Concernant l’offensive qui se dessine vers la poche d’Idleb des forces du régime de Bachar et de ses alliés russes et iraniens, les rencontres diplomatiques et les déclarations ne cessent pas.
La zone d’Idleb, présentée faussement partout comme la “dernière” zone à reconquérir par le régime, s’est vue peu à peu surpeuplée, entre autres, depuis la chute d’Alep.
De massacres en massacres, les zones tenues militairement par les différentes factions politiques et combattantes, de ce qui est devenu très majoritairement une opposition djihadiste, par accords successifs sur les zones dites de désescalade, passés entre Turquie, régime syrien, Iraniens, Russes et combattants, ont fait augmenter le peuplement autour d’Idleb, qui atteindrait les 2,5 millions.
La faction armée qui regroupe aujourd’hui le plus de combattants et vers laquelle toutes les parties se retournent est celle de Hayat Tahrir al-Sham (HTS, anciens d’Al Nostra, branche d’al-Qaïda en Syrie). 60% des combattants lui font allégeance. Ces hommes armés viennent du Sud Syrie ou des anciennes poches de résistance armée du régime dans les alentours de Damas. Ceux qui, d’accords en accords, après chaque reprise sanglante qu’on connaît, ont déplacé ces miliciens au Nord, l’ont alors fait très consciemment, et préparaient en même temps une solution finale à l’encontre de ces groupes.
La Russie a toujours considéré que sans reconquête militaire des territoires perdus, même si la Syrie dite utile pour le régime, restreinte, représente les seules zones de pouvoir réel, il ne pourrait y avoir de “négociations” crédibles. Son intervention, sa tutelle militaire, avec l’allié iranien visait cet objectif. Aussi, dans l’esprit de la Russie, était-il question de “liquider militairement le terrorisme djihadiste”, même avec des bombardements impliquant des pertes civiles considérables et des destructions complètes d’infrastructures.
La couleur est annoncée donc pour Idleb.
D’autres milices sont présentes, et il devient compliqué de s’y retrouver entre les membres du parti islamique du Kurdistan, et d’autres groupuscules et factions liées elles aussi à al-Qaïda et en conflit entre elles, et surtout de les citer toutes. Mais la force équipée et soutenue par l’armée turque, ces milices composites, qui assurent “vouloir contenir les jihadistes” par la mise en place d’une “zone tampon”, et qui, entres autres, ont envahi Afrin, la résistante à majorité kurde, occupe la seconde place.
Après Afrin, c’est le moment ou jamais pour le régime turc, d’obtenir cette zone tampon à sa frontière. L’imbroglio représenté par la Turquie, complique donc les choses pour le régime syrien, et pour ses alliés, en vue de futurs accords. Cette solution finale, ou du moins présentée comme telle, sans se cacher, par la Russie, implique donc une négociation ou un rapport de force avec Erdogan.
Il est bien sûr sur ces territoires de Syrie d’autres forces, peuples, composantes politiques, et alliés internationaux de circonstance, qui ont voix au chapître. Et il ne faudrait pas oublier que Daesch reste une force de nuisance incontournable. Voilà pourquoi il est faux de parler de “dernière offensive du régime pour recouvrer son intégrité territoriale”. Et ce serait ignorer plusieurs millions de personnes, un processus démocratique d’autonomie en cours, et considérer que la Fédération de Syrie Nord resterait les bras croisés que de ne pas mentionner les Kurdes.
“Potentielle tragédie humaine”, c’est ainsi que de Trump à Macron, est définie en langage diplomatique le massacre de civils qu’une fois de plus, après Alep, la Goutha, chacun va s’ingénier à minimiser, après en avoir fait argument. Ces voix furent moins fortes pourtant au moment de l’offensive assassine turque sur Afrin, et acquiescèrent à chaque déplacements de populations sous le prétexte des “désescalades”. Et c’est pourtant ce qui a abouti à l’actuelle situation, et au bouclier humain présent entres factions, régime, djihadistes, et affidés de la Turquie. Et mêmes si ces populations soutiennent les combattants djihadistes, elles ne peuvent passer par pertes et profits de guerre.
En repoussant le problème devant la remise en selle du régime, en trahissant les Kurdes, en les instrumentalisant de toutes façons, chacun a espéré créer des conditions d’une ré-ouverture de négociations internationales sur ses intérêts, internationaux ou régionaux. Sur le terrain, seuls les rapports de forces militaires et les reconquêtes ou colonisations semblent devoir compter, adoptant en cela la stratégie de Poutine du départ, sept années après les révoltes de Damas.
Iraniens, Russes et Turcs se rencontrent ce 7 septembre 2018.
Dans le même temps, le Conseil de Sécurité va adresser des “mises en garde”, puisque les revirements successifs de ses membres et leurs politiques opportunistes et chaotiques depuis 2012, l’ont totalement discrédité. Le veto de Poutine y empêche d’ailleurs toute résolution concrète.
