Pour archive, nous pub­lions un ressen­ti du Newroz à Amed (Diyarbakır), qui nous a été envoyé récem­ment. Ce réc­it date de mars 2018 et rejoint des témoignages plus récents d’observateurs/trices qui se sont ren­dues lors des dernières élec­tions en ces mêmes lieux, où même les pier­res et la terre de rem­blai par­lent, pour qui sait ouvrir les yeux.


Sous le soleil écla­tant de ce 21 mars, jour de célébra­tion du Newroz, notre cortège s’ébroue dif­fi­cile­ment depuis le siège du HDP à Diyarbakır.

Entre deux voitures noires aux vit­res tein­tées, le car aux couleurs du HDP crache chants et dis­cours, ponc­tués de klax­ons. Les minibus spé­ciale­ment affrétés pour les inter­na­tionaux suiv­ent. Comme en réponse, des accla­ma­tions ponctuelles, d’autres klax­ons et le V de la vic­toire des pas­sants nous accom­pa­g­nent sur le bord de la route.

Notre cortège pous­sif pro­gresse tant bien que mal dans la cohue et les bouchons.

Par­venus près du lieu de célébra­tion du Newroz, nous arrivons aux con­fins d’une ville en pleine exten­sion. Les ter­res-pleins cen­traux séparant les deux sens de cir­cu­la­tion ne sont plus qu’une bande de terre battue atten­dant le béton. Puis la route elle-même n’est plus goudronnée.

Nous avançons main­tenant dans la pous­sière au creux des squelettes d’immeubles en con­struc­tion qui poussent sur d’im­menses ter­rains vagues. Ces blocs de bétons incom­plets gris et blancs sem­blent posés là par hasard, sans autre plan archi­tec­tur­al, et sans qu’il soit pos­si­ble de définir pré­cisé­ment une fron­tière entre la ville et la campagne.

Un pre­mier bar­rage polici­er nous ralen­tit, un deux­ième nous arrête pour de bon.

Der­rière le bar­rage matéri­al­isé par des blind­és et des bar­rières métalliques le com­porte­ment et la tenue des policiers sus­cite un sen­ti­ment mêlé pour un mil­i­tant occidental.

Loin de met­tre en scène une police par­faite­ment ordon­nancée der­rière un bar­rage fil­trant, nous faisons face à des grappes de policiers aux tenues de ville divers­es et var­iées iden­ti­fi­ables par leurs chasubles.

Le surnom­bre man­i­feste est là pour impres­sion­ner au-delà de la sim­ple tâche tech­nique de fil­trage à des fins de con­trôle d’i­den­tités et de fouille. Cer­tains por­tent osten­si­ble­ment fusils d’as­sauts pointés vers le ciel, d’autres encore dis­cu­tent entre eux, debouts ou assis à même le sol. L’at­ti­tude est non­cha­lante et arrogante.

Cette police là ressem­ble plus à un gang paradant, qu’à une opéra­tion de sécuri­sa­tion de l’e­space pub­lic ou de “main­tien de l’or­dre” maitrisée, selon l’ex­pres­sion consacrée.

Les con­trôles d’i­den­tité com­men­cent. 1, 2, 3, 4, et jusqu’à 5 con­trôles d’i­den­tités, pour cer­tainEs d’en­tre nous, ont lieu sur près de 200 mètres. Et, chaque fois, prise en pho­tos de nos papiers d’i­den­tité et ouver­tures de sacs. Cer­tainEs se voient con­fisqués des affaires per­son­nelles (sty­los, cahiers, foulards aux couleurs jaune, rouge et vertes du Kur­dis­tan), d’autres passent sans être inquiétéEs.

Dans son arbi­traire la police man­i­feste son pou­voir. Mais déjà le gron­de­ment d’une foule à l’u­nis­son nous parvient. “Newroz, Pîroz Be ! Newroz, Pîroz Be !”.

diyarbakir newroz 2018

Arrivés enfin sur le lieu de la célébra­tion le peu­ple kurde de Diyarbakır est là. Ils-elles seraient entre 100 000 et 150 000 amasséEs face à la scène, séparéEs d’elle et de la tri­bune des offi­ciels par un sim­ple gril­lage de police.

