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Le jour­nal­iste Ned­im Tür­fent est privé de sa lib­erté depuis plus de 900 jours. Depuis sa prison, il porte sur les pages du jour­nal Taz Gazete, la voix de Seda Taşkın, elle aus­si jour­nal­iste, et elle aus­si jetée en prison.

Pour don­ner encore plus d’am­pleur à leur parole, Kedis­tan les invite sur ses pages, en français…

Rédigé par Ned­im Tür­fent, le 12 octo­bre 2018. Arrivé à la rédac­tion, le 02 novem­bre 2018. Pub­lié sur gazete.taz.de/tr le 6 novem­bre 2018.

Ne perds pas espoir

Le sujet de ce texte, sera, qu’on le veuille ou non, plus ou moins lié à “l’i­den­tité”. Tournons-nous vers l’his­toire de  Seda Taşkın, cor­re­spon­dante de l’A­gence Mézopotamie, une des jour­nal­istes kur­des  incar­céréEs, qui sont traitéEs même dans leur famille du jour­nal­isme, comme des enfants rejetés, et qui sont pris comme cibles, non seule­ment pour leurs activ­ités pro­fes­sion­nelles, mais aus­si pour leur iden­tité, leur langue.

Taşkın ayant été arrêtée le 22 jan­vi­er 2017, sous des pré­textes tragi­comiques, a été con­damnée lors de son procès du 10 novem­bre  pour “pro­pa­gande ter­ror­iste”, à 3 ans, 4 mois, et pour “bien que n’é­tant pas mem­bre, aide à une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”, à 4 ans, 2 mois, donc au total à une peine de prison de 7 ans, 6 mois.

Lorsque tous ses con­frères et con­soeurs qui tra­vail­laient, dis­ons le avec une expres­sion polie, “dans le coté têtes brunes de la carte”, furent unE par unE arrêtéEs, Seda avait quit­té Ankara où elle tra­vail­lait depuis deux ans, et était venue à Van, en prenant tous les risques pos­si­bles. Elle a com­mencé à courir après l’in­fo, dans une région qu’on essayait d’épur­er des jour­nal­istes. Dans cette péri­ode, à Var­to, local­ité de Muş, elle a écrit sur Sisê Bingöl, arrêtée à 78 ans, pour “appar­te­nance à une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”.

Un jour, alors qu’elle cir­cu­lait en plein cen­tre ville, elle a été mise en garde-à-vue, et fouil­lée illé­gale­ment. Elle fut ensuite libérée, mais très rapi­de­ment, un ordre d’ar­resta­tion à son encon­tre a été émis, pour motif “exis­tence d’un sig­nale­ment très sérieux”. Or, la let­tre de sig­nale­ment venait de l’ad­min­is­tra­tion de la sécu­rité. Autrement dit, elle était envoyée par la police.

Suite à ce sig­nale­ment, elle a été arrêté le 20 décem­bre 2017. Au ser­vice de Lutte con­tre le ter­ror­isme (TEM) où elle est mise en garde-à-vue, une “fouille au corps nu” lui a été imposée. Refu­sant cette pra­tique, elle a été men­acé par des policiers hommes : “Si tu ne veux pas te désha­biller, on te menotte au dos et on te désha­billera de force”.

Seda a passé qua­tre jours de garde-à-vue, en isole­ment, avec tor­tures psy­chologiques, men­aces, agres­sions et march­es racistes en écoute. Après qu’une déci­sion sur son dossier de “mise sous le sceau du secret” soit pronon­cée, Seda fut libérée sous con­trôle judi­ci­aire. Cepen­dant, avec l’ob­jec­tion d’un pro­cureur, elle a été à nou­veau mise en garde-à-vue à Ankara, le 22 jan­vi­er 2018, puis incar­cérée pour motif “risque de fuite” et “soupçon d’ef­face­ment des preuves”.


