Pour l’ou­ver­ture du Fes­ti­val des Autres Mon­des, Zehra Doğan a fait par­venir un mes­sage audio, depuis la tris­te­ment célèbre prison de Diyarbakır.

Le Fes­ti­val expose près de 70 de ses oeu­vres orig­i­nales. La moitié ont été crées con­tre toute attente de ses geôlierEs, avec les moyens du bord en prison. Tout matériel d’artiste lui est inter­dit. Un art de résis­tance qu’elle présente elle-même dans son mes­sage d’ouverture.


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Au nom de 50 femmes ici prisonnières

Chers par­tic­i­pants, participantes,

Je vous salue depuis la geôle d’Amed, dont le nom est inscrit dans l’histoire des résis­tances, et au nom de 50 femmes ici prisonnières.

Si nous par­venons à vous attein­dre depuis ce lieu où on veut nous faire taire, et vous faire enten­dre notre voix, c’est grâce à la lutte col­lec­tive, où qu’elle soit dans le monde, grâce à vous.

Le seul pré­texte pour mon empris­on­nement est le fait d’avoir infor­mé sur le désir de paix d’un enfant. C’est d’avoir dess­iné Nusay­bin détru­it. Comme vous en con­vien­drez, j’ai été empris­on­née par une famille d’ignares qui ne savent pas ce que sig­ni­fient le Droit et la Justice.

Or, pren­dre posi­tion con­tre la per­sé­cu­tion exer­cée sous nos yeux, est une grande respon­s­abil­ité qui doit être inhérente à la nature humaine. Ne pas com­bat­tre la per­sé­cu­tion sig­ni­fierait que nous n’aurions pas foi en la con­science, le bien, la jus­tice et le change­ment. Cela voudrait dire que nous abdiquions dès le départ.

Dans cet espace étroit dans lequel je suis enfermée, je ne me sens aucunement vaincue

C’est pour cela que dans cet espace étroit dans lequel je suis enfer­mée, je ne me sens aucune­ment vaincue.

Ceux qui se sen­tent vain­cus sont en vérité, ceux qui se con­tentent de regarder les mas­sacréEs, tuéEs sous des bom­barde­ments. Ceux qui som­brent dans le dés­espoir. Et les vain­queurEs, sont celles et ceux qui ne cessent jamais de résis­ter, quelles que soient les con­di­tions et les lieux.

Aujourd’hui, les Kur­des font juste­ment cela, et mènent une lutte de survie con­tre l’injustice. Les femmes kur­des ne lâchent pas le com­bat, mal­gré toutes les dif­fi­cultés. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils les ciblent par­ti­c­ulière­ment. Car ils ont peur que les femmes qu’ils oppri­ment, en cade­nas­sant les corps, dont ils nient l’ex­is­tence, instau­rent leur pro­pre résilience.

Depuis le début des temps, nous avons tou­jours eu, et nous aurons tou­jours, un mot à dire aux pou­voirs patri­ar­caux, aux cerveaux mer­can­tiles qui nous trans­for­ment en machines de tra­vail, et qui regar­dent même notre pro­créa­tion comme une valeur ajoutée.

Nous savons que les lierres de nos pensées débordent à l’extérieur et éclosent comme de belle fleurs.

Actuelle­ment, en Turquie, plus de cent jour­nal­istes, et des artistes, comme moi, des mil­liers de poli­tiques, sont détenuEs. Des députéEs sont en ce moment en prison. Mais, nous ne nous con­sid­érons pas réelle­ment comme des pris­on­nierEs. Parce que nous savons que les lier­res de nos pen­sées débor­dent à l’extérieur et éclosent comme de belle fleurs.

Notre recherche de beauté se pour­suit ici aus­si. Comme Tarkovsky dis­ait, “Celui qui ne veut pas de la vérité ne voit pas non plus la beauté” (Le temps scel­lé). C’est pour cela que nous ne ces­sons pas de rechercher la beauté par nos pensées.

Je voudrais que tout ce qui a été vécu ne soit pas oublié, que les vérités s’accrochent à mes toiles

En me nour­ris­sant de la lutte des femmes kur­des, avec mes écrits et mon art, je tâche de puri­fi­er notre terre salie par le sang. Je voudrais que tout ce qui a été vécu ne soit pas oublié, évanoui, et que les vérités s’accrochent à mes toiles. C’est pour cela que je suis emprisonnée.

Et main­tenant, ici, ils ne me don­nent pas mon matériel de dessin. Non con­tents, ils con­fisquent les pig­ments que j’obtiens avec des déchets ali­men­taires… et mes dessins aussi.

Mais je n’ai pas le choix de jeter l’éponge en le jus­ti­fi­ant par tout cela.

Mon témoignage me dit que je n’ai pas ce luxe. Ma lutte m’a appris qu’il n’existe pas d’empêchement réel à la créa­tion. Et si cela exis­tait, ce ne serait pas autre chose que soi-même.

Votre soutien qui donne sens à ce que je réalise, m’a aidée à trouver mon propre Moi

Votre sou­tien qui donne sens à ce que je réalise, m’a aidée à trou­ver mon pro­pre Moi. Je vais sor­tir de ce lieu, qui est le plus grand sym­bole du déni de mon exis­tence, en étant moi-même, grâce à cette lutte, grâce à vous…

Je vous remer­cie pour cette organ­i­sa­tion. Kedis­tan, Naz Oke, Mino­terie, et toutes les per­son­nes qui y ont contribué.

Je vous salue toutes et tous, avec les youy­ous de résis­tance des femmes kurdes.

Zehra Doğan


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Image à la une : Expo­si­tion à Angers, Tour Saint Aubin, jan­vi­er 2018

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