Je m’au­torise à livr­er ici mon ressen­ti sur la soirée de sou­tien aux “écrivains et artistes empris­on­néEs”, co-organ­isée par le PEN club français avec les Edi­tions des Femmes entre autres, le 15 novem­bre 2018.

Ce soir là, à Paris, l’ ”Espace des Femmes — Antoinette Fouque” était comble.
Le pub­lic nom­breux n’é­tait pas venu là comme masse curieuse à l’af­fut de vis­ages con­nus ou médi­a­tiques, mais bien pour assis­ter à une “chaîne de lec­tures”, en réponse aux chaînes des geôles, et mar­quer par sa présence une sol­i­dar­ité réelle aux quelques noms désignés par­mi le mil­li­er d’artistes, écrivainEs, intel­lectuellEs, jour­nal­istes persécutéEs.

Per­me­t­tez que je m’at­tarde un instant sur les per­son­nal­ités qui étaient présentes. Beau­coup d’en­tre elles sont de celles/ceux, pour qui ces com­bats pour la lib­erté de se tenir debout face aux tyrans, aux guer­res, aux coups d’é­tats mil­i­taires, à la tor­ture, ne sont en rien des nou­veautés. Plac­er leur Art, leur tal­ent, leur notoriété, au ser­vice de ces caus­es humaines leur paraît depuis longtemps aller de soi. Et pour­tant, cette sol­i­dar­ité elle-même s’op­pose aujour­d’hui à la marche des replis, des xéno­pho­bies, des peurs et des pop­ulismes iden­ti­taires, très actuels eux. Prêter sa voix, pour un comé­di­en, une comé­di­enne, aux écrits d’unE autre, encagéE pour sa résis­tance aux total­i­tarismes, per­me­t­tre à ses textes de faire chaîne de délivrance, ne va plus de pair avec l’u­nivers marchan­disé de la com­mu­ni­ca­tion. Albert Camus ne fait plus recette, sauf pour les cita­tions oppor­tunistes. Alors réjouis­sons nous qu’il reste quelques car­rés d’in­tel­lectuels qui résistent.
C’est parce que ce soir dernier je me suis sen­ti en terre sol­idaire, et non en gala de char­ité mondaine, que je remer­cie du fond du cœur toutes celles et tous ceux qui ont con­tribué à cette suite de lec­tures et de musique.

Une soirée qui fut d’abord transna­tionale et “translangues”. Une soirée sus­pendue où Borges, Orwell, Zehra Doğan, Ahmet Altan, Vladimir Vis­sot­sky, Alireza Roshan, Ashraf Fayad, et d’autres ensuite, qui rap­pelèrent les résis­tances de femmes argen­tines et chili­ennes, et j’en oublie, furent con­vo­qués et tis­sèrent, mots mêlés, une tapis­serie de l’op­pres­sion dont on voudrait tir­er le fil jusqu’à la défaire.

J’au­rais une pen­sée par­ti­c­ulière, pour Adama Diane, jeune auteur et jour­nal­iste guinéen qui a lu des textes de Alireza Roshan en Malinké. Lui aus­si est une preuve que se mobilis­er pour qu’un Pays (la France ici) accepte de déroger aux accords de Dublin pour recueil­lir une demande d’asile n’est pas peine per­due. Jour­nal­iste à Kankan (Guinée Conakry), deux­ième ville du Pays, com­posée majori­taire­ment de Malinkés, puisque fondée par les Mandingues au XVI­Ie siè­cle, il a du fuir les siens et emprunter la longue route de l’ex­il qui le mena en Lybie, sin­istre réal­ité, et lui fit tra­vers­er la Méditer­ranée, au risque de sa vie, parce qu’il avait déplu à l’actuel Prési­dent. Et comme il se fait que j’ai effec­tué un séjour assez long, en totale immer­sion, il y a presque vingt ans, dans un quarti­er pop­u­laire de cette ville, ville alors encore riche de ses man­guiers, de son marché, de ses quartiers de cas­es aux alen­tours, nous avons un peu échangés sur des sou­venirs qui pour lui étaient d’enfance.

