La construction de centrales nucléaires en Turquie, tant préparée par les régimes successifs, est désormais engagée pour deux projets précis et en finalisation pour au minimum un autre. Kedistan cherchait un feuilleton d’été rayonnant, ça tombe bien.
La France a ses affaires, l’Asie ses tremblements, la Syrie ses massacres et ses guerres, la Grande Bretagne son Brexit, le Venezuela ses drones tueurs… La Turquie a ses projets militaires et énergétiques.
Car la glorieuse Turquie unie de 2023 d’Erdoğan n’est pas dans la tête du Reis qu’un rêve de ponts, d’aéroports, de canal du Bosphore et de métros. Elle n’est pas non plus seulement cette compétition de bétonneurs, d’éclairages des nuits anatoliennes, et de routes et barrages, petits ou grands, qui vont avec. Non, la Turquie selon le Reis, pour les 100 ans de sa république, doit être préparée pour faire face au monde extérieur et à ses dangers. Elle devra irradier sur le monde.
Une république soviétique “en voie de” dictature disait en son temps “les soviets plus l’électrification”. Le régime turc actuel, qui ambitionne de retrouver “l’influence” mondiale de l’empire Ottoman, se verrait bien avec “l’électrification atomique et la respectabilité du pouvoir autocratique, soviet suprême de dirigeant” qui va avec. Le Palais ne suffit plus, il faudrait le sceptre fluorescent.
Il fut un temps, au milieu du siècle dernier, où la France un peu chiche allait chercher auprès d’un pouvoir dictatorial en Iran des emprunts et des participations financières, pour monter son projet nucléaire. Il a abouti largement depuis, est devenu celui d’un mythe d’indépendance énergétique, et a généré des déchets en masse… et une bombe, dite “force de frappe”. Le grand général français, alors petit parmi les grands, a pu cracher dans la soupe froide d’alors entre les blocs, et a bloqué pour longtemps une transition énergétique à l’échelle européenne, en même temps que d’autres impérialismes la bloquait à l’échelle mondiale, en irradiant local. Mort au charbon, début de la fin de la charbonneuse entente européenne, et, en dehors de l’Atome et du Pétrole, point de salut sauf la finance… Et la bombe qui va avec, pour faire taire les grincheux et assurer le képi.
Ces petits rappels, même un peu caricaturaux, nous paraissaient nécessaires pour aborder la démarche de nucléarisation de l’énergie en Turquie, et la replacer dans le contexte de sa genèse mondiale.
Oui, l’utilisation des énergies fossiles a enfanté un monde que l’on connait bien, ou profits, consommation forcée et misère, exploitation des ressources et des corps, cohabitent avec les conflits et guerres qui en sont les causes ou les conséquences, c’est selon. Et des pouvoirs, en rapports de forces, maintiennent l’ensemble.
Oui, ces choix économiques de deux siècles, et qui perdurent, inscrits dans le durable, au cœur de la dynamique capitaliste de croissance et de développement mondialisée, sont au cœur de toutes les luttes de pouvoirs et d’enrichissement. Ils ont faits et défaits les pouvoirs d’Etats-nation, retracé des frontières et les ont abolies pour les marchandises. Ils ont durablement hypothéqué l’avenir de la planète, des éco-systèmes, du climat, de la vie de toutes choses, animaux et humains en général. Et, curieusement, ces constats sont partagés par une majorité de libéraux en politique et capitalistes dans les faits, qui signent pourtant aujourd’hui des traités sur le climat, comme on sortirait un papier Q avant que de tirer la chasse. Les mêmes adorent aussi le nucléaire… L’énergie du verdâtre capitalisme des lendemains qui rapporteront, encore et encore…
Examinons maintenant des “événements” liés à ce nucléaire d’avenir radieux sans carbone et à son passé prometteur. Et examinons leurs répercussions, principalement en Turquie, futur heureuse propriétaire de centrales nucléaires.
Ils appartiennent à deux histoires, deux étapes, deux places données à ce mode d’énergie. Mais ils resteront à jamais dans l’inconscient collectif de l’humanité comme des points d’interrogation sur son utilisation, ses dangers et la durabilité de ses destructions écologiques. Ces questionnement se sont ajoutés à celui qui fut central durant la “guerre froide”, celui de la bombe, depuis Hiroshima.
Evénements datés donc, mais qui sont en permanence présents pourtant, lorsqu’il s’agit aujourd’hui de la Corée ou de l’Iran, par exemple, où l’on prend toujours grand soin de distinguer pour le grand public “l’arme de destruction massive” et “la belle fée électricité d’origine nucléaire”, source de course aux contrats. L’uranium enrichit.
