Tchernobyl en avril, en août ne perd pourtant pas le fil… Un pré-article pour notre feuilleton d’été qui concernera les ambitions nucléaires du Reis turc.
Les 6 et 9 août 1945, Hiroshima et Nagasaki subissaient un bombardement nucléaire américain. L’immonde bombe succédait à l’immonde guerre et son cortège d’horreurs, génocide et migrations forcées. L’humanité finissait de démontrer son contraire. Voilà aussi pour la date du 9 août.
Depuis, cette énergie concentrée meurtrière, dans nos esprits, ne peut être séparée de l’utilisation du nucléaire dit “civil”. Et d’ailleurs, les pouvoirs de par le monde qui veulent encore se doter de la bombe, feignent toujours de revendiquer la libre disponibilité de centrales nucléaires pour leurs besoins en électricité, pour légitimer leurs recherches d’armement, comme pour confirmer notre confusion. Et ce, pour le plus grand profit des industriels du nucléaire, qui bien que regardés de près, n’en sont pas moins des acteurs importants du capitalisme mondialisé. La Turquie, mine de rien, en est arrivée là, après l’Iran et bien d’autres.
Nous publions cet article, en choisissant volontairement cette date plus que symbolique.
Tchernobyl (26 avril 1986), est revenu dans l’actualité suite au fait qu’un ressortissant turc veuille faire un don de sang aux Etats-Unis en juillet 2017…
Les mémoires ont préféré effacer les conséquences de cette catastrophe du 26 avril 1986, mais les lois de santé fédérales des Etats-Unis, n’autorisent toujours pas les personnes qui ont passé 5 mois en Turquie entre 1980 et 1996 à donner (vendre) leur sang.
32 ans plus tard, un petit retour :
Les nuages radioactifs ont pourtant atteint la Turquie en quelques jours. Le 3 mai 1986, ils étaient en Thrace (Partie européenne de la Turquie, côté Bulgarie et Grèce du nord), puis au-dessus de la région côté Mer Noire. En Mai, sur la route d’Istanbul-Edirne, les compteurs Geiger montrait 1000 fois la dose normale de radiation. Pour la Turquie, c’était le début du casse-tête…
Les autorités russes avaient averti la Turquie et conseillé de surveiller les taux de près. Ahmet Yüksel Özemre, le Président de TAEK (Energie Atomique de Turquie) de l’époque déclarait :
“Même si le nuage arrive en Turquie, il ne peut l’atteindre !”
Les pays européens ont arrêté l’achat de noisettes, important produit d’exportation. Le 2 décembre 1986, l’Allemagne a enfin déclaré des taux dangereux de radiation dans le thé et rendu 13 tonnes de thé à la Turquie… Et les autorités turques ont répondu à cet embargo avec la rengaine ordinaire “des complots montés par les forces extérieures”. Cette déclaration n’a pas suffit au directeur de Çaykur (Monopole de thé étatique de Turquie), qui a annoncé que “lorsqu’on fait bouillir le thé longtemps, la radiation diminue”. C’est suite à cette déclaration que le ministre Cahit Aral, a fait son one man show à la télé, à une heure de grande écoute, tout en buvant du thé…
En Turquie, les conséquences de la catastrophe ont été prises très à la légère, comme dans de nombreux pays européens. Les conséquences furent pourtant lourdes, particulièrement sur le thé, tabac, noisettes, principales cultures de la région de la Mer Noire, au nord de la Turquie, face à Tchernobyl, à seulement 795,58 km de distance à vol d’oiseau, ou encore à vol de nuages radioactifs, selon les vents dominants…
Alors qu’à des dizaines de milliers de kilomètres plus loin, d’autres pays tentaient, bien qu’avec un retard certain, de prendre des précautions, avec inquiétude, sous le nuage radioactif, (sauf en France où le nuage se serait arrêté à la frontière suite à une injonction télévisée de faire demi-tour !), Cahit Aral, ministre de l’Industrie et du Commerce de l’époque disait encore “La Mer Noire serait-elle salie, parce qu’une goutte d’encre noire est tombée dedans ?” et se gaussait en ajoutant “Rien de bien ne vient de Russie… C’est soit le communisme, soit la radiation…”
“Ceux qui disent qu’il y a de la radiation, sont des mécréants. Du fait des exagérations sur les informations concernant la radiation, notre tourisme et à la fois notre commerce seront affectés.” (24 juin 1986)
“La radiation sur le thé est sans danger. Vous pouvez boire 20 thés par jour sans aucune crainte.” (13 décembre 1986)
“Le thé n’est pas dangereux, pourquoi le détruirions-nous ?” (23 décembre 1986, Cumhuriyet)
Et il faisait aussi des déclarations “scientifiques” : “Imaginons une plante. Ses feuilles sont atteintes par les radiations qui arrivent du soleil, et le phénomène que nous appelons photosynthèse se produit. Si les radiations du soleil n’existaient pas, la plante n’existerait pas, la vie n’existerait pas…” (Assemblée Nationale 22, janvier 1987)
Ahmet Yüksel Özemre, le Président de TAEK déclarait à son tour :
“Vous pouvez tout manger. Plus de 50 mille prises de mesure montrent que les aliments en Turquie sont totalement sécurisés.” (15 juin 1986, Milliyet)
“Il n’y a aucun danger à consommer du thé, mais nous interdirons l’exportation.” (10 décembre, Milliyet)
Turgut Özal, alors premier ministre déclarait “Le thé radioactif est encore plus délicieux”. Et son prédécesseur, Kenan Evren, général putschiste du coup d’Etat du 12 septembre 1980 annonçait “Un peu de radiation est bon pour les os”…
L’Assemblée nationale a carrément refusé la constitution d’une commission d’enquête sur les conséquences de la catastrophe. Pour compléter le tout, les données concernant les taux de radiation en Turquie n’ont pas été portées à la connaissance du public, “afin de ne pas créer de panique” (comme en France). C’est ainsi que tout le stock des thés irradiés destiné à l’exportation, et refusé, a été écoulé dans le pays.
