Le groupe Yorum con­naît une répres­sion sans précé­dent. Quelques mem­bres qui ont échap­pé à l’in­car­céra­tion ont décidé de con­tin­uer leur lutte en exil, en Europe.

On peut mesur­er la répres­sion qui s’a­bat sur le groupe, à la hau­teur de cette déci­sion de “survie” prise par deux mem­bres, après que leurs “têtes” eurent été mis­es à prix par l’E­tat turc.

Yorum

İnan et Sel­ma Altın

11 mem­bres sont incar­céréEs, 6 sont par­mi les per­son­nes “les plus recher­chées”. Ain­si fonc­tionne la toute nou­velle “démoc­ra­tie turque”, au lende­main du sacre de son Sul­tan auto­crate, suite aux dernières élec­tions. Aucun état d’âme à l’en­con­tre de ses artistes, musi­ciens, écrivains, intel­lectuellEs, con­traintEs de fuir ou de croupir en prison pour des années.

La Turquie se vide de ses intel­lectuellEs et artistes qui ne louent pas le Reis, ou les jette dans les cachots, où ils/elles rejoignent d’autres “con­sid­éréEs ter­ror­istes”, par mil­liers. L’au­teure Aslı Erdoğan aurait pu être de ceux-celles là. Ahmet Altan, écrivain, est con­damné à la per­pé­tu­ité. Zehra Doğan, artiste et jour­nal­iste, est incar­cérée à Diyarbakır et inter­dite matérielle­ment de pra­ti­quer son art… Nuriye et Semih ont été empris­on­néEs pen­dant une longue péri­ode, en pleine grève de la faim, dans une phase très avancée. LibéréEs, Nuriye et Semih et leurs cama­rades ont cessé leur grève mais pas leur lutte, ils/elles con­tin­u­ent leur résis­tance et subis­sent tou­jours la répres­sion de l’E­tat et les gardes-à-vue régulières aus­si… Des jour­nal­istes comme Deniz Yücel de Die Welt, Can Dün­dar ex rédac­teur en chef de Cumhuriyet, ont vécu l’emprisonnement. La main de l’E­tat va à l’ex­térieur du pays, jusqu’aux intel­lectuelLEs en exil comme le jour­nal­iste Bahar Kimy­ongür, sa tête est mise à prix égale­ment, maintes fois acquit­té en Turquie et devant les instances inter­na­tionales pourtant…

Citer les noms de toutes celles et tous ceux qui subis­sent ce même sort, et cette répres­sion dont on ne prédit pas la fin serait en oubli­er, mais aus­si laiss­er dans l’om­bre les otages poli­tiques de ce régime et de ceux qui l’ont précédé. Les pris­ons turques débor­dent d’op­posantEs décrétéEs “ter­ror­istes”, par le pou­voir actuel ou par celui des kémal­istes nation­al­istes. Les députéEs et éluEs du Par­ti Démoc­ra­tique des Peu­ples (HDP) y sont égale­ment, jugés ou non. Et des mil­i­tantEs moins con­nuEs comptent les années de leur déten­tion. Les pour­chas­séEs de FETÖ ne sont pas en reste.

Pour d’autres, encore à l’ex­térieur, c’est le licen­ciement sans retraite, la déchéance sociale, ou l’at­tente d’un procès “libre”, sans passe­port ni échap­pa­toire. Encore 18.000 fonc­tion­naires de l’Etat virés par décret lors de la prise de fonc­tions d’après élections…

Oui, cette “démoc­ra­tie” à la tur­ca a les chiffres de la répres­sion qui mon­tent. Serait-elle en voie de quelque chose ?

Lorsque la pres­sion se fait trop dan­gereuse, pour la vie même des “ter­ror­istes recher­chéEs”, (dont les têtes sont mis­es à prix), il ne reste que l’ex­il. Ain­si fonc­tionne la jus­tice de la démoc­ra­tie turque. Mais, nous dira-t-on, “Il n’y a pas de fumée sans feu ! Si quelqu’unE est recher­chéE, il y a des raisons à cela, dans une démoc­ra­tie…”.

Oui, le Par­ti des Tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK) fig­ure sur les listes des organ­i­sa­tions ter­ror­istes, comme d’autres organ­i­sa­tions anci­ennes de la Gauche turque ou de l’ex­trême gauche telle le Par­ti-Front révo­lu­tion­naire de libéra­tion du peu­ple DHKP‑C. Joyeuse­ment util­isées par l’E­tat turc, mais approu­vées aus­si par les Etats-Unis, le Cana­da et l’U­nion européenne, ces listes arbi­traires, violant les lib­ertés fon­da­men­tales sont pour­tant très con­tro­ver­sées. Et, comme à l’ex­térieur, les gou­verne­ments européens se réfèrent aux mêmes listes, les motifs “d’in­cul­pa­tion” sont tout trou­vés, dès lors ou il s’ag­it d’unE opposantE. Et entre “démoc­ra­ties”, per­son­ne ne se mêle des affaires intérieures des autres. Il arrive même qu’on se livre des opposants, comme vient de le faire la Norvège avec la Turquie, en extradant une mil­i­tante kurde, Gülizar Taşdemir, qui s’y était réfugiée.

Le groupe Yorum n’est effec­tive­ment pas un sim­ple groupe de musique.

