Erdoğan a tenu congrès avec le mouvement AKP ce 18 août 2018, en pleine débâcle monétaire. Personne ne pouvait attendre qu’il y fasse profil bas.
Et personne ne peut être déçu. Il a fait du Erdoğan.
Ennemis de l’extérieur, terroristes de l’intérieur, tous ligués contre son projet de Turquie de 2023, et jaloux de l’unité et de l’indépendance de la Turquie nouvelle.
Jusqu’ici rien de surprenant, et surtout rien de bien différent de ce que tous les régimes successifs ont toujours professé, à de rares exceptions près, dans de courtes périodes libérales et euro-opportunistes de l’histoire turque.
Dissimuler derrière le paravent nationaliste les causes structurelles des difficultés de l’économie turque est de bonne guerre. L’AKP ne pourrait étaler au grand jour les résultats de choix et d’orientations de politique de “croissance” reposant sur l’emprunt, les grands projets contestés, le profit à court terme, la corruption à tous les étages, et présentant au “petit peuple” une image de modernité bétonnée et de puissance militaire. Grandes tours et gros bras, croissance voyante et surchauffe économique.
Inutile de faire ici des copié-collés d’articles parus en grand nombre sur cette chute de la livre turque. Beaucoup d’entre eux, parce qu’ils sont issus du même camp libéral et articulent leur analyse d’un point de vue du capitalisme mondialisé, sont également intéressants à parcourir dans la presse mainstream.
En voici un parmi d’autres, qui les résume.
Dans “la tête du Turc”, pour plus de 50%, le pays dispose désormais d’un confort, d’une modernité et d’une puissance dignes de la réconciliation de la République et de la Mosquée pour 2023, incarnée par le théocratique Erdoğan. Aussi, la hausse, et ses causes profondes, du prix de la tomate et des lentilles, tout comme la fonte du billet national ne peuvent qu’être passagères, et dues aux jaloux, et au plus agressif d’entre eux, qui dérangerait l’expansion régionale. A défaut, on implorera Allah pour les crédules…
Mais il est des signaux qui font croire à Erdoğan qu’il peut compter sur des alliés.
Durant l’inventaire de la Lire, la vente a continué.
Au hasard, et la presse aux ordres ne manque pas d’en parler, la France, en plein mois d’août, a communiqué sur une solidarité possible contre les “sanctions américaines”. L’Allemagne a averti officiellement qu’une crise durable en Turquie serait un handicap pour l’Europe, et des articles dans ses quotidiens vantent le “tourisme en Turquie”. Erdoğan sera berlinois fin septembre, au pays des “nazis”, comme il aimait encore à le dire il y a peu… Des banquiers et économistes suisses mettent en avant les opportunités d’investir en Turquie…
La dégringolade de la monnaie en Turquie était attendue comme révélateur d’une crise plus profonde. Elle avait commencé avant les dernières élections, et bien avant la polémique avec Trump. Ces difficultés là ont d’ailleurs été évoquées pour anticiper les dites élections. N’ayons pas la mémoire courte… Mais la polémique a été lancée après ces élections…
Personne, parmi les “partenaires” de la Turquie, ne veut de l’inconnu, mais ils sont nombreux ceux qui veulent une Turquie “affaiblie”. En ce sens, il est des puissances internationales et régionales qui donnent raisonau discours populiste identitaire d’Erdoğan. Pourquoi s’en priverait-il ? Il sait qu’il est incontournable et qu’il peut en jouer, des accords sur les migrants à ceux autour des groupes djihadistes syriens, par exemple, dans ses rapports avec les dits “alliés”.
Nous savons qu’il sera quand même compliqué pour le régime turc de frapper à la porte de nouveaux prêteurs, juste pour se débarrasser de créanciers anciens.
Mais ne soyons pas bisounours, et ne croyons pas non plus que la crise monétaire va soulever le peuple contre le souverain. Par contre, sachons que les conséquences inflationnistes vont faire souffrir les populations. Celles qui déjà rejetaient le régime, ou souffraient de sa répression, seront encore affaiblies par des conditions matérielles, rendues plus difficiles. Les autres risquent davantage de se tourner vers les signaux d’Erdoğan, son apparente fureur nationaliste et bigote.
Même si c’est anecdotique, les vidéos qui circulent montrant des aficionados brûlant des billets verts ou brisant des i‑Phones sont des symptômes de la réussite de ces profondes manipulations nationalistes et religieuses.
Venons-en à quelques perles, enfilées par Erdoğan, lors de ce congrès d’été de l’AKP. On peut dire qu’il a, pour vendre sa marchandise, fait “bon poids”.
En guise de bannière, et dans la veine de ce vous venez de lire au dessus, voici un propos liminaire : “Ils ont voulu nous faire tomber par l’économie, par les taux d’intérêt, l’inflation et les taux de change, mais nous avons mis à jour leurs combines”.
Et il a ajouté que “la Turquie ne se livrera pas à ceux qui mettent en place leur propre ordre en exploitant le monde”.
Puis, plus faux cul tu meurs : “Nous n’avons pas été de ceux qui rient, alors que des personnes innocentes qui se sont dispersées sur les routes pour sauver leur vie, pleurent devant des barbelés et les eaux obscures de la mer, et nous n’en serons pas” “Nous n’avons jamais été un parti qui fuit la lutte. Depuis le premier jour où nous avons été fondés, nous n’avons pas hésité à élever la voix devant chaque injustice, et nous ne cesserons pas [de le faire]”.
En ce sens, les références à l’accord européen sur les migrants et le clin d’oeil aux réfugiés syriens des régions d’Idleb, chéris pour leur rôle de boucliers humains dans la fameuse “zone tampon”, s’adressent tout à la fois aux gouvernements européens et à ceux qui ferment les yeux sur les bombardements présents du régime Bachar…
Puis encore…
“Ils n’ont pas été capables de nous faire effondrer et ils ne le seront jamais. S’ils ont leurs dollars, nous avons notre Dieu. Nous marcherons vers l’avenir avec des pas fermes”… “Si Allah le veut, nous donnerons au monde un message différent avec notre congrès, que nous convoquons pour la première fois dans le cadre du nouveau système”.
Ce décorum planté, l’ennemi extérieur désigné, responsable de tous les maux, restait à désigner les “complices” de l’intérieur et de la région, et de proférer à leur encontre les injures et amalgames ainsi que des menaces militaires habituelles.
Ces injures, elles s’appuient sur une dramatique opportunité récente, et la violente polémique qu’elle déclencha, qui a permis de ré-exhumer l’appellation de “tueurs de bébés”, à l’encontre des combattants du PKK.
Erdoğan a ensuite réaffirmé sa volonté de passer outre les accords tacites passés avec Trump, permettant en principe un désengagement militaire américain en Syrie, et avalisés par l’OTAN. Il a clairement énoncé sa volonté de poursuivre ses incursions et bombardements, désignant l’ennemi YPG, et son désir d’ouvrir les yeux de ses “alliés”. L’attentat-bombardement ciblé récent sur Sinjar, tuant Zekî Shengalî, responsable Yezidi, et faisant d’autres victimes, de retour d’une cérémonie commémorative des massacres de Daech, est directement lié à ces déclarations guerrières. L’OTAN n’a pas cillé, là non plus.
Rien de changé donc, sous l’éclairage d’ampoule de l’AKP, sinon que son chef, plus que jamais, a trouvé invectives à son pied, contre un adversaire qui lui ressemble, pour mieux continuer sa fuite en avant, jusqu’en 2023.
En résumé, pour une livre, Erdoğan en a fait des tonnes.