Les moments disponibles pour pren­dre un livre sont rares au Kedis­tan. Ceux envoyés par des amiEs s’en­tassent, et nous regar­dent avec reproche, en attente d’article…

En voici un, pour­tant essen­tiel, et qui se lit comme un roman polici­er. Il traite d’un triple meurtre, com­mis à Paris, par les “ser­vices” turcs. Ce n’est pas une fic­tion, mais il n’a jamais sus­cité de psy­cho-drame comme celui qui fit se réu­nir des dirigeantEs européennEs, à pro­pos d’un empoi­son­neur russe au Roy­aume-Uni. Là, l’am­bas­sadeur de Turquie en France, patron un temps des “ser­vices turcs” (MIT), dort con­fort­able­ment sur ses deux oreilles, et est tou­jours invité à s’ex­primer sur la démoc­ra­tie turque, quand il n’écrit pas de let­tres de protes­ta­tions à la presse française…

C’est parce que cette “affaire” fig­u­rait dans l’acte d’ac­cu­sa­tion émis par le Tri­bunal Per­ma­nent des Peu­ples, lors de sa ses­sion “La Turquie et les Kur­des”, en ce début d’an­née 2018, et parce qu’aus­si une “enquête” signée par l’au­teure, Lau­re Marc­hand, Sur la piste des com­man­dos d’Er­do­gan”, parue dans le très main­stream Express, a attiré forte­ment notre atten­tion, que nous avons décidé de pren­dre, à la veille d’échéances poli­tiques en Turquie, le temps de vous inciter à la lec­ture de ce livre plus qu’instructif.

livre laure marchandCe triple assas­si­nat ne présente aucun mys­tère, pour qui ne regarde pas le mou­ve­ment kurde et sa dias­po­ra comme des “exilés ter­ror­istes”. Ce livre pour­rait donc bien ne rien appren­dre à celles et ceux qui, habituéEs de la sol­i­dar­ité et des ren­dez-vous réguliers pour com­mé­mor­er cet assas­si­nat, con­nais­sent les vis­ages, la sil­hou­ette, et l’his­toire mil­i­tante hors du com­mun de Sakine Can­sız, Fidan Doğan et Ley­la Saylemez.

Mais détrompez-vous. Il est rédigé comme un polar, extrême­ment pré­cis et détail­lé, et écrit au scalpel d’une jour­nal­iste légiste, con­nais­seuse du “mou­ve­ment kurde”, et il vous appren­dra que bien des choses se cachent dans les détails.

Lau­re Marc­hand con­sacre encore beau­coup de ses inves­ti­ga­tions aujour­d’hui dans le pro­longe­ment de ce livre.

Ce n’est surtout pas une “ama­teure” sur la Turquie, et beau­coup de ses con­frères et con­sœurs jour­nal­istes des médias main­stream pour­raient s’in­spir­er de sa démarche rigoureuse, qui ne se con­tente pas de faire du copi­er coller de dépêch­es issues pêle-mêle de l’a­gence gou­verne­men­tale ou de l’AFP, re-vis­itées à la sauce pseu­do oppo­si­tion kémal­iste. Fort heureuse­ment, le temps des diseuses de “bonne aven­ture” des chaînes d’in­fos en con­cur­rence est passé. Le cli­mat de peur qui règne en Turquie, la sit­u­a­tion syri­enne, ont certes clairsemé les rangs des “cor­re­spon­dantEs” sur place, mais en ont révélé d’autres, égale­ment par­mi les anciens et les anci­ennes, qui font fi avec bon­heur du “poli­tique­ment cor­rect”, fig­ure imposée sur la Turquie par des rédac­tions, bien sou­vent, lorsqu’ils/elles écrivent.

Aslı Erdoğan, en 2016, ne fai­sait rien d’autre que deman­der aux médias européens d’ou­vrir les yeux et de com­pren­dre en quoi la sit­u­a­tion en Turquie allait touch­er l’Eu­rope entière.

Cet assas­si­nat était une prémisse à sa manière. Et l’au­teure du livre l’a bien com­pris et par­ticipe avec lui aux alertes à pro­pos de la pieu­vre MIT.