Le groupe a été fondé en 1985 par des étu­di­ants pour réa­gir au coup d’Etat mil­i­taire de 1980. Rapi­de­ment, il devient ‘the’ groupe de musique qui sym­bol­ise et porte l’opposition, la lutte pour la lib­erté et les droits. La musique du Grup Yorum, mêle avec saveur con­tes­ta­tion et mélodies traditionnelles.

yorumYorum a tra­ver­sé l’his­toire actuelle de la Turquie, en subis­sant les per­sé­cu­tions de dif­férents pou­voirs coerci­tifs. Dans les quelques dernières années, de l’annu­la­tion de con­certs aux gardes-à-vue de ses mem­bres, des descentes vio­lentes à la destruc­tion de leur local, et l’emprisonnement de 11 mem­bres du groupe… Tout est allé crescen­do pour par­venir à un niveau inviv­able. İnan Altın, réal­isa­teur et Sel­ma Altın, pro­duc­trice, ont un pied dans la musique et un autre dans le ciné­ma. Ils ont réal­isé le “Film de Type F” sur les pris­ons de haute sécu­rité de type F turques. L’an dernier, la police a attaqué le set de tour­nage dans le quarti­er Küçük Armut­lu à Istanbul. 

En févri­er dernier, les mem­bres de Yorum, İnan Altın, Sel­ma Altın, Ali Aracı, İbrahim Gökçek, Emel Yeşilır­mak et İhs­an Cibelik ont été ajoutés, à la “caté­gorie grise” de la liste “ter­ror­istes recher­chés dont la tête est mise à prix” du min­istère de l’intérieur turc, avec une promesse de récom­pense de 300 mille LT. La liste les annonce comme mem­bre du DHKP‑C, organ­i­sa­tion d’extrême gauche.

(Classe­ment par couleur selon les récom­pens­es promises)

Vous trou­verez ci-dessous la let­tre que deux mem­bres du groupe, main­tenant en exil, ont fait par­venir à leurs amiEs et sou­tiens. İnan Altın et Sel­ma Altın, arrivéEs en Europe, tien­nent en ce moment même, le same­di 14 juil­let à 14h, une déc­la­ra­tion de presse, à Paris, au cimetière du Père Lachaise devant la tombe du réal­isa­teur Yıl­maz Güney. Kedis­tan en sol­i­dar­ité, pub­lie cet arti­cle simul­tané­ment, afin de don­ner écho à leur voix.

Madame, Mon­sieur, cher(e)s ami(e)s,

Le col­lec­tif musi­cal turc “Grup Yorum” est con­fron­té à la plus grande vague de répres­sion et de liq­ui­da­tion de son histoire.

L’ampleur de cette vio­lence a aug­men­té de manière sig­ni­fica­tive durant l’année écoulée.

En 2016, un grand nom­bre d’entre nous ont été placés en détention.

Après 106 jours de cap­tiv­ité, nous avons été remis en lib­erté dès notre pre­mière com­paru­tion. Dans la foulée, une deux­ième vague d’arrestations s’est produite.

Actuelle­ment, 11 mem­bres du groupe sont sous les verrous.

Les mem­bres du groupe remis en lib­erté ont été placés en garde à vue puis incar­cérés dès leur sor­tie de prison sur base d’une nou­velle enquête.

Six des mem­bres du groupe, traqués mais tou­jours en lib­erté, ont fini par rejoin­dre les listes des “per­son­nes les plus recher­chées” avec promesse de récom­pense à la clé pour leur capture.

Nous, Sel­ma et Inan, fig­urons par­mi les per­son­nes recher­chées. Nos têtes ont été mis­es à prix. Au moment où nous avons été con­traints à la clan­des­tinité, moi Inan, tra­vail­lais sur un long métrage en tant que réal­isa­teur. Quant à moi, Sel­ma, j’exerçais la fonc­tion de pro­duc­trice du film.

Notre set de tour­nage a été attaqué par les blind­és de la police. Cette inter­ven­tion poli­cière a inter­rompu notre pro­jet cinématographique.

Nous deux sommes à présent en Europe et comp­tons y rester le temps que s’achève la machi­na­tion du pou­voir à notre encon­tre, et que la jus­tice nous donne gain de cause. Tout porte à croire que notre temps d’attente risque de dur­er longtemps.

Nous annonçons donc notre présence en Europe et les raisons qui nous ont poussés à faire ce choix au cours d’un rassem­ble­ment que nous organ­isons le same­di 14 juil­let à 14h au cimetière du Père Lachaise devant la tombe de Yıl­maz Güney.

Nous voulons ain­si soulign­er le lien his­torique qui nous unit au défunt cinéaste ain­si que la simil­i­tude de nos parcours.

La présence à cet événe­ment de nos amis artistes, jour­nal­istes, juristes et mil­i­tants asso­ci­at­ifs français, européens et turcs nous conforte.

İnan Altın (réal­isa­teur) et Sel­ma Altın (pro­duc­trice)

Déclaration faite à la presse…
Lieu: tombe de Yılmaz Güney au cimetière du Père Lachaise
Date: samedi 14 juillet 2018
Heure: 14h

Yorum

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Pho­tos : Aujour­d’hui, cimetière du Père Lachaise.
Avec nos remer­ciements à Bahar Kimyongür. 

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