Encore un cas emblé­ma­tique de cette réal­ité des migra­tions for­cées venues d’Afrique, sur lesquelles se posent des regards pleins de “on ne peut accueil­lir toute…”.

Chaque cas d’artiste, d’écrivainE, mis en avant, pose toujours cette question : pourquoi lui, elle ?

La ques­tion est légitime chaque fois, et nous nous la sommes posée lors de la cam­pagne de sou­tien à Aslı Erdoğan. Et pour elle, la réponse vint de ses écrits, de cette pos­si­bil­ité de la lire, de la faire lire, pour, bien au delà de sa per­son­ne, décrire le réel d’une répres­sion, d’une impos­si­ble expres­sion. L’Art, la lit­téra­ture, touchent et ren­dent compte, d’une manière ou d’une autre, et ouvre chaque fois les yeux.

C’est le cas de notre amie Zehra Doğan. Kedis­tan ne cesse de le répéter. Et il a suf­fit devant plus d’une cen­taine de per­son­nes présentes, que Daniel Mes­guich s’empare en creux des mots de quelques extraits de let­tres de Zehra et leur donne langue dans leur tra­duc­tion française, pour que l’é­mo­tion con­forte la présen­ta­tion suc­cincte de sa sit­u­a­tion, faite aupar­a­vant. Zehra n’est plus désor­mais, pour celles et ceux qui écoutèrent en silence, à reli­er à de sim­ples sou­venirs affolés de Mid­night Express. Elle nous par­le de sa geôle, de la prison turque à ciel ouvert, des co-détenues, des femmes kur­des, d’un Peu­ple, d’un présent de résis­tance et de mas­sacres encore humides de sang. Mer­ci à Daniel Mes­guich de s’être fait passeur de réal­ité et d’avoir mis en bouche les tra­duc­tions de let­tres échangées que nous venions à peine de lui trans­met­tre, et d’en avoir fait briller les étoiles.

Il nous a offert une lec­ture au plus près du réel de l’écri­t­ure et de la parole de Zehra Dogan. À un point tel qu’au-delà de l’é­mo­tion, nous sommes devenus les témoins d’un instant rare: le corps par­lant de l’écrivain tra­ver­sant le corps lisant du comé­di­en” ai-je pu lire sous le clavier de Philippe Bouret.

Le mes­sage enreg­istré que Zehra nous a trans­mis en sep­tem­bre, avant son trans­fert for­cé, et qui fut lu, lui aus­si, ne pou­vait tomber mieux pour faire le lien avec toutes celles et tous ceux à qui cette soirée était con­sacrée. “Ne jamais laiss­er un vis­age, une voix, dans l’om­bre ou se faire oubli­er” était un leitmotiv.

Je tenais aus­si à soulign­er que le lieu et les parte­naires du PEN ce soir là, l’E­space Femmes de Paris, les Edi­tions des Femmes, répondaient en tous points au com­bat de Zehra, et qu’elle s’en sen­ti­ra fière et hon­orée, lorsque nous lui fer­ons ce compte-ren­du tant bien que mal. Mais je souligne aus­si ce que Kedis­tan dit tou­jours “Zehra nous met en mou­ve­ment, du fond de ses qua­tre murs, et avec ses mots, son art, l’én­ergie vient d’elle-même”.

Pour toutes celles et tous ceux qui furent mis “en avant” ce 15 novem­bre, (Ashraf Fayad, poète pales­tinien en prison en Ara­bie saou­dite, Zehra Doğan, l’écrivain iranien Alireza Roshan qui s’est enfui de son pays, tenu en rési­dence sur­veil­lée en Turquie…) je ren­vois égale­ment volon­tiers au PEN club.

Ce n’est rien de dire que ce moment passé a chas­sé la fatigue, les ques­tion­nements, et a recréé des pos­si­bles. Per­son­ne n’a fait que met­tre des mots sur des maux. Cha­cunEs a mis et trou­vé du sens.

La sol­i­dar­ité peut aus­si se ressourcer à elle même, avec cette force des mots et des langues qui les por­tent, lorsqu’il s’ag­it d’hu­man­ité partagée.

Photographies @PEN club français

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Daniel Fleury
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Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…