Thier­ry, habitué des voy­ages à Diyarbakır depuis près de 20 ans, sem­ble dire qu’il y aurait moins de monde que d’habi­tude cette année. Pour­tant, mal­gré la répres­sion, mal­gré les exac­tions, la foule reste immense, son ent­hou­si­asme et sa déter­mi­na­tion débor­dent et imposent.

En marge des dis­cours et chan­sons qui s’en­chainent sur la scène, le ser­vice d’or­dre du HDP, mil­i­tantEs dévouéEs et bien­veil­lantEs, aura toutes les peines du monde à con­tenir la foule qui grimpe à chaque instant sur les grilles. Débor­déEs ils-elles finiront par laiss­er venir la foule et envahir le no man’s land qui la sépare de la scène.

diyarbakir newroz 2018

Jour du Newroz côté scène.

Au retour de la fête, nous apprenons l’arrestation de trente jeunes, dont de nom­breux-ses mineurEs qui, enton­nant des chants révo­lu­tion­naires, sont alléEs à la ren­con­tre des check­points. L’an dernier, un autre de ces jeunes, Kemal Kurkut, qui avait refusé de se soumet­tre aux con­trôles, torse nu, avait été abat­tu par la police d’une balle dans le dos.

Un appel à la solidarité internationale

Nous sommes par­tiEs sous l’é­ti­quette de l’as­so­ci­a­tion Ami­tiés Kur­des Rhône Alpes. L’ob­jet de la mis­sion était de par­ticiper, comme chaque année, à une délé­ga­tion d’ob­ser­va­teurs inter­na­tionaux pen­dant la semaine du Newroz.

Notre délé­ga­tion lyon­naise était com­posée d’un mil­i­tant CGT, un mil­i­tant CNT, du co-prési­dent de l’as­so­ci­a­tion et adhérant CFDT, et d’une jour­nal­iste free-lance, tra­vail­lant notam­ment pour Euronews. Ce curieux atte­lage d’oc­ca­sion sus­ci­ta par­fois quelques piques dans nos dis­cus­sions mais fonc­tion­na dans une bonne entente cordiale.

Nous étions offi­cielle­ment invitéEs par le HDP, par­ti démoc­ra­tique des peu­ples, un par­ti d’opposition de gauche issu du mou­ve­ment kurde mais qui revendique de s’adress­er à l’ensem­ble de la société turque dans toute sa diver­sité. A ce titre, nous étions con­viéEs à plusieurs entre­tiens au siège du par­ti à Diyarbakır, ain­si qu’à la grande fête du Newroz le 21 mars.

Arrivés à l’aéro­port de Diyarbakır le 19 mars, nous retrou­vions une délé­ga­tion menée par l’association Ami­tiés Kur­des de Bre­tagne ain­si que deux cama­rades de Stras­bourg. Des Ital­iens sont égale­ment présents. Des Kur­des, chargés de nous emmen­er à l’hôtel, vien­nent nous accueil­lir. Là, la nuit tombé, les taxis fon­cent sur de grandes avenues vides. Ce fut égale­ment pour nous la pre­mière occa­sion de décou­vrir la con­duite par­ti­c­ulière qui se pra­tique en Turquie. Con­duite con­sis­tant essen­tielle­ment et avant tout à essay­er de pass­er quoiqu’il arrive, et, en dés­espoir de cause, à tester bru­tale­ment les freins en cas de néces­sité impérieuse. Sur les avenues qui nous amè­nent à l’hô­tel, chaque lam­padaire arbore fière­ment un por­trait d’Erdoğan et un dra­peau de la Turquie.

diyarbakir newroz 2018

Fan­ions devant le siège du HDP.

newroz

Entrée du siège du HDP.

