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Une tra­duc­tion française de l’ar­ti­cle de Güler Yıldız, jour­nal­iste, pub­lié ini­tiale­ment le 25 juil­let 2018 sur Yeni Özgür Poli­ti­ka en turc. Une chronique de son ressen­ti après la lec­ture du reportage que Zehra Doğan a don­né récem­ment, depuis sa prison…

Matériel pour performance : LE SANG

l’eau sauvage infusée dans les vallées 
attelle son si long silence 
à sa pro­pre cascade

Murathan Mungan. “Dem”, Solak Defterler

Je fais, ils détru­isent !” annonce Zehra sur sa sit­u­a­tion à l’intérieur. Elle con­tin­ue à créer ses dessins en cap­tiv­ité ; même si son matériel est con­fisqué, elle souligne que les douleurs peu­vent jail­lir et jail­lis­sent des éclats de rire mag­nifiques, quelque part, chaque jour. La douleur, à l’instant où elle fait sens, n’est plus douleur.

Elle résume ce qui la préoc­cupe en ce moment, “ma res­pi­ra­tion à moi, c’est mon art. C’est ma bataille instinc­tive con­tre leurs gross­es mains qu’ils met­tent sur mon nez, ma bouche”. Dans les phras­es com­posées avec sagesse, elle enfante elle même une Zehra. C’est pour cela qu’à chaque entre­tien, nous lisons non pas une jour­nal­iste comme ça, mais l’aventure d’une intro­spec­tion, dont la révo­lu­tion men­tale a com­mencé par les mots. Elle est une artiste. La seule chose que l’enfermement lui enlève, est peut être un peu de matériel, un brin de manque de place… A part ça, elle a enroulé autour de ses doigts l’immense univers. Avec les let­tres et reportages qu’elle envoie, chaque fois, je suis éton­née de la grandeur du monde qu’elle tisse, ‑par­don, qu’elle des­sine- à l’intérieur…

Han­nah Arendt par­le longue­ment dans “Entre le passé et le futur”, de la lib­erté. “Le vrai sujet ici, n’est pas le fait que l’artiste soit libre lors du proces­sus de la créa­tion, mais le fait que ce proces­sus ne soit pas pub­lic et manque de vis­i­bil­ité au monde. C’est pour cela que dans les arts créat­ifs, l’élément de lib­erté dont il n’y a aucune doute sur son exis­tence, reste caché. A la fin, ce qui sera le plus impor­tant pour le monde, n’est pas le proces­sus de créa­tion libre, mais l’œuvre elle même, le pro­duit final du processus.”

Zehra Doğan est pein­tre. Elle peint son intérieur en l’extériorisant. Si elle n’a pas de pinceau, elle a ses cheveux ! Si elle ne pos­sède pas de pein­ture, elle a son sang !

Le sang ! L’endroit où nous con­nais­sons le mieux la fragilité de l’enfermement est le sang de règles de femmes ! Dis­crim­inée, déso­cial­isée en dis­ant “sale, souil­lée, infirme, intouch­able”… La per­cep­tion dis­crim­i­na­toire du sang qui vient de la femme a le même sort que le sang des Kur­des dans ses veines. L’Etat avait écrit sur les murs, que “le sang du Kurde a touché la dent du loup”.

Zehra Doğan

Zehra Doğan — Geôle d’Amed, 24 févri­er 2018.
30 x 35 cm. Sur t‑shirt coupé, sang des règles, thé, sty­lo, cen­dre, crayon.

Quant à Zehra, elle des­sine avec l’histoire de son corps, la douleur arrachée par les dents. L’Etat a peur de ces dessins. Il les con­fisque…, l’Etat veut musel­er son his­toire. Or, l’histoire des Kur­des ne se tait pas !

Zehra a été empris­on­née parce qu’elle a infor­mé sur ces ter­res que le pinceau de l’Etat a tein­tée de sang. Parce qu’elle a dit “Il y a du sang !”… Mais main­tenant, en peignant avec son pro­pre sang, elle s’enfante à nou­veau, Zehra. Un des chemins de la com­préhen­sion de soi-même passe par la com­mu­ni­ca­tion instau­rée avec soi-même. Et Zehra, en essayant un moyen que peu d’artistes au monde a ten­té, s’est atteinte, elle a réus­si à faire naître d’elle même, une autre Zehra.

Que dit-elle Zehra ? “Moi, je fais, eux ils détru­isent”. “S’ils les détru­isent, c’est qu’ils ont com­mencé à com­pren­dre plus ou moins l’art, et le mes­sage que j’essaye de don­ner. De plus, il y a bien des artistes con­tem­po­rainEs qui pro­duisent leur art d’une façon éphémère. Ils/elles attirent l’attention plutôt que sur la dura­bil­ité de leur œuvre, sur leur proces­sus de réal­i­sa­tion, sur le mode d’action. Je con­sid­ère que mes créa­tions con­fisquées font par­tie de ce type de tra­vail. Ain­si, je réalise un art de per­for­mance. Je fais, ils con­fisquent et détruisent.”

Sek­ou Touré, auteur africain, résumait si bien le rôle des artistes dans la libéra­tion d’un pays, dans la note qu’il soumet­tait au Deux­ième Con­grès inter­na­tion­al d’auteurEs et artistes noirEs : “Pour faire part de la révo­lu­tion africaine, il n’est pas suff­isant de com­pos­er une chan­son révo­lu­tion­naire. Pour réalis­er cette révo­lu­tion, il faut fusion­ner avec le peu­ple. Lorsqu’on se réu­nit avec le peu­ple, les chan­sons vien­dront toutes seules.”.

La force dans les paroles de Zehra qui dit “quoi que tu fass­es, tu dois faire d’une façon mil­i­tante. Parce que tu fais par­tie d’un peu­ple opprimé”  avoi­sine le pro­pos de Sek­ou “pour que la chan­son soit au peu­ple, il faut que le peu­ple la chante”

Qui pour­rait affirmer que la vie est con­ges­tion­née dans la prison ? La vie qui suf­foque dehors, sera sauvée par la chan­son de l’intérieur, c’est évident…

Güler Yıldız

Güler YıldızGüler Yıldız, jour­nal­iste radio, télévi­sion et presse écrite.

Elle sera une des inter­venantEs de la table ronde “Le jour­nal­isme autrement” pro­gram­mée pour le 13 octo­bre à 15h-18h au pôle cul­turel Le Roudour dans le cadre du Fes­ti­val des autres Mon­des — Autour de Zehra Doğan, qui se déroulera du 21 sep­tem­bre au 21 octo­bre au Pays de Mor­laix. Une très riche pro­gramme est pro­posé, pour voir les détails sur les 10 tables ron­des thé­ma­tiques, pro­jec­tions de films, con­certs de sou­tien, salon du livre, suiv­ez ce lien.


Traduction par Kedistan. Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
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