Ce que nous remar­quons depuis près de qua­tre années, c’est que la com­préhen­sion de la Turquie et des Kur­des pro­gresse grâce à toutes et tous, et, enfin, du côté médias main­stream, très frileux encore pour­tant il y a cinq ans, et bien sou­vent tou­jours dans le “mod­èle de démoc­ra­tie musul­mane com­pat­i­ble” à pro­pos de la Turquie, résul­tat de l’épisode des négo­ci­a­tions avec l’UE début 2000, qui aida à l’ac­ces­sion d’Er­doğan au pou­voir. Cette réthorique, qui fait écrire et dire “la démoc­ra­tie fout le camp en Turquie”, et regret­ter le “mod­èle” d’a­vant, com­mence à dis­paraître au prof­it d’une analyse. Mais, lorsque le jour­nal Le Monde laisse encore en lec­ture “payante” la tri­bune que Sela­hat­tin Demir­taş, tou­jours empris­on­né, lui a fait par­venir, on se ques­tionne sur ce choix édi­to­r­i­al… dif­férent pour d’autres Istan­bu­leries… Ne par­lons pas d’un camp médi­a­tique anti-Turquie de tou­jours, par xéno­pho­bie et repli iden­ti­taire anti-musul­man, bien sûr. Toute cri­tique de la Turquie n’est pas bonne à lire…

Voilà donc une jour­nal­iste qui, touchée au vif par un triple assas­si­nat, va remon­ter le fil et au pas­sage, con­fron­ter son expéri­ence de la Turquie avec ce qu’elle décou­vre du mou­ve­ment kurde, de l’his­toire d’E­tat, bien au delà de ce qu’elle en con­nais­sait déjà. Vous fer­ez donc un par­cours iden­tique en lisant cet ouvrage…

Voici comment elle présente son livre elle même :

Dans le 10e arrondisse­ment de Paris, der­rière la lourde porte du 147 rue La Fayette, se trou­ve un crime impuni, pro­tégé par la rai­son d’Etat.
Le 9 jan­vi­er 2013, trois femmes kur­des ont été tuées au pre­mier étage de l’immeuble, dans un petit apparte­ment. Elles ont été exé­cutées de plusieurs balles dans la tête. Sakine Can­sız était une des fon­da­tri­ces de la guéril­la kurde du Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK) et avait créé la branche des femmes de l’organisation; Fidan Doğan était en charge du lob­by­ing du mou­ve­ment en France et Ley­la Sayle­mez était une jeune militante.

Depuis trois ans, les élé­ments à charge con­tre les ser­vices secrets turcs, sus­pec­tés d’avoir com­man­dité leur exé­cu­tion, se sont accu­mulés sur le bureau de la juge d’instruction qui a bouclé son enquête. Mais un seul accusé, Ömer Güney, sera jugé lors du procès en assis­es qui s’ouvrira à Paris en décem­bre 2016.

Mal­gré des faits acca­blants, les autorités poli­tiques français­es ne récla­ment aucun compte à la Turquie. Alors que le courage des com­bat­tantes kur­des du PKK con­tre l’Etat islamique en Irak et en Syrie est salué dans le monde entier, la mort de leurs cama­rades en plein Paris est recou­verte d’un linceul de silence. Car les autorités français­es ont choisi de ren­forcer leur alliance stratégique avec Ankara. Faisant fi de leurs engage­ments à lut­ter con­tre le ter­ror­isme. L’instruction a con­clu que Sakine Can­sız, Fidan Doğan et Ley­la Sayle­mez avaient été vic­times d’un “acte ter­ror­iste”. Sur le sol français, cynique­ment, les vic­times du ter­ror­isme n’ont donc, à l’évidence, pas toute la même valeur.

Pen­dant plusieurs mois, j’ai enquêté dans plusieurs pays et j’ai eu accès à des sources turques et français­es inédites qui m’ont per­mis d’établir des liens entre le sus­pect numéro 1 et le MIT, les ser­vices secrets turcs.

Un livre pub­lié aux Edi­tions Actes Sud, dont vous trou­verez quelques pre­miers feuil­lets ICI.

Bonne lec­ture !


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