Des langues hostiles au processus démocratique en Syrie Nord dénoncent ce qui serait un silence de l’entité de Syrie Nord, interprété comme un soutien aux forces du régime et à Bachar. Les mêmes langues répètent depuis des années que les Kurdes ont pactisé dès le début en 2011 avec le régime, et en ont profité pour conquérir des territoires.
C’est un autre débat, utile d’ailleurs pour remonter le fil du soulèvement syrien, et la réaction tueuse du régime. Aussi un autre débat qui concerne le pourrissement en guerre civile, le nationalisme forcené d’une grande partie des “rebelles”, et l’allégeance au djihadisme, contrainte ou opportuniste, les aides et interventions extérieures ciffant l’ensemble. Ce débat ne peut être mené par touches de circonstances, souvent anti-kurdes, toujours teintées de compromissions politiques avec les intérêts de la Turquie, et mettant Daech de côté…
Bref, les déclarations de responsables en Syrie Nord ne présentent pas d’ambiguïtés, et pour cause, ils peuvent toujours constituer la prochaine cible, dans ce jeu de dupes. Par ailleurs, le combat pour reprendre Afrin reste un objectif revendiqué par les YPG/J.
Le “Rojava” n’a guère de choix, puisque l’on sait que les différentes puissances actives dans le conflit n’accepteront jamais son projet démocratique pour la Syrie, sauf à le tordre et lui enlever toute substance émancipatrice. Intervenir donc dans l’imbroglio ne pourrait donc que donner des prétextes au régime turc.
Le régime turc et ses nationalistes ont par le passé montré leur capacités opportunistes pour profiter des situations de conflits en Syrie, et ainsi poursuivre leur politique d’éradication de l’autonomie kurde. Tant à la frontière irakienne qu’à Sinjar ou vers Manbij, et à Afrin hier, les forces armées turques, son aviation et ses chars, ou ses milices islamo-nationalistes, se destinent à jouir de toutes éventualités favorables, ne l’oublions pas, surtout face aux velléités toujours présentes de départ américain, en plein bras de fer économique pourtant.
Et la Turquie ?
Le régime turc s’inquiète de l’afflux de populations qui pourrait se produire en cas d’attaques massives. Ces réfugiés pourraient gagner la frontière turque côté Antakia (Antioche) ou à travers la zone d’Afrin, et compliquer fortement la situation. La Turquie, qui n’avait pas vu d’un mauvais oeil en 2015 la main mise sur Idleb des groupes regroupés sous l’appellation “L’Armée de la conquête », rassemblant principalement déjà le Front al-Nosra, Ahrar al-Cham, Faylaq al-Cham et Jound al-Aqsa , met aujourd’hui au premier plan cette question des réfugiés de guerre pour le sommet tripartite de Téhéran du 7 septembre, et reparle à nouveau de “zone tampon”. La proposition du régime turc est de prendre le temps de séparer le “bon grain de l’ivraie”, et bien sûr de laisser les forces turques se charger de “nettoyer” et donc de contrôler ensuite une zone qui deviendrait “tampon” via ses milices, déjà présentes à Afrin, avec les exactions et crimes qu’on connaît.
Un convoi de camions chargé de chars est déjà arrivé à la frontière, côté Kilis.
A cet égard, il est aussi intéressant de lire les mots d’un écrivassier polémiste qui s’est retrouvé coincé un temps à Idleb, et de constater que l’extrême droite nationaliste et bigote à la fois, qualifie les dernières décisions de la Turquie concernant Idleb “d’erreurs stratégiques”, en faisant référence aux ambigus positionnement vis à vis des “djihadistes” amis d’hier.
Et la Fédération de Syrie Nord ? Voici la déclaration récente des FDS :
“Les Forces démocratiques syriennes surveillent la situation militaire et sécuritaire et les développements en Syrie en général, et pour Idleb, Swaidaa et Alep, en particulier. Dernièrement, on a beaucoup parlé de la participation des forces démocratiques syriennes à l’opération militaire du régime syrien dans le gouvernorat d’Idleb. Beaucoup de rumeurs biaisées publiées par certaines institutions médiatiques courent à ce sujet.
Nous déclarons que ces rumeurs sont incorrectes, autant lorsqu’elles concernent notre participation à de telles opérations, que pour l’existence de négociations ou coordination avec le régime syrien.
Les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) sont engagées dans leurs programmes et plans pour terminer les opérations militaires en cours au nord de Deir Ezzor, et se concentrent sur la défaite de Daesh dans sa dernière poche de la vallée de l’Euphrate.”