Le lende­main nous nous ren­dions au siège du HDP. A l’en­trée, der­rière une guir­lande de bal­lons jaune, rouge, vert et vio­let, un por­tique de détec­tion d’ob­jets métalliques donne le ton. L’at­mo­sphère de peur et men­ace per­ma­nente qui nous sera décrite pen­dante toute la semaine s’in­car­ne immé­di­ate­ment. Nous rejoignions dans une salle de con­férence les rangs d’une délé­ga­tion inter­na­tionale d’une soix­an­taine de per­son­nes, ce qui, tou­jours selon les dires de Thier­ry, était peu, com­paré aux années précé­dentes. Par­mi elles, des Alle­mands, des Ital­iens, des Norvégiens, des Espag­nols (dont cer­tainEs tien­nent à ce qu’on les iden­ti­fie comme basques), et même une Colom­bi­enne. La délé­ga­tion française com­pre­nait finale­ment une quin­zaine de personnes.

Les inter­ven­tions et dis­cus­sions s’en­chainent, tout d’abord le pré­posé aux ques­tions inter­na­tionales du HDP, puis le BDP (Par­ti Région­al Démoc­ra­tique représen­té au par­lement par le HDP), suivi par le Mou­ve­ment des Femmes Libres (représen­té par trois femmes) et le Con­seil Démoc­ra­tique Kurde (DTK) pour cette pre­mière journée. Quelques jours plus tard nous vis­iterons une des dernières coopéra­tives de femmes kur­des, ren­con­trerons Osman Bay­demir, l’ancien maire de Diyarbakır de 2004 à 2014, ain­si que des mem­bres de l’IHD, la Ligue des droits de l’homme locale.

Il n’est pas pos­si­ble de résumer ici la richesse des dif­férentes inter­ven­tions. Pour­tant, mal­gré leur diver­sité, des sen­ti­ments com­muns per­sis­tants les par­courent, l’ur­gence, la peur et la détermination.

TouTEs témoignent d’une aggra­va­tion dra­ma­tique de la sit­u­a­tion depuis deux ans. L’E­tat-par­ti fondé sur la coali­tion AKP-MHP pour­suit sa fas­ci­sa­tion accélérée depuis le coup d’E­tat man­qué de juil­let 2016. Aucune expres­sion cri­tique n’est plus tolérée. Tout le monde vit dans la peur. Peur d’être arrêtéE, empris­on­néE, peur de per­dre son emploi.

Et touTEs témoignent égale­ment d’un sen­ti­ment d’a­ban­don de la part des pays occi­den­taux et des Etats européens en par­ti­c­uli­er, au moment de l’agression du can­ton d’Afrin par l’E­tat Turc et de la volon­té affichée d’Erdoğan de pour­suiv­re sa guerre vers le Roja­va et les autres can­tons de la Fédéra­tion démoc­ra­tique Nord Syrie.

Nos dif­férentEs interlocuteurs/trices s’adressent à nous en nous deman­dant de dire cette urgence et d’in­ter­peller les poli­tiques de nos pays respectifs.

Car, nous dis­ent-ils/elles, ce n’est pas seule­ment le peu­ple kurde qui est attaqué, ni même l’ensem­ble des forces démoc­ra­tiques turques, mais les principes mêmes de démoc­ra­tie, de droits de l’homme et de laïc­ité qui sont men­acés dans l’ensem­ble du monde si aucune mesure n’est prise. La référence à la sit­u­a­tion de l’Alle­magne dans les années 30 revient régulière­ment dans les discours.

Torturer quotidiennement plutôt qu’interdire

En façade le pou­voir main­tient la mise en scène d’une démoc­ra­tie représen­ta­tive en lam­beaux en rejouant péri­odique­ment le spec­ta­cle d’élec­tions, moyen­nant quelques fraudes plus ou moins mas­sives, per­me­t­tant d’obtenir les résul­tats escomp­tés. Der­rière cette mas­ca­rade, la dic­tature du quo­ti­di­en s’é­tend et fait régn­er la ter­reur sur la société.

