines échappées des boîtes et que même un Monsanto n’avait pas prévu.
Ces renoncules sont des OGM du politique.
Mais elles poussent et s’accommodent des étoiles en Italie, des évangiles aux USA, voire au Brésil, des ampoules ottomanes en Turquie, des barbelés en Hongrie, tout comme elles fleurirent pourtant sous Podemos en Espagne, fusèrent à Gezi en Turquie, et furent arrachées en Grèce. Elles se sèment au gré du vent mauvais, mais chaque fois, dépendent du bitume où elles prospèrent, et des talons qui les écrasent, de fer ou de feutre.
Alors, les renoncules d’hiver poussent sur les ronds-points.
Parce que depuis longtemps les Printemps n’ont plus donné de fruits, les étés ont été secs, les automnes bruns, que les luttes se sont heurtées à des murs ou à des guerres, il faut bien que de temps à autre, le pus de la putréfaction du capitalisme sorte quelque part, et nourrisse des herbes folles.
Lorsque je vois courir tous ces politiciennEs pour faire un bouquet, chacunE à leur manière, pour tenter de renforcer un pouvoir quelque part, et celui libéral en place, qui tente un pas de deux, je pense que si cette éruption là fane encore, ce qui semble être un destin, le climat en sera bientôt changé.
“Demain les chiens” ça racontait quoi au juste ? Je demande ça pour rassurer mon chat.