CertainEs chercheurEs on déclarés ultérieurement qu’à l’époque ils/elles ont subi de fortes pressions pour ne pas faire d’études et travaux à ce sujet.
Après les réactions qui ont suivi la mise à la lumière du jour des résultats obtenus par quelques chercheurEs qui ont tenu tête, et fait des études, 58 mille tonnes de thé irradiés ont enfin été enfouis en 1989. Il s’agissait d’une opération de communication répondant à l’attente de l’opinion publique, et elle a d’ailleurs été menée sans aucune prise de mesure, ni ménagement pour la protection des nappes phréatiques et la terre… Une partie de ces sacs de thé allaient ressurgir, par un coup d’excavateur en 2009, à Rize, ville de la rive Mer Noire, lors de travaux dans un chantier de terrain de sport, dans le campus universitaire, construit sur les décombres d’une ancienne usine de thé. Le thé ainsi ressurgi, dispersé, était toujours irradié… Le stock dangereux allait être enfoui à nouveau, cette fois couvert de gravats en granit, l’équivalent d’une contenance de 80 camions. Et peu de temps après, les Geiger ont montré que, la nature du granit aidant, la radiation avait doublé ! Granit retiré et remplacé par le béton, les étudiants peuvent depuis s’adonner à leur sport favori.
Mais dans la région de la Mer Noire, il y a aussi noisettes et tabac…
Certaines études, révèlent, qu’alors que les “autorités” étaient unanimes sur le fait que scientifiquement il n’y avait pas de danger, 58 mille tonnes de thé ont été neutralisées principalement pour éviter les spéculations dans l’opinion publique, ainsi que pour rester dans le pseudo cadre du programme de contrôle, et ce, compte tenu d’une énorme perte économique à juguler.
Mais, pour la noisette et le tabac, deux produits importants de la région, ils ont traversé tous les contrôles, sans rencontrer de problèmes, et furent dispersés, en jonglant avec les différentes modalités de contrôle à l’importation adoptées par pays, à commencer par l’UE et les Etats-Unis.
La noisette est en effet un produit d’export important pour la Turquie, qui réalise 70% de la production mondiale. Peu de stock serait donc resté sur les bras. Quelques années après la catastrophe, ces quelques stocks de noisettes restants, toujours irradiés, furent distribués dans les écoles et casernes, comme “aliment bénéfique”, pour sa richesse en lipides, protéines, valeur énergétique et vitamine E. Tant pis pour la radioactivité…
Le tabac ? Nous trouvons très peu de données. Le marché des cigarettiers est bien gardé. Visiblement, la catastrophe de Tchernobyl n’a pas affecté l’exportation du tabac. La Turquie exporte des cigarettes au Moyen-Orient, mais le tabac comme matière première est exporté aussi vers l’Occident, Etats-Unis en tête, suivis de près par la Russie et l’Europe. Après tout, le tabac tue… Le tabac irradié, tue peut être un peu plus vite. Il n’était pas question de pénaliser un marché économique qui se chiffre en millards de dollars.
Oui, le thé est certainement un produit incontournable en Turquie. Il n’est pas étonnant alors qu’à l’époque, les polémiques et attentions se soient, volontairement, et spontanément, focalisées dessus. Mis à part le thé, la noisette, le tabac, sur lesquels il manque déjà des données, que dire alors des autres produits de consommation ? Toute une panoplie… eau, légumes et fruits, céréales, viande, lait… Et même le bois…
Mais qu’à fait la “Médecine” ?
L’Union des médecins de Turquie a établi en 2006, un rapport “Le Cancer en Turquie après l’accident nucléaire de Tchernobyl”. Ce rapport notifiait clairement qu’il n’existait pas de données recueillies et fiables pour établir un lien entre l’accident et l’augmentation des cas de cancer, et les autorités ont préféré le silence. Pourtant, une importante augmentation de cas est constatée : Dans la région de Marmara entre 1986 et 1987, ils sont multipliés par deux, et dans la région de la Mer Noire, par trois. Pour donner une idée, dans la ville de Hopa, une étude effectuée dans le cadre de ce rapport, auprès de 7831 personnes vivant dans 1939 foyers, révèle qu’une personne sur deux est décédées suite au cancer et que la mortalité causée par le cancer a atteint les 48%. Et encore, on ne parlera même pas des problèmes de thyroïde, cancéreux ou non. Partout où les nuages radioactifs sont passés, il existe des générations entières de trépanéEs abonnéEs aux médicaments substitutifs remplaçant la thyroxine naturelle.
La Turquie a depuis sombré dans l’amnésie partielle et volontaire, pour répondre aux souhaits du Reis : relancer les projets de nucléarisation de la Turquie, civile, et, à mots couverts, militaire.
Ce sera l’objet de notre feuilleton d’été.