On peut toujours remettre en cause cette parole et la classer dans les déclarations de propagande. Mais elle exprime en résumé toutes les prises de positions publiées depuis juin, et lors de “rencontres exploratoires” à Damas, pour mettre sur la table le projet d’un confédéralisme pour la Syrie. Aucun accord ne fut alors conclu, ni d’ailleurs accord tacite sur le maintien du régime de Bachar. Ces “explorations” concernaient l’avenir de la paix en Syrie et les moyens d’y parvenir dans l’avenir, utopie aujourd’hui, s’il en fut.
Gageons que sur les médias télévisés, tout comme la polémique créée récemment encore autour de l’utilisation possible des armes chimiques, nous allons assister au musée de l’horreur habituel et au déferlement de propagande de tous côtés. Les horreurs de cette guerre, ses destructions massives d’infrastructures, de corps et de vies communes, n’ont pourtant guère besoin d’un épisode supplémentaire, qu’on nous fera suivre dans le pathos absolu, jusqu’au prochain…
Une fois de plus, la rage et les larmes peuvent conduire au sentiment d’impuissance, ou, à l’inverse, au cynisme qui a choisi son camp.
La seule étoile qui brille encore dans la région, et qui est maintenant connue dans le monde entier sous l’appellation “Rojava” doit être préservée et soutenue. Dans ces visions de massacres à venir, qui semblent inévitables en l’état, dissiper les fumées autour de ce projet politique et, plus largement, le diffuser, le soutenir, reste la seule issue pour ne pas céder au sentiment d’impuissance et prévenir pour demain toutes les trahisons à son encontre.
Si cette étoile venait à s’éteindre, disparaitre ou se ternir, l’obscurité s’étendrait d’autant sur d’autres terres, soyons en sûrs.
Ajout du 7 septembre — 20h00 — source Reuters
Dans une série de déclarations à l’issue d’un sommet tripartite Iran-Russie-Turquie à Téhéran consacré au sort d’Idleb, Recep Tayyip Erdogan a insisté sur sa volonté d’éviter un « bain de sang », tandis que le chef d’Etat russe a défendu la légitimité du régime syrien face aux « éléments terroristes » dans la région, dernier bastion des rebelles. Un désaccord public ce vendredi 7 septembre entre Russie et Iran, qui soutiennent militairement et politiquement le régime syrien, et Turquie, qui soutient les groupes armés d’opposition. Quelques heures plus tard, le Conseil de sécurité de l’ONU a dédié une réunion à la même question. Staffan de Mistura a plaidé devant le Conseil de sécurité pour l’ouverture de « routes d’évacuation volontaires » permettant aux civils de quitter Idleb en Syrie, sous la menace d’une opération militaire d’envergure. « L’ONU est prête » à contribuer à l’instauration de telles portes de sortie, a précisé l’émissaire de l’ONU pour la Syrie.
Dimanche 9 septembre — copié collé AFP
Aujourd’hui dimanche, “des hélicoptères des forces du régime ont lâché près de 40 barils d’explosifs sur le village de Hbit, dans le sud de la province, tuant au moins un enfant”, a dit à l’AFP le directeur de l’OSDH.“Plus de dix raids” ont été effectués par l’aviation russe sur la ville de Latamné, dans le nord-ouest de la province de Hama”, zone adjacente à Idleb, contrôlée également par des rebelles et des jihadistes.Ces frappes ont visé un hôpital, alors qu’une autre infrastructure hospitalière, près de la localité de Hass, située dans le secteur sud d’Idleb, a déjà été sévèrement endommagée samedi par un raid aérien.
Le Conseil de Sécurité a de son côté fait reposer une solution possible d’évacuation des civils sur la Turquie, comptant sur elle pour “apaiser” les offensives en cours…
Mises à jour :
A Sotchi le 17 septembre, un accord entre Turquie et Russie acte la création d’une « zone démilitarisée » de 15 à 20 km de large, sous contrôle de la Russie et de la Turquie, à Idleb et ses zones environnantes. Le régime turc s’emploie donc à faire sortir les éléments d’une coalition de groupes dihadistes formée début août avec son appui dans la province d’Idleb et ses parties voisines d’Alep, Hama et Lattaquié.
L’attaque finale semble donc reportée et soumise à ce travail diplomatico-militaire de la Turquie vis à vis de groupes qu’elle contrôle en partie et d’autres bandes armées dont le régime et la Russie souhaitent la disparition ou la neutralisation. Au final, le régime turc pourrait obtenir sur le papier, l’existence de cette “zone tampon” tant réclamée, et en assurer la “maintenance” via les groupes qui l’appuyèrent pour la prise d’Afrin. Le régime turc se vante aujourd’hui d’être “force de paix” à Idlib… Un comble créé par la confusion diplomatique et les trahisons internationales à l’encontre des Peuples de la région qui ont relégué Daech en y versant leur sang.