La Turquie n’a pas échappé à Tchernobyl.
Premier ministre à l’époque, Turgut Özal, affirma : “Le thé radioactif est meilleur!”. Mais c’est le ministre de l’Economie et de l’Industrie Cahit Aral qui emporta le pompon, en buvant une tasse de thé devant les caméras, tout en jurant sur la foi qu’il était parfaitement inoffensif. Rappelons qu’il s’agit de la courte période de l’épisode politique dit “libéral” de la Turquie.
Mine Kırıkkanat, éditorialiste à Cumhuriyet (Istanbul), écrivait :
“Je me souviens d’une histoire de thé. Un “thé” au goût amer de la dictature, pour les Turcs. La tragicomédie est arrivée par le nord-est, la région la plus pluvieuse du pays où l’on cultive tout le thé noir, boisson nationale, qu’un Turc qui se respecte boit à longueur de journée, parfois jusqu’à 20 ou 30 tasses.
Cela aurait trop coûté d’importer tout le thé que l’on consommait et le gouvernement n’a pas osé dire au peuple que le thé était hautement radioactif. Le général Kenan Evren déclara même publiquement que la radioactivité renforçait les os !”
10 000 tonnes de thé contaminé à minima furent consommés en interne.
Il en fut de même pour la noisette, produit phare d’exportation, (une marque pseudo chocolatée célèbre en sait quelque chose).
“Nous avons exporté près de 5 tonnes de noisettes avec plus de 10 000 bg/kg au compteur en URSS. Je n’en ai aucun regret, après tout, ce sont eux les responsables de la contamination” avait déclaré l’ex-ministre Aral au journal Milliyet. Des distributions massives de noisettes de 1989 à 90 dans les écoles, et chez les conscrits, furent ordonnées, conséquence de l’incapacité du gouvernement à vendre ces noisettes à l’étranger, à cause de la contamination.
Yalçın Sanalan, qui fut président de l’association turque de l’énergie atomique en son temps a annoncé plus tard dans une interview, qu’il “est important d’éliminer les peurs psychologiques qu’a causées Tchernobyl en Turquie”. Ses successeurs ont bien travaillé depuis.
Rappelons le taux de leucémie 12 fois plus élevé aujourd’hui, les conséquences immédiates enregistrées en 1986 sur les naissances à Trabzon, vite étouffées, tout comme le lien direct avec les maladies thyroïdiennes. Ce ne sont là que quelques uns des effets induits d’une catastrophe liée à la compétition énergétique d’une fin de règne de guerre froide. La Turquie voisine de Tchernobyl a ainsi profité de la pré-mondialisation capitaliste et exercé ses réflexes. Pour plus d’infos, lisez donc ceci, publié précédemment, avant de revenir.
Cet épisode est malgré tout toujours présent, et le débat a à peine été ravivé en 2011, lors de la catastrophe de Fukushima, au Japon.
Fukushima a été commenté, bien sûr. Et beaucoup de commentateurs, politiciens et autres, faisaient référence à “un débat français”, en mentionnant à peu près ceci : “A ce jour, la Turquie ne possède pas de centrale nucléaire. En 2020, ce ne sera plus le cas puisque la centrale d’Akkuyu est en cours de construction. Cette première centrale nucléaire turque, dont le coût est estimé à 19 milliards d’euros, sera dotée de 4 réacteurs d’une puissance de 1.200 mégawatts. Une deuxième centrale est prévue à Sinop et une troisième a été envisagée d’ici 2030. La Turquie se lance donc, à son tour, dans le nucléaire. A l’horizon de 2030, le gouvernement turc veut ainsi couvrir 20 pour cent de ses besoins électriques grâce à des centrales nucléaires de nouvelle génération”.
Bref, circulez, et surtout ne parlez pas du futur partenaire japonais dans les projets en cours, d’autant qu’en 2011, il y avait de l’eau dans le gazoduc avec la Syrie. La polémique fut donc brève.
On voit ainsi se positionner les acteurs de la concrétisation du projet nucléaire actuel de la Turquie : la Russie, la France, le Japon. Et l’on voit que ces projets remontent à des décennies, et ont donc traversé les régimes.
Dans le prochain chapitre, nous parlerons de l’actualité et des réalisations en cours, et du rôle des acteurs, en tenant compte, bien sûr, de la livre qui fond, grain de silice possible …
A suivre donc…