La sit­u­a­tion du HDP et de ses mil­i­tants incar­ne à elle seule cette sit­u­a­tion ubuesque. Nos interlocuteurs/trices rap­pel­lent quelques chiffres. Le par­ti est légal. Pour­tant, depuis 2015, 12 000 mem­bres du HDP ont été arrêtés, 4000 d’en­tre eux incar­cérés. 86 co-maires ont été déchuEs et rem­placéEs par des admin­is­tra­teurs. 10 par­lemen­taires du HDP sont détenuEs. Et, bien sûr, son prési­dent, Sela­hat­tin Demir­taş, tou­jours empris­on­né et can­di­dat aux élec­tions depuis sa cel­lule. A cet égard, au fil des inter­ven­tions, nous com­pren­drons que tous les inter­venantEs ont soit été empris­on­néEs, soit sont main­tenant men­acéEs de l’être, soit les deux.

A l’o­rig­ine de ces pour­suites : des dis­cours. Et Osman Bay­demir, ancien maire de Diyarbakır, de relever cette sit­u­a­tion tra­gi-comique de par­lemen­taires empêchéEs de par­ler : “Erdoğan veut des par­lemen­taires qui ne par­lent pas”. Bay­demir nous par­le d’un ton calme, posé, mais porté par une déter­mi­na­tion, pour ne pas dire une rage froide, qui sourd à chaque mot. Il est lui-même, sous le coup d’une con­damna­tion à 18 mois de prison au moment où il nous par­le. Il sera déchu de son man­dat par­lemen­taire 15 jours après notre retour en France. L’ur­gence est aus­si là, nous ne sommes pas sûrEs de revoir les per­son­nes qui nous par­lent encore.

diyarbakir newroz 2018

Hiş­yar Özsoy, respon­s­able des rela­tions inter­na­tionales au HDP.

Au-delà de l’op­po­si­tion poli­tique par­lemen­taire c’est toute la société civile qui subit une purge. Depuis la ten­ta­tive de coup d’E­tat, plus de 140 000 per­son­nes tra­vail­lant dans la sphère publique (pro­fesseurs, ingénieurs, uni­ver­si­taires, mag­is­trats, etc.) ont été limogées, 148 médias ont été sup­primés et 160 jour­nal­istes empris­on­néEs. Plus de 1200 asso­ci­a­tions, fon­da­tions ou syn­di­cats ont été dis­sous. Et, sans sur­prise, Erdoğan, a pour­suivi cette poli­tique de purge après sa réélec­tion le 24 juin dernier en licen­ciant à nou­veau 18000 fonc­tion­naires par un nou­veau décret-loi le 8 juil­let, et en fer­mant de nou­veau 12 asso­ci­a­tions, 3 jour­naux et une chaîne de télévi­sion par ce même décret.

Les accu­sa­tions d’ ”apolo­gie du ter­ror­isme” ou “d’ap­par­te­nance à un groupe ter­ror­iste” se suiv­ent et se ressem­blent pour sys­té­ma­tique­ment crim­i­nalis­er toute oppo­si­tion ou cri­tique. Dernière attaque en date, l’Au­torité des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion a porté plainte auprès du pro­cureur de Diyarbakır con­tre l’a­gence de presse fémi­nine Jin­News, dont le site Inter­net a déjà été inter­dit à 8 repris­es, pour “pro­pa­gande ter­ror­iste”. L’u­til­i­sa­tion de pho­tos du leader kurde Abdul­lah Öcalan empris­on­né et de mem­bres des YPJ dans des arti­cles de presse ont été con­sid­érées comme des crimes dans l’acte d’accusation.

Lorsque l’un d’en­tre nous pose la ques­tion de savoir si le HDP va être inter­dit. La réponse vient comme une évi­dence : “ils n’en n’ont pas besoin […] le HDP, poli­tique­ment, n’a pas été tué, il est chaque jour tor­turé”.

