Le putsch date de 2016, mais il sent encore. Pire, on le célèbre comme une victoire de “la démocratie et de la République” turque. Puff !
Je ne me remets pas des dernières élections. Et surtout, je ne peux pas me faire aux arguments de notre pseudo opposition qui nous répète que la démocratie a parlé, au delà des tricheries habituelles, et que maintenant, la tâche de l’heure est de veiller au bon fonctionnement des institutions républicaines.
Avec l’âge, on dit que le temps passe moins vite. Et pourtant, entre 2013 et 2018, presque chaque année a apporté une pierre de plus aux murs de la désormais prison turque. En 5 ans seulement.
En 2015, suite à la révolution des casseroles, car ce fut ma participation au Gezi de 2013, une opposition nouvelle se manifestait lors des élections. Le résultat fut immédiatement le déclenchement volontaire d’une guerre civile à l’encontre des Kurdes, après avoir pris soin de faire voler en éclats le processus de Paix. Les profondes divisions qu’on connaît aujourd’hui, si elle remonte à des décennies, ont été remises à vif, et le mot Paix pouvait conduire quelqu’unE en prison déjà. Je crois que le magazine où j’écris ces lignes a une archive pleine de ces massacres, morts, destructions, qui à l’Ouest de la Turquie rencontraient des regards qui se détournaient, en même temps qu’ils distillaient la honte, la peur et la couardise.
Au passage, c’était bien des officiers gülenistes qui commandaient les troupes d’assassins, épaulées par des spéciaux plutôt loups gris. Ils étaient encore comme sabre et minaret à l’époque, jusqu’au sommet du pouvoir, même si un gros différent au sujet de l’argent de la corruption causait déjà des disputes à table.
En 2016, les convives justement, commencent à différer largement sur le menu du banquet. Gülen voudrait du rab, et Erdoğan a déjà commencé à déménager le frigo en lieu sûr. Et il est même question en juin 2016, qu’il prive carrément de dessert ces officiers d’Etat-major pourtant si efficaces contre les Kurdes.
Vous connaissez sans doute la suite… Au courant de ce qui se tramait, le Reis laissera arriver les choses, pour mieux leur donner un sens positif pour lui.
C’est la nuit des “longs couteaux” du 15 juillet 2016, qui s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. FETÖ joue sa carte et perd.
Et là dessus, voilà nos “défenseurs de la république et de la démocratie” de toujours, ultra-nationalistes et kémalistes, qui se joignent au concert de victoire contre le putsch manqué. Si on y regarde de près, la valse des oripeaux islamistes et du drapeau républicain mêlés a trouvé dans la rue cette nuit là sa validation populaire. Et c’est cette merde là qu’on célèbre depuis, chaque année, et qui tapisse maintenant le fond des urnes électorales, d’élections en élections.
En 2017, c’est la grande purge qui continue. Vous connaissez les chiffres. LicenciéEs, suicidés, emprisonnéEs, menacéEs et réduitEs au silence se comptent par centaines de milliers confondus.
FETÖ sert de pancarte contre le terrorisme, et, par mesure d’économie, l’Etat y écrit aussi le nom des Kurdes, pour la vague de répression qui coule jusqu’à aujourd’hui…
Qui dit purge, dit purge de la Constitution aussi, pour préparer le grand carnaval de 2023, avec le Sultan actuel en roi du bal. Au fait, une fois pour toutes, 2023, c’est la date du futur centenaire de la turcité triomphante, le jour où on sera invité à trinquer à la santé des arméniens entre autres…
Voilà, nous sommes déjà en 2018, et au dernier acte, Antigone est battue par KO. Et j’ai voté…
L’autocratie est confortée, sous les applaudissements. Sortez les bulles ! Il y a une eau un peu salée pour ça, mosquée oblige.
Une fois de plus, ce 15 juillet, la panoplie militaire des assassins et le décorum néo-ottoman, sous le regard bienveillant du Père du Peuple, se montrent à la télé et sur les unes de journaux. Les images de ponts sur le Bosphore ne sont plus comme des mains tendues entre deux rives, mais comme des dos que l’on fouette à la trique, jusqu’à ce que mort s’en suive.
On nous annonce des “prises” de guerre côté PKK en Europe, une “offensive” finale aux frontières, dès que le moment sera choisi, et un redressement du prix de la tomate. Quoi de plus ordinaire dans une démocratie ?