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Pen­dant son inter­roga­toire, les policiers lui ont posé cette ques­tion : “Pourquoi as-tu fait de l’in­for­ma­tion ?” UnE jour­nal­iste fait de l’in­for­ma­tion, exacte­ment pour les mêmes rai­son qu’unE boulan­gerE fait du pain, qu’unE médecin soigne ses patientEs ; c’est son tra­vail. Mais la vérité a tou­jours un prix. Seda écrivait le pre­mier jour de son empris­on­nement “Quand les portes ont été cade­nassées sur moi, un nœud a remon­té dans ma gorge.”

Mais, en peu de temps, elle s’est habituée. De plus, elle fait de l’in­for­ma­tion sur les vio­la­tions de droits qu’elle ren­con­tre entre ses qua­tre murs. Seda est pro­lifique au point d’écrire la nou­velle d’un brin d’herbe qui pousse sur le béton, arrachée par les gar­di­ens. Et elle est créa­tive au point de faire une coupe de cheveux à ses co-détenues avec des ciseaux de manucure.

Quand tu entres dans la prison, tu aperçois la falaise qui se situe entre le point où tu com­mences la nou­velle journée, et celui où tu ter­mines la journée. Ce lieu enseigne de grandes choses, seule­ment lorsque tu réus­sis à com­pren­dre l’en­droit où tu te trou­ves, et à lui don­ner un sens. Et cela se trans­forme en effort d’embellir, de col­or­er la vie et l’e­space qui sont limités.”

Le tri­bunal de Muş devant lequel Seda fut jugée, a con­damné dans les derniers mois, 10 femmes et hommes poli­tiques kur­des, à près de 100 ans de peine de prison. Seda a dit “Ils sont bien célèbres pour cela. ils inven­tent des raisons bidons, rien que pour tenir les gens en prison” et elle a ajouté “j’avais retweeté le tweet d’une amie jour­nal­iste. Mon amie a été acquit­tée pour son tweet, moi, j’ai été jugée pour le partage de ce tweet qui l’a fait acquit­ter. Cet exem­ple explique tout.”

Dans le dossier de Seda, il n’y a que des infor­ma­tions, des entre­tiens qu’elle a fait avec des sources d’in­for­ma­tion. Nous ne sommes pas étrangères à ce type d’ac­cu­sa­tions. Seda n’a pas com­mis de crime, elle n’a pas non plus fait quelque chose d’ex­cep­tion­nel. Elle a rem­pli les respon­s­abil­ité d’être jour­nal­iste : elle a fait de l’in­for­ma­tion. Elle n’est ni héros, ni terroriste.

Seda Taşkın est incar­cérée depuis neuf mois et demi. Qua va-t-elle faire alors de son espoir, de sa résis­tance ? “Le brin d’herbe qui pousse sur le bord de la porte de la cour, s’ac­croche à la vie, comme s’il se révoltait. Com­ment un être humain, peut être mal­heureux devant cette beauté et amour de vivre” dit Seda. Et elle n’a aucune envie de per­dre son espoir.

Refu­sons alors cette peine, soutenons-la pen­dant le proces­sus de cas­sa­tion. Et payons lui notre dette, avec des let­tres de solidarité.

Ned­im Türfent


Mise à jour du 17 janvier 2019

Une bonne nou­velle ! Seda Taşkın après près d’un an d’emprisonnement, a été libérée aujour­d’hui suite à la déci­sion de Cours d’appel. 


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Nedim Türfent
Auteur, mem­bre d’hon­neur de Kedistan 
Jour­nal­iste, cor­re­spon­dant de DIHA, empris­on­né du 2016 au 29 novem­bre 2022. Mem­bre hon­ori­fique du Eng­lish PEN. Jour­nal­ist, DIHA cor­re­spon­dent, impris­oned from 2016 to Novem­ber 29, 2022. Mem­bre hon­ori­fique Hon­orary member.