Pour­tant le HDP fait preuve d’une capac­ité de résilience remar­quable, Tous ses dirigeantEs ont été arrêtéEs, mis­Es en prison voire même assas­s­inéEs. Et tou­jours de nou­veaux mil­i­tantEs pren­nent la relève. “AmiE si tu tombes, unE amiE sort de l’om­bre à ta place”.

Les stigmates sont dans les pierres

Le jeu­di après-midi je rejoins Thier­ry et Selène au sein du car­a­van­sérail Hasan Paşa Hanı au cœur du quarti­er de Sur. Ce quarti­er his­torique de la vieille ville for­ti­fiée est cer­clé d’une muraille de près 5,8 km avec ses tours et portes, dont les pre­miers rem­parts de pier­res de basaltes gris­es datent de l’ère romaine. J’ac­cède par la porte de Dağ sur laque­lle trô­nent le por­trait de Mustafa Kemal dit “Atatürk” et le dra­peau Turc.

Porte de Dağ ouvrant sur l’av­enue Gazi

Sur place je retrou­ve mes cama­rades attabléEs avec un ancien assis­tant par­lemen­taire d’une député HDP déchue. Il se pro­pose de nous servir de guide jusqu’au lieu de la répres­sion de l’in­sur­rec­tion menée par la jeunesse kurde de l’au­tomne 2015 jusqu’en mars 2016. L’in­sur­rec­tion s’é­tait dévelop­pée dans cette par­tie de la vieille ville de Diyarbakır mais égale­ment dans les villes de Cizre, Sır­nak, Silopi, Sil­van ou Var­to. A Diyarbakır elle s’é­tait achevé par l’en­trée de l’ar­mée dans Sur après trois mois de siège et l’écrase­ment les rebelles.

Parc de l’autre côté de la muraille séparant de la par­tie rasée de Sur.

Nous nous enfonçons à tra­vers l’av­enue Gazi jusqu’à débouch­er sur un parc à côté des rem­parts. Là, des familles nom­breuses se promè­nent avec enfants et sont assis­es sur des bancs ou à même la pelouse.

Grim­pant sur des march­es en pierre escarpées nous accé­dons au som­met des rem­parts. Un fois en haut, le con­traste est sai­sis­sant. De l’autre côté de la muraille tout est rasé. Il ne reste rien. Seule la mosquée et des minarets ont été épargnés par la répres­sion et l’en­tre­prise de destruc­tion totale du quarti­er. Sur notre droite quelques maisons inhab­itées et en ruine sont encore debout, prob­a­ble­ment plus pour longtemps. Devant nous un vaste ter­rain vague s’é­tend, parsemé par endroits de quelques rares arbres rachi­tiques. Au pied de la muraille une tranchée pro­fonde de plusieurs mètres et des cylin­dres de béton posés de part et d’autre témoigne de travaux de canal­i­sa­tion en cours.

Près de deux ans après le mas­sacre, le quarti­er reste zone inter­dite, bouclé der­rière des murs de béton et bar­rières de police. Par­tis dans la pré­cip­i­ta­tion aucun des habi­tants n’a pu revenir sur les lieux pour récupér­er des affaires.

Pour­tant, pen­dant des mois, tout le monde pou­vait voir les longues files de camions rem­pli de gra­vats sor­tir de Sur. Expro­priés pour la plu­part, les anciens habi­tants de ce quarti­er se voient désor­mais rejetés hors de la vieille ville. Théorique­ment une indem­ni­sa­tion est prévue, mais en l’ab­sence d’une quel­conque éval­u­a­tion des biens détru­its, de règles com­munes d’in­dem­ni­sa­tion et d’in­stances de recours, la pop­u­la­tion reste à la mer­ci du bon vouloir des autorités.

La recon­struc­tion, telle que voulue par le gou­verne­ment, doit servir la mise au pas poli­tique. Aupar­a­vant ce quarti­er his­torique et cul­turel, classé au pat­ri­moine mon­di­al de l’UNESCO, était con­sti­tué de ruelles étroites et sin­ueuses. A la place le gou­verne­ment prévoit la con­struc­tion de larges rues, plus facile­ment con­trôlables et per­me­t­tant, le cas échéant, la cir­cu­la­tion de blind­és. Nos inter­locu­teurs du HDP font à cet égard explicite­ment référence à l’épisode de la Com­mune de Paris et à la “réha­bil­i­ta­tion” de Paris qui avait suivi l’écrase­ment de l’insurrection.

Der­rière la struc­ture physique, la struc­ture démo­graphique est égale­ment visée. Sous pré­texte de “réno­va­tion” il s’ag­it pour le pou­voir de chang­er la com­po­si­tion sociale du quarti­er en chas­sant les pau­vres pour des pop­u­la­tions plus aisées.

Au total c’est plus de 24 000 per­son­nes qui n’ont tou­jours pas pu retourn­er à Sur.

Une fois descen­dus des rem­parts, les rues adja­centes por­tent encore les stig­mates des affrontements.

A gauche : Blocs de béton fer­mant la zone inter­dite.
A droite : Pied du minaret antique avec traces d’im­pact de balles.

L’an­tique minaret, mon­u­ment de pier­res gris­es dressés sur qua­tre pieds, et sur lequel est apposé un dra­peau Turc, laisse appa­raître des impacts sur deux de ses colonnes de soutène­ment. S’ap­prochant Thier­ry m’ex­plique qu’il s’ag­it des traces de balles qui demeurent suite à l’as­sas­si­nat de Tahir Elçi le 28 novem­bre 2015. Tahir Elçi, avo­cat et ancien bâton­nier du bar­reau de Diyarbakır, défenseur de la cause kurde et des droits de l’homme, fai­sait une con­férence de presse en ce lieu sym­bol­ique. S’il avait cri­tiqué la stratégie d’in­sur­rec­tions urbaines du PKK, il avait néan­moins osé déclaré que le PKK ne pou­vait être con­sid­éré comme une organ­i­sa­tion ter­ror­iste. Ce jour-là il voulait attir­er l’at­ten­tion des médias sur les destruc­tions sur­v­enues quelques semaines plus tôt dans le quarti­er his­torique de Sur.

Départ

Ven­dre­di soir à l’hô­tel, nous devons repar­tir tôt le lende­main matin, je traine désoeu­vré dans le hall un jour­nal à la main. Assis seul sur un canapé, je finis par remar­quer sur ma droite un homme lui aus­si assis seul sans bruit dans un fau­teuil. Il sem­ble chercher mon regard. Sem­blant hésiter pen­dant plusieurs min­utes, il finit par bris­er la glace et s’ap­proche avec un sourire mal­adroit pour s’asseoir près de moi. Il regarde autour de nous d’un œil inqui­et. Il n’y a pour­tant per­son­ne d’autres que nous à ce moment de la soirée et à cet endroit. Se pen­chant un peu plus vers moi comme pour n’être enten­du que par ma per­son­ne, il me demande en Anglais si je suis un “activiste”. On nous a dit et répété que des policiers pou­vaient être partout et recom­mandé la méfi­ance avec les incon­nus qui nous abor­deraient. Je réponds donc que je suis un touriste. Ma réponse ne fait pas illu­sion, il pour­suit. La peur et l’ur­gence se lit une fois de plus dans les yeux et le débit de cet homme. Son anglais mal­adroit et ma com­préhen­sion approx­i­ma­tive ne nous per­me­t­tent mal­heureuse­ment pas une com­mu­ni­ca­tion pleine­ment opéra­tionnelle. Il m’ex­plique cepen­dant en sub­stance que la police est partout, la sur­veil­lance con­stante et que tout le monde vit dans la peur d’être dénon­cé ou arrêté à tout moment. Il souhait­erait pou­voir émi­gr­er mais n’a pas assez d’ar­gent pour par­tir. Il finit par me deman­der de dire et racon­ter ce qu’il se passe en Turquie de retour dans mon pays, avant de s’a­pais­er un peu et s’ex­cuser de m’avoir dérangé.

L’or­dre règne à Diyarbakır.

